La plaine du Pô dans le nord de l’Italie est actuellement la région d’Europe « la plus gravement touchée par la sécheresse » selon la Commission européenne, affectée par une intrusion d’eau salée. Dans cette région, l’agriculture a toujours bénéficié de terres fertiles grâce au , le plus important fleuve italien, tant par sa longueur, son débit que par son bassin hydrographique qui couvre un quart du territoire national de l’Italie. Il traverse pas moins de 5 régions, toutes décrétées en état d’urgence par le gouvernement italien le 4 juillet dernier : le Piémont, la Lombardie, l’Emilie-Romagne, le Frioul-Vénétie-Julienne et la Vénétie.

L’Italie a connu cette année un épisode de sécheresse sans précédent par son intensité et sa précocité. Une sécheresse liée au réchauffement climatique, provoqué par l’activité humaine. Cet épisode se manifeste par des symptômes particulièrement visibles : hausse des températures, rareté des pluies, absence de neige dans les montagnes.

Il en résulte un assèchement des lacs et rivières, dont le fleuve du Pô qui traverse d’ouest en est tout le nord du pays. Le Pô a donc connu une diminution soudaine de son volume et de son débit. Le delta du Pô, situé à cheval sur les régions de Vénétie et d’Emilie-Romagne et bordant la mer Adriatique du Nord, a été le lieu d’une intrusion marine d’environ 30 kilomètres. Les répercussions sur l’activité humaine sont importantes : perte massive de productions agricole et énergétique.

Carte topographique du nord de l’Italie avec, en surbrillance, la Bassa padana, partie centrale et orientale de la plaine du Pô”. Source : Wikimedia Commons

Qu’est-ce qu’une intrusion d’eau marine ?

Le journal italien Geopop de vulgarisation scientifique (qui dispose également d’une chaine Youtube), nous aide à comprendre la crise écologique historique que traverse actuellement le nord de l’Italie et nous éclaire sur le fonctionnement de l’intrusion d’eau salée, graphique du delta fluvial à l’appui :

Source : aquaportal.com

Dans un article, il est expliqué que l’intrusion d’eau marine est un phénomène naturel typique des milieux côtiers, en particulier dans les cas des deltas. Cela se vérifie lorsque l’eau salée de la mer parvient à pénétrer dans la nappe phréatique pour un certain nombre de kilomètres à cause d’un débit réduit du fleuve.

Dans le cas du Pô, où l’intrusion marine aurait atteint près de 30 kilomètres, la sécheresse et bien évidemment le réchauffement climatique en sont les causes. Et elles engendrent de terribles conséquences pour l’agriculture.

Le débit du Pô est exceptionnellement faible

Le journal italien nous apprend que lorsque le fleuve se jette dans la mer, une superficie de contact entre l’eau salée et l’eau douce se crée. En effet, l’eau du fleuve pousse vers la mer en même temps que l’eau marine pousse vers l’intérieur des terres. L’eau douce étant moins dense que l’eau salée, elle reste donc plus en surface et flotte au-dessus de l’eau salée, comparable à l’huile qui reste en surface par rapport à l’eau. Dans l’imaginaire collectif, la séparation entre les deux masses d’eau serait nette, or on observe en réalité une aire de transition graduelle du passage d’une eau à une autre.

D’ordinaire, la poussée de l’eau salée est contrebalancée par celle de l’eau fluviale, provoquant une situation d’équilibre. Mais en cas de sécheresse, la poussée du fleuve vers la mer est plus faible, l’eau salée parvient donc à se frayer un chemin à l’intérieur des terres et à travers les nappes phréatiques. C’est donc ce qui s’est passé dans le cas du Pô où l’intrusion marine (entre 20 et 30 kilomètres) s’est réalisée en très peu de temps, mais aussi très tôt dans l’année.

Pourtant, le delta du Pô est équipé d’infrastructures (barrières anti-sel) pensées pour prévenir une situation de sécheresse et de débit du fleuve inférieur à 450 mètres cubes par seconde. Mais cette année, les records de température, les pluies rares dans la région (le Piémont a par exemple connu près de 110 jours sans une seule goutte de pluie), ou encore l’absence de neige sur les montagnes censé alimenter le fleuve, ont eu raison de ces infrastructures. En effet, celles-ci se sont rendues inefficaces étant donné le débit extrêmement et exceptionnellement faible du Pô cet été (environ 150 mètres cubes par seconde selon Rodolfo Laurenti, vice-président du Syndicat d’irrigation du Delta du Pô).

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Les conséquences sont graves 

Selon Geopop, la conséquence immédiate d’une intrusion d’eau salée se situe dans les nappes phréatiques. Celles-ci se remplissent d’eau salée et deviennent inutilisables à des fins agricoles, tandis que le processus d’assèchement des zones côtières est accéléré. Cela est d’autant plus préoccupant que la région de la plaine du Pô représente environ 40% de la production alimentaire italienne.

Selon le syndicat Coldiretti, 30% de la production agricole nationale de blé et de maïs se retrouve aujourd’hui menacée par cet épisode de sécheresse. La production de riz inquiète également quand on sait que la plaine du Pô abrite la plus grande rizière d’Europe.

L’agriculture n’est pas le seul secteur touché par la sécheresse. Celui de l’énergie est aussi en proie à des difficultés puisque de nombreuses centrales hydroélectriques ont vu leur production ralentir, voire carrément être mise à l’arrêt. L’association Assoidroelettrica estime une baisse de production supérieure à 55%. Son directeur Paolo Taglioli craint d’ailleurs un remplacement de l’énergie produite avec l’eau par celle du gaz, bien plus coûteuse sur les plans économiques et écologiques.

De plus, selon Geopop, l’intrusion d’eau salée peut provoquer dans les cas les plus graves des problèmes d’approvisionnement des aqueducs, étant donné que ces structures ne sont généralement pas équipées d’usines de dessalement. Enfin et surtout, la présence massive d’eau salée à l’intérieur des terres peut compromettre les équilibres des écosystèmes du delta du Pô, endommageant la faune et la flore.

La technologie peut-elle nous sauver ?

Et si l’idée folle de résoudre les problèmes environnementaux par la technologie nous venait à l’esprit ? Cela reviendrait à devoir dessaler l’eau marine, un procédé techniquement possible (distillation ou osmose inverse) mais encore trop coûteux, énergivore et polluant. Cela dit, un second article de Geopop évoque l’avancement de la recherche sur ce sujet. Par exemple, la revue Nature Sustainability propose une méthode de désalinisation sans l’usage de substances chimiques, à l’aide uniquement de l’énergie solaire. Mais le processus est encore en phase d’étude et d’expérimentation.

L’être humain s’auto-sabote

Le plus inquiétant, ce n’est pas seulement la sécheresse épisodique de l’année 2022, mais surtout la réalité d’un changement climatique déjà enclenché : les événements de ce type se répéteront et s’aggraveront en même temps que les conséquences de la crise climatique se feront ressentir.

L’activité humaine est présente aux deux bouts de la chaîne de la crise climatique, en tant que cause première et victime finale. La logique productiviste peut ainsi se résumer en un seul mot : auto-sabotage, synonyme : écocide.

Benjamin Remtoula

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