Assez de marches pour le climat, de pétitions, de discours, d’évènements sans lendemain. Pour Vito, il est temps d’aller plus loin, de frapper fort. Parce que nous avons été trop longtemps insouciants, dolents, ivres d’un confort moderne dont on croit ne plus pouvoir se passer et qui nous a endormis alors que les alarmes résonnent autour de nous. S’appuyant sur l’héritage de Gébé et de sa BD « L’an 1 », Vito imagine dans un livre abondamment illustré de dessins de sa main comment nous pouvons -nous devons- repenser nos espaces de vie, jusqu’à même notre façon d’appréhender cette vie.

« Utopique ! » ou comment tout recommencer

L’auteur est conscient que son programme et ses idées ne convaincront pas tout le monde, mais malgré tout il prend le risque de déplaire en détaillant quelle serait pour lui une société plus résiliente, enfin respectueuse du Vivant. Sachant qu’il s’expose à des critiques, Vito désamorce d’emblée celles qui ne manqueront de lui parvenir en particulier sur son regard critique envers la voiture. Un point qui ne manquera pas de déconcerter les habitués que nous sommes à ce moyen de transport devenu primordial dans nos modes de vie modernes.

Car dès les premières pages Vito nous prévient clairement que la révolution écologique telle qu’il l’envisage sera radicale et nécessite des sacrifices importants, sans quoi le désastre nous attend. Elle comprend une nouvelle organisation politique, un ralentissement économique, un abaissement de notre niveau de vie (moins mais mieux), pour à l’inverse un goût retrouvé de l’effort, de la solidarité et de l’entraide. La course au progrès technologique sera aussi mise en suspens, et tant pis pour ceux qui pensent encore y voir la solution magique à nos maux actuels. Pour lui, ce dernier contribue plus à nous isoler les uns des autres et entraîne des coûts énergivores désastreux pour l’environnement.

Mais le nerf de la guerre, ce que Vito tient principalement dans sa ligne de mire et ce autour de quoi tourne son ouvrage, c’est une analyse, une refonte de notre organisation urbaine actuelle et de tout ce qui en découle : la distribution des espaces urbains, qu’ils soient dévolus aux habitations ou aux commerces (distribution d’ailleurs créatrice de tensions sociales, comme finement évoqué avec la crise des Gilets Jaunes), la circulation des citadins, mais surtout ce qu’il qualifie de fléau : l’hyper-mobilité.

Le regard que Vito porte sur l’urbanité actuelle est sans concession : les voitures individuelles dénaturent nos villes par leur omniprésence, prenant une place considérable alors qu’elles ne transportent souvent qu’une personne, coupant les espaces de vie, gênant les autres citadins (cyclistes, piétons), tout en polluant l’atmosphère de bruit et de CO2. Et le mythe de la voiture propre n’y changera rien. La ville utopique de Vito ne passera plus par la voiture.

Situation actuelle

A sa place sera envisagée la prédominance des transports en commun (tramways), des véhicules (électriques) partagés, la revalorisation du rail et surtout, au niveau individuel, le vélo. Les villes s’adapteraient avec des espaces dédiés et cela d’autant plus facilement que nombre de cités, de quartiers, existaient déjà avant l’invention de l’automobile. Et dans sa ville utopique réaménagée Vito n’oublie pas de réserver de la place à la permaculture en commun grâce à l’espace libéré par la fin du tout-voiture. Un moyen de reverdir notre environnement urbain et d’y récolter de quoi nous nourrir, pour une harmonie retrouvée entre la ville et l’écosystème. L’espace en périphérie des villes devra aussi être reconquis sur les lotissements, les zones commerciales qui y ont poussé pour les rendre à une agriculture raisonnée et de proximité.

Utopie ?

Les campagnes ne sont pas épargnées par le regard critique de Vito : bien souvent celles en proche banlieues des villes ne servent que de dortoirs qui au matin déversent les travailleurs sur les routes, chacun à bord de sa voiture individuelle bien sûr, et nous revoici en terrain familier. La campagne impose une dépendance à la voiture et aussi à la grande distribution. Et ironiquement au lieu de rapprocher les gens, elle ne fait que les isoler.

Là aussi, repenser l’organisation de l’espace reviendra à repenser la place de ces campagnes qui actuellement sont de plus en plus laissées à l’abandon pour les inclure dans un système dynamique qui revalorisera l’activité agricole, elle aussi peu à peu abandonnée :

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Le pari de Vito reste pour l’instant de l’ordre de l’utopie, l’auteur étant bien conscient qu’il faudra un effort de volonté très conséquent pour convertir les personnes de notre génération à la vision qu’il nous propose. Nous avons par trop été habitués à du confort aussi inutile que dévastateur pour notre environnement et tôt ou tard se posera la question de ce que nous sommes prêts à sacrifier pour nous sauver. Envisager un monde plus sobre, plus collectif pour être viable à long terme. Les réflexions sont ouvertes…

Après le livre, l’auteur !

D’abord une rapide présentation pour que nos lecteurs en sachent un peu plus sur la personne derrière l’avatar ?

Dans le civil je suis Victor Locuratolo, né à Lille en 1982. « Vito », c’est un clin d’œil à mon grand père qui était d’origine italienne, il m’a appris les rudiments du dessin. Dans ma famille il y a aussi des paysans auvergnats, de la petite bourgeoisie du Nord, des ouvriers de la banlieue parisienne ayant connu l’ascenseur social… Depuis l’enfance je côtoie donc une grande diversité de gens, de sociologies et de lieux. Ça a forgé mon regard sur les choses, ça m’a donné du recul sur la société…

Du fait de cet environnement hétéroclite, j’ai toujours eu du mal à choisir entre activités intellectuelles et manuelles, et je crois que j’ai trouvé un bon compromis en faisant du dessin d’humour et des livres illustrés: c’est un métier qui oblige à s’intéresser au monde, avoir un esprit de synthèse, mais c’est aussi un genre de savoir-faire artisanal. Depuis 5 ans c’est devenu mon principal gagne-pain, je joue beaucoup sur les circuits courts: je peux compter sur les librairies indépendantes, les petits festivals. Au fil des années il y a de plus en plus de gens qui suivent mon travail et m’encouragent, donc je continue. 

J’espère que dans le monde d’après je pourrai aussi consacrer plus de temps à la permaculture, continuer à sillonner la France à vélo ou à pied, construire des aménagements écolos dans mon quartier, continuer des projets interrompus par le confinement, comme cette réalisation d’une carte illustrée avec des habitants du quartier de l’Alma à Roubaix.

Comment l’envie de mettre sur papier ta société utopique est-elle apparue ? D’où est venu le déclic, une émission, une expérience, une lecture ?

Je crois que la société utopique que j’imagine était déjà en gestation dans mes précédents livres. Certains dessins ont même été ébauchés il y a plus de 10 ans, lors d’un « appel à idée » pour la ville de Montréal. En fait ça fait longtemps que j’essaie d’imaginer à quoi pourraient ressembler nos villes et nos territoires si on jouait vraiment le jeu de l’écologie: La fin du tout-voiture, de la grande distribution et de la surproduction, puis le retour de la paysannerie, de l’artisanat, l’invention d’une société basée sur le partage, sur l’échelle humaine et sur la sobriété énergétique… beaucoup de gens en parlent très bien, mais j’avais besoin de la visualiser, de l’imaginer à grande échelle et dans différents contextes géographiques. Évidemment c’est un exercice périlleux, je suis conscient de m’être parfois un peu égaré…

Je dirais que la lecture de « The geography of nowhere » de James Howard Kunstler a été un tournant (pour le coup c’est dans un livre de Naomi Klein que j’ai découvert son nom). C’est la première fois que je tombais sur un auteur qui partageait à ce point mon rejet du territoire contemporain, de l’american way of life en général. Par la suite j’ai découvert que de nombreux autres intellectuels avaient théorisé cette aliénation de l’Homme par la technique et la vitesse, Ivan Illich et Jacques Ellul notamment. Mais il y a aussi des dessinateurs des années 70 comme Gébé ou Crumb, et puis il y a eu ma rencontre avec le journal de la décroissance et casseurs de pub.

As-tu une formation (autodidacte, universitaire…) qui t’a aidée pour établir les versions revisitées de nos villes ?

J’ai étudié l’architecture (et dans une moindre mesure l’urbanisme) entre 2001 et 2006, j’ai même un diplôme d’État. J’ai d’ailleurs travaillé pendant  5 ans dans le domaine, principalement au Canada. Lors de mes études j’ai constaté à quel point il était difficile d’inclure la thématique écologique dans les projets d’atelier. En dehors de quelques félons, les architectes ont globalement du mal à se désintoxiquer de l’enseignement moderniste qu’ils ont reçu, à remettre en question le béton armé notamment. (Enfin depuis le temps ça a peut-être changé…).

Cela dit je dois reconnaître que ces études m’ont tout de même appris à décortiquer la ville et le territoire. Par contre en ce qui concerne le dessin, je suis plutôt autodidacte. Ça vous étonnera peut-être, mais on ne dessine presque plus dans les écoles d’architecture, les ordinateurs ont quasiment tué cette facette poétique du métier.

Un message à faire passer à nos lecteurs ?

Un souhait peut-être? J’aimerais vraiment qu’on essaie quelque chose collectivement. On évoque souvent la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Et bien je dois vous dire que même s’il n’y avait pas ces deux épées de Damoclès au dessus de nos têtes, j’aurais dessiné presque exactement la même société utopique. Nous ne devons pas seulement être guidés par l’angoisse de la fin du monde.

Ce qui doit nous inspirer, c’est la recherche de la beauté, de la convivialité, de la simplicité volontaire, de l’harmonie, du partage, de l’effort, de l’aventure humaine. Et pour cela nous devrons certainement renoncer à la plupart des technologies qui nous on rendu la vie plus facile…et le monde invivable. Peu de personnalités médiatiques de l’écologie osent dire cela, c’est bien dommage…

« Utopique ! » est un livre auto-édité, pour se le procurer il faut se tourner vers des librairies partenaires dont la liste sera sous peu disponible sur la page facebook de Vito ou bien le contacter directement sur le réseau social. Son précédent livre (« Palimpseste, un regard sur la France contemporaine »), peut être commandé sur le site des Éditions nomades.

S. Barret

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