Les chiffres ne mentent pas. Tandis que l’année 2017 a été reconnue comme l’année la plus chaude enregistrée depuis le 20° siècle, juste après 2016, certains puissants acteurs mondiaux comme les États-Unis refusent toujours de se consacrer à la transition énergétique, arguant pour cela l’éternelle raison économique. Et pourtant, Dante Disparte, PDG et fondateur de Risk Cooperative et expert dans l’économie de l’environnement, nous démontre dans son dernier livre que ne rien faire contre le réchauffement climatique nous coûtera bien plus cher. Alors, pourquoi ce mythe est-il tenace ?
En mai 2017, sur fond de climatoscepticisme palpé de relents nationalistes, Donald Trump a pris la décision de retirer les États-Unis de l’accord signé à la COP21 de Paris en 2015. Le but de cet engagement international était de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici 2050. Ainsi la première puissance mondiale se retrouve dans la camp de la Syrie et du Nicaragua contre ce traité. En rendant sa décision, le président des États-Unis avait avant tout avancé des raisons économiques : passer à un système mondial moins polluant signerait un grand recul des industries américaines, la fermeture de nombreuses usines, la perte d’emplois, des salaires plus bas ainsi qu’une production économique considérablement diminuée. Un danger pour la croissance et, ici, l’hégémonie américaine. Vraiment ?
Les grandes puissances prennent le problème à l’envers…
Parmi les bons et les mauvais élèves de cet accord pour le climat, l’Europe, le Canada, l’Australie, le Brésil font partie des élèves moyens. Un statut se rapprochant du fameux “des progrès mais peut mieux faire”. À l’opposé du Maroc, jugé comme le “pays modèle contre le réchauffement climatique”, les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde appartiennent aux cancres de la classe. Et ce n’est pas sans raison. C’est dans cette optique que Dante Disparte, PDG et fondateur de Risk Coopérative, spécialiste des conséquences économiques du réchauffement climatique, dénonce dans son ouvrage ce qu’il appelle “le revers de la médaille”.
“Le changement climatique lui-même est mauvais pour l’économie et investir dans la transition n’est pas seulement une priorité pour la sécurité nationale, mais c’est aussi une énorme opportunité économique.”
En effet, « ne rien faire » aujourd’hui conduira inévitablement à des chocs économiques importants que les États se doivent d’anticiper. Selon ses estimations, 301 des plus grandes villes du monde voient leur part du PIB national menacée par le changement climatique, pour un montant dépassant les 1,5 trilliard de dollars (soit 1500 milliards). Des villes qui se trouvent majoritairement dans les plus mauvais élèves dont les USA.
Second élément important à prendre en compte avec le réchauffement climatique : l’aggravation des épidémies et des maladies causées par la hausse des températures. D’un point de vue économique, on estime ces pertes à près de 2,2 trilliards de dollars sur la production globale d’ici 2025 (2200 milliards). Des chiffres astronomiques à peine imaginables.
Autre exemple de perturbations causées par la crise climatique sur l’économie, les catastrophes naturelles à plus forte puissance (mais pas nécessairement plus nombreuses). On peut citer le célèbre ouragan Katrina qui a dévasté les États-Unis en 2012, causant près de 68 milliards de dollars de dommages. Plus récemment, citons les exceptionnelles chutes de neige à Boston durant l’hiver 2015 qui ont paralysé tous les systèmes de transports en commun pendant des semaines, empêchant plusieurs employés de se rendre au travail et ralentissant toute l’activité globale de la ville. Car, oui, le changement climatique ne s’exprime pas qu’en été.
Il est possible d’allonger la liste par de nombreux événements météorologiques extrêmes imputés au réchauffement climatique. Par exemple, la “bombe de pluie” qui a menacé le barrage d’Oroville en Californie au début de l’année dernière et forçant plus de 250 000 résidents à évacuer, un phénomène similaire qui a détruit le centre-ville historique d’Ellicott City (près de Washington) en 2016, le “smog rouge” et les interdictions totales de circuler dans quelques grandes villes du monde entier tout comme les inondations records survenues en 2011 en Thaïlande et qui ont eu de graves répercussions sur les voyages aériens autour de l’Asie, bloquant à la fois les échanges commerciaux mais aussi touristiques.
Tout ceci génère inévitablement un ralentissement de l’économie mondiale. Mais seule une vision holistique de long terme permettrait d’en prendre pleinement conscience. Dès lors, les figures politiques dans le déni souhaitent-elles vraiment résoudre des problématiques de long terme, dont les effets se feront ressentir sur plusieurs générations, où de s’assurer une carrière politique de court terme ?
Une influence décisive sur les relations géopolitiques actuelles
Comme nous l’explique Dante Disparte dans Global Risk Agility and Decision Making, le changement climatique pourrait être, à terme, à l’origine de plusieurs conflits mondiaux sur le plan géopolitique, dans lesquels des perspectives de guerre et d’un bouleversement social ne peuvent être exclus. Ainsi, “comment le pays du Panama sera-t-il affecté par les nouvelles routes maritimes du Grand Nord ? Comment l’accaparement des terres sous-marines se déroulera-t-il sous la diminution des calottes polaires, alors que les nations de l’Arctique se disputeront des ressources naturelles inexploitées ?”
Enfin, Dante Disparte affirme que l’instabilité de certaines parties du monde serait accentuée par le réchauffement climatique selon les dirigeants militaires des États-Unis et du Royaume-Uni, tissant dès lors des liens indirects entre le changement climatique et le printemps arabe, la guerre civile syrienne ou l’insurrection de Boko Haram. De ce fait, les migrations déstabilisatrices provoquées par le climat et les événements qui s’y rattachent ne feront que s’accentuer à mesure que les effets du réchauffement climatique s’aggravent. D’autres auteurs et études ont par ailleurs démontré un lien entre les bouleversements climatiques et la formation de groupes terroristes dans les zones les plus fragilisées.
“Lorsque les gens ne peuvent pas se rendre au travail ou que des produits ne peuvent pas être expédiés, ou que les clients ne peuvent pas se rendre dans les magasins, l’économie globale en souffre.”
De plus, les budgets publics, déjà mis à mal dans la plupart des pays occidentaux, sont désignés comme “ressource de premier recours” lorsque survient un quelconque accident dû au réchauffement climatique. Ces pertes imprévues, et non moins importantes, à l’image des réparations après Katrina, les tsunamis, ou autre catastrophes, finissent généralement par être assumés par les contribuables. Enfin, il faut aussi prendre en compte les problèmes économiques sur le long terme, comme le phénomène “d’îlot de chaleur urbain”, dû à une trop forte pollution et rendant des centres urbains importants comme Las Vegas, Santa Fe ou Dallas invivables, entraînant de ce fait un ralentissement de l’industrie, du commerce et de l’économie en général.
Comme cité plus haut, le réchauffement climatique n’augure pas seulement une hausse des températures, mais aussi une plus grande propagation des maladies et des virus. Ainsi, depuis plusieurs années certaines menaces vectorielles, comme par exemple le Chikungungna venu d’Asie du Sud et d’Afrique qui a fait son apparition en Europe en 2005, ou bien le virus du Nil occidental qui est maintenant endémique dans une grande partie des Etats-Unis. Même si nous pouvons contrôler la situation sanitaire, tout ceci va générer de nouveaux coûts pour la collectivité.
“La corrélation entre les changements climatiques, les pandémies humaines et les risques économiques et autres ne peut être isolée : ils sont tous connectés.” insiste Dante Disparte.
Investir dans la transition pour relancer l’économie ? Quelle économie ?
Aujourd’hui, la question n’est plus à se demander si changer notre système est nécessaire – ça l’est. La véritable question, c’est de savoir combien de temps il va nous falloir pour nous en rendre compte et sous quelle forme cette économie nouvelle doit voir le jour. Et par “nous”, il faut entendre des dirigeants tels que Donald Trump mais pas seulement. Faire partie des signataires des accords pour le climat, comme l’est la France, est insuffisant sans acte et sans changement de paradigme. Par ailleurs, l’objectif « croissance économique » reste le dogme fondateur de nos sociétés industrielles.
Mais selon Dante Disparte, les leaders des grosses industries voient en l’énergie renouvelable un nouveau fil rouge pour leur productivité. “Le secteur des énergies renouvelables est l’un des employeurs les plus dynamiques aux États-Unis, avec à lui seul près de 400 000 emplois solaires, prouvant qu’investir dans la résilience climatique ne fait pas seulement de bonnes politiques, mais aussi de bonnes affaires. Les opportunités commerciales d’investir dans le changement climatique, l’énergie renouvelable et l’adaptation humaine sont assez grandes pour créer une nouvelle génération de milliardaires.”
Énergie alternative et renouvelable, avancées technologiques utiles, prises de conscience et responsabilisation du comportement de chacun, autant d’éléments qui s’inscrivent dans la lutte contre le réchauffement climatique et pour la protection de la planète. Mais ceci sera-t-il réalisable sans changer structurellement les bases de notre société ? Car en ce moment même, le GIEC nous confirme que le scénario catastrophe est en train de se dérouler sous nos yeux impuissants. Il faudra plus que des discours pour inverser la tendance et sortir de la crise écologique.
Moro
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