Que faire quand un adolescent perd pied dans une société en crise qui peine faire rêver la jeunesse ? Comment redonner du sens et des valeurs à son enfant qui, fasciné par la course à la consommation et le culte de l’apparence, fini par se perdre dans l’échec scolaire, la drogue et la violence ? Après avoir essayé toutes les « solutions » habituelles, un père va tout risquer pour ramener son fils à la raison. Un récit inspirant qui fera l’objet d’un livre à destination des parents qui traversent une situation similaire.

Tout démarre d’une situation, devenue classique, de divorce où un enfant est impliqué : Tom. Suite à la séparation, Renaud, son père, va perdre peu à peu le contact avec son jeune fils. Les années passent et le rapport à distance se fait de plus en plus difficile. Alors qu’il approche l’âge de 15 ans, Tom commence à accumuler les problèmes scolaires et les désordres sociaux, au point d’avoir certains excès de violence envers les personnes qu’il côtoie. Malgré plusieurs internats et des opportunités sportives qui le coupent de son quotidien, la situation va s’aggraver jusqu’à le pousser à une consommation de drogues bien au delà des limites du raisonnable.

Désarmée, la mère tire la sonnette d’alarme et réclame de l’aide à son ex-époux. Renaud y voit une opportunité de venir en aide à son fils et de rouvrir un dialogue sain. Mais comment faire, sans jouer la carte du paternalisme, dans une société qui n’inspire pas Tom comme tant d’autres jeunes ? Renaud va alors avoir une idée autant risquée que géniale… partir à l’autre bout du monde, avec les moyens du bord, pour une traversée à dos de cheval des steppes d’Asie centrale, aux confins du Kirghizstan… Leur aventure sera si inspirante qu’elle donnera vie à un livre : « Dans les pas du fils » paru cette année aux éditions Kero. Nous avons rencontré Renaud pour lui poser quelques questions sur cette histoire hors normes.

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Mr M : Contre l’avis des enseignants, alors que Tom allait bientôt passer son BAC, vous allez prendre une décision totalement inattendue. Comment en êtes-vous arrivé à ce choix radical ?

Renaud : J’ai beaucoup voyagé ces dernières années, souvent seul, j’ai passé plusieurs mois en Sibérie, et en Mongolie à vivre au plus près des peuples nomades. Les rencontres, la nature, et la culture animiste m’ont confirmé dans l’idée que l’avenir, contrairement à ce que la société essaie de nous inculquer,  n’était pas dans la modernité et le consumérisme.

Comme beaucoup de parents, j’avais le sentiment depuis plusieurs années que la crise d’adolescence qui pointait le bout de son nez allait être déterminante pour l’avenir scolaire de Tom. J’avais bien essayé d’intervenir auprès de lui, de sa mère et de l’école, mais à chaque fois les problèmes revenaient irrémédiablement, car rien dans son environnement n’avait changé.

Alors que Tom était en première, la CPE (Conseillère Principale d’éducation) m’alarma que la situation devenait critique, elle me confiait avoir tout essayé avec lui et me demanda d’intervenir avant que cela ne s’aggrave. Tom était en pleine rébellion, tout était prétexte à confrontation, sa violence commençait à faire peur, sa consommation de cannabis n’était plus vraiment un secret, il avait été convoqué a plusieurs reprise par la police, et ne pouvait plus dormir le soir sans avoir fumé.

J’ai recherché vainement des solutions auprès des institutions, et je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait pas de propositions concrètes tant que Tom n’avaient pas passé les limites de la délinquance. Entre l’assistante sociale, les associations de lutte contre la toxicomanie, la visite chez un psychologue, rien de tout cela ne me paraissait adapté à la situation, d’autant que je me sentais totalement responsable et impliqué.

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L’année scolaire était déjà bien engagée, les résultats plus que médiocre, et la violence de Tom commençait à avoir des répercutions sur tout son entourage. Il fallait le sortir de là au plus vite. J’ai donc pris la décision de le déscolariser avec l’accord de sa mère et l’appui de la CPE alors que les professeurs et le proviseur y étaient opposés, prétextant que Tom ne reprenne jamais le chemin de l’école.

J’ai donc proposé à Tom de partir, ensemble, pendant trois mois, traverser le Kirghizstan à cheval.

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Mr M : Comment Tom a-t-il appréhendé ce projet de voyage à l’autre bout du monde (et surtout dans des conditions loin du confort de la ville) ?

Renaud : Nous avons eu une très longue discussion avant de parler du projet à proprement dit. Il a fallu arriver à lui faire reconnaître que tout dans sa vie le ramenait à l’échec, l’école, mais aussi le hockey où il avait été parmi les meilleurs et ses relations familiale très conflictuelles…

Au départ, il était totalement opposé à quitter les copains, les sorties en boite, le sport, sa mère, et la marijuana qui avait pris la place d’un anxiolytique … Quand nous lui avons annoncé que nous lui proposions de partir seul avec son père pendant plusieurs mois à cheval, il a cru que le ciel lui tombait sur la tête…. L’idée de se sentir mis de coté et d’être différents des autres lui était insupportable. L’effet du groupe, du clan chez les jeunes est très puissant, le marketing l’utilise à toutes les sauces… et ça marche.

Sa plus grosse peur, n’était pas de se retrouver dans la steppe, à vivre dehors, sans confort, mais à confronté à son père 24h/24h sans échappatoire. Après quelques semaines de discussion, il a finalement accepté de partir mais n’a pas changé pour autant, il a tout fait pour compliquer la préparation, pensant surement que je finirais par me décourager…

Mr M : Avez-vous reçu l’aide d’une personne extérieure pour préparer Tom (et vous même) « psychologiquement » à cette aventure ?

Renaud : La préparation du voyage a été longue et très compliquée, surtout nerveusement. Je suis passé par de grosses périodes de doute, mais je n’avais pas le droit de le montrer, car Tom n’attendait que ça, nous avions des confrontations quotidiennes parfois violentes et je devais être sans faille.

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Longtemps j’ai cherché de l’aide, mais les « acteurs de l’éducation » n’apprécient guère ce genre de démarche, car elles ne rentrent pas dans les cases, et le risque est perçu comme impossible par ces gens.  Heureusement autour de moi, ma compagne a joué le jeu, et c’est souvent elle qui venait à mon secours quand la situation dégénérait. J’ai rapidement compris qu’il nous fallait un guide, non pas pour affronter les pistes du Kirghizstan, mais pour braver les murs d’incompréhension qui nous séparaient avant le départ. J’avais aussi conscience de ne pas être un papa irréprochable.

Nous avons fini par rencontrer Matthieu MELCHIORI qui allait devenir en quelque sorte notre mentor. Cet ancien chef de service de centre d’éducation, qui s’est reconverti, en conseiller éducatif privé à réussi dès les premiers contacts à rétablir une  communication sereine. Il nous a permis de libérer la parole,  et surtout d’aborder les sujets les plus sensibles avant le départ. Son aide nous a été aussi très précieuse après le voyage. Sans lui le chemin aurait été encore plus périlleux.

Mr M : Je crois savoir que votre choix de locomotion a joué un rôle clé dans votre aventure. Comment en êtes-vous arrivé à choisir de partir à cheval et qu’est-ce que ce contact avec l’animal vous a apporté ?

Renaud : Au départ j’ai caressé l’idée de partir en voiture, mais très vite je me suis rendu compte que cela deviendrai vite problématique. J’aurais encore été celui qui maitrise les choses. Je devais donc trouver un moyen de locomotion où nous serions tous les deux sur un plan d’égalité, où Tom pourrait avoir l’occasion d’apprendre et de dépasser son père. Ensuite, l’idée du cheval m’est venue naturellement en pensant aux kirghizes qui sont des cavaliers dans l’âme. Nous étions tous deux totalement inexpérimentés, mais j’étais convaincu que c’était la solution.

La traversée du pays à cheval a facilité nos rencontres avec les habitants. Elle a été pour Tom un excellent moyen de gérer son agressivité. Le cheval a également l’avantage d’être un formidable médiateur thérapeutique, il a cette faculté d’apaiser et d’agir en miroir pour révéler des comportements « inadaptés », j’ai pu en faire aussi l’expérience à de nombreuses reprises. Nos quatre  chevaux ont ainsi joué le rôle de tampon entre nous en prenant la place d’une troisième « personne » quand les tensions étaient trop fortes.

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Mr M : Le voyage s’est donc déroulé un peu à l’image d’une initiation, faite de réussites, mais surtout de moments de crise. En quoi ces « crises » furent-t-elles libératrices ?

Renaud : Je crois qu’il est important de comprendre que cette aventure s’est déroulée dans un espace tellement isolé, et loin de tout. Nous étions un peu comme sur un bateau en pleine mer, obligé de trouver des solutions aux problèmes et aux conflits que nous rencontrions.

Les conditions difficiles, la fatigue, l’inconfort et les dangers, étaient sources de stress. Ces épreuves ont souvent dégénéré en crise, mais ceci était l’occasion d’apprendre et de se dépasser. Nous avons dû compter l’un sur l’autre, et se faire confiance, ce qui était loin d’être gagné au départ. Tom a dû aussi se prendre en charge rapidement, car je ne pouvais pas tout gérer.

Au delà des crises liées aux circonstances, il a fallu aussi désamorcer la colère latente que Tom nourrissait à mon égard depuis de nombreuses années. J’ai du m’efforcer de ne pas répondre à ses provocations agressives et reconnaître sa souffrance causée par trop d’incompréhensions et de non-dits. Il était essentiel que Tom puisse se sentir aimé, et qu’il sache que je ne me défaussais pas face à mes responsabilités lors de la séparation. Je n’avais pas toujours été présent, c’était important qu’il comprenne pourquoi.

En fait, chaque crise était l’occasion de pouvoir libérer un peu plus la parole. Nous avons passé de longues soirées à discuter du passé au coin du feu de camp, chacun a pu aborder tous les sujets, je n’ai jamais refusé de répondre à ses questions même si parfois cela a été très dure de me mettre à nu.

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C’est véritablement un voyage initiatique que Tom a vécu, à l’image des rites de passage à l’âge adulte qui se déroulent encore en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine. Lors de ces rites, les jeunes vivent une épreuve physique et morale porteuse de sens, positive mais les exposant à la peur, aux dangers, à l’endurance, et à la douleur.

Ces expériences procurent un bagage irremplaçable pour la vie. L’épreuve du rite renforce l’identité, l’ancrage et redonne un sentiment de fierté face à la société. Autant de cadeaux qui viennent enrichir l’estime de soi et donne un sens profond à la vie.

Mr M : En plus de ce risque évident pour l’éducation de Tom, l’aventure elle-même constituait un risque « physique ». Quels dangers avez vous dû braver lors de ce voyage ?

Renaud : J’ai parfois le sentiment que notre société est malade de surprotection, nous ne savons plus prendre de risque, nous sommes assuré pour tout, l’aventure est devenu un produit de consommation courant. Je voulais que mon fils apprenne à gérer ses peurs, et qu’il soit capable de s’engager et prendre des risques mesurés.

Partir avec quatre chevaux sans avoir trop d’expérience, était effectivement risqué ! Ce serait mentir de dire que je n’ai pas eu peur pour la sécurité de Tom, mais j’avais le sentiment qu’il risquait plus à rester au lycée et continuer sa descente aux enfers que de partir vivre cette aventure un peu folle.

Le Kirghizstan est un pays tout en montagne, la moyenne d’altitude est autour de 2700 m. Les infrastructures sanitaires sont peu développées et les moyens de transport en cas d’accident sont assez archaïques. Les risques liés à la haute montagne sont multiples, les changements de météo brutales, à 3700 m, le thermomètre peut descendre en quelques minutes à -10 degrés, la neige peut tomber en abondance en plein mois de juillet.

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Au delà des chutes de cheval, nous avons aussi emprunté des chemins particulièrement dangereux, où nos chevaux risquaient de dévaler des précipices.  Nous avons aussi traversé des rivières en crue, un désert au sud du pays à la frontière chinoise, autant de situations critiques.

Enfin, les kirghizes sont des gens extrêmement accueillants, mais comme partout, il y a des bandits et des personnes qui peuvent représenter un certain danger. On nous a informé que les voleurs de chevaux pouvaient être partout, et nous avons dû être vigilants pour que nos amis ne finissent pas sur les étals d’un boucher…

Mr M : Cette coupure avec le quotidien de Tom a visiblement été une opportunité d’apporter certaines valeurs et surtout des réponses que la société n’arrivait pas à offrir à votre fils.

Renaud : En effet, passer trois mois en pleine nature, à vivre dehors aux contacts des chevaux et des hommes dans la montagne, ne laisse pas indemne. Tom était, comme la majeure partie des adolescents, hypnotisé par les messages des médias, accrochés aux marques, à l’argent. À aucun moment il ne pouvait remettre en question ces dogmes. L’écologie et le développement durable, c’était, à ses yeux, pour des marginaux comme son père. J’avais conscience qu’il était nécessaire de l’éloigner de son environnement suffisamment longtemps pour qu’il puisse prendre du recul, cela ne pouvait pas se faire en passant un mois de vacances à la campagne.

Au Kirghizstan il a fallu qu’il abandonne de lui même les codes occidentaux pour s’adapter aux règles et aux coutumes locales. Il a pris conscience de l’importance du respect des anciens, des animaux et de la nature sauvage. Tom a compris que nous étions tous interdépendants, que chaque intervention sur la nature peut engendrer une déstabilisation de tout un écosystème. Il a aussi compris comment sa consommation est directement liée à l’évolution pérenne de la planète.

Je crois surtout que cette aventure lui a permis de se remettre en contact avec ses propres émotions, et d’apprendre qui il était vraiment.

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Mr M : On ne voudrait pas trop en dire pour laisser le suspense, mais comment va votre fils aujourd’hui ?

Il va plutôt bien, il passe son bac dans quelques jours, et vient d’être accepté dans une école à Lyon qui prépare des jeunes aux métiers de l’humanitaire et du développement durable. L’aventure continue…

Mr M : Enfin, vous nous apprenez avec étonnement que vous suivez notre réseau « Mr Mondialisation » depuis plusieurs années ; et Tom aussi depuis peu ! Avez-vous « rencontré » des valeurs universelles comme l’humanisme, l’authenticité ou encore la simplicité volontaire, que nous tentons de diffuser, lors de cette aventure ?

Oui en effet, Mr Mondialisation fait partie des nombreux médias que nous lisons, c’est une source d’inspiration pour vivre, mais c’est surtout des informations qui permettent d’envisager un avenir positif pour notre civilisation, ce qui est si difficile à trouver aujourd’hui….

Le Kirghizstan est un pays relativement pauvre, une majeure partie de la population est semi nomade et travaille dans l’agriculture, plus particulièrement dans l’élevage. Le manque de moyen, la rudesse des conditions climatiques, permettent de comprendre combien il peut être difficile de survivre dans ce pays. De plus, la société de consommation n’a pas vraiment pris sa place, il y a donc encore tout un fantasme projeté sur la modernité. Néanmoins, c’est un peuple issu du chamanisme,  qui en a conservé certaines valeurs et usages. Un profond respect pour l’homme, la nature, les territoires et l’animal anime chaque tchaban (berger à cheval).

La simplicité oui, mais pas volontaire, car ils ont peu de moyen. Certains n’ont pas de voiture, ils se déplacent à cheval. Le manque de bois oblige les habitants à se chauffer avec les bouses de vaches et de yacks. Dans les villages, ils n’ont souvent pas l’eau courante, ce sont les enfants qui s’occupent de cette tâche. Les familles possèdent en général un petit troupeau de mouton et/ou de chevaux. C’est le moyen de subsistance le plus répandu, car ici on mange de la viande de cheval, et beaucoup, malgré que cet animal soit sacré dans la culture ancestrale.

Tom a été particulièrement touché par l’accueil qui nous était réservé dans les familles souvent très pauvres. Cela fait partie de leur culture, tout étranger est le bienvenu. Régulièrement, au passage des yourtes, des femmes venaient nous offrir un bol de koumis, un morceau de fromage ou un verre d’eau fraiche, comme ça, sans rien attendre en retour. Si nous engagions la conversation, très rapidement nous étions invités à manger et à dormir. Non pas parce que nous étions des Occidentaux, mais parce que nous étions des voyageurs.

J’ai remarqué au cours de mes précédents voyages que l’hospitalité, et l’ouverture à l’autre, se rencontrent plus rarement dans les pays industrialisé, car la peur de l’autre est entretenue par les institutions et les médias. L’individualisme est désormais une valeur plébiscitée. En 2012, je suis parti de France pour rejoindre la Sibérie avec mon amie en véhicule aménagé pour dormir dedans. Nous avons traversé toute l’Europe sans faire la moindre rencontre, c’est seulement arrivé en Roumanie que notre voyage a réellement commencé. Nous avons été accueillis par de nombreuses familles roumaines ainsi que des communautés de gens du voyage. En voyant cela, j’ai eu le sentiment de comprendre que la richesse et la modernité étaient inversement proportionnelles à l’ouverture du cœur. C’est une des raisons qui m’a donné l’envie de transmettre cet amour du voyage, et de l’imprévu à Tom. Je sais qu’il en fera bon usage…

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Sources : babelio.com / interview de Renaud François par www.mrmondialisation.org

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