Cela fait quelques années qu’une problématique se profile en catimini : de plus en plus de plateformes pétrolières arrivent en fin de vie, leurs puits se tarissant. Face au nombre grandissant de chancres industriels perdus en pleine mer du Nord, les géants du secteur doivent depuis trouver des solutions pour démanteler ces exploitations gigantesques. Lesquelles ? Zoom sur cet enjeu écologique massif. 

En 2019, Shell annonce sa dernière idée écocidaire : abandonner une partie de ses plateformes pétrolières désaffectées en l’état, en pleine mer… Si, à l’époque, cette proposition fait naturellement bondir, le gouvernement britannique rend pourtant un avis favorable à ce sujet. Cette solution revient dès lors à créer une bombe à retardement écologique à propos de laquelle les critiques continuent, encore aujourd’hui, de tomber.

Pourtant, à la même époque, plus de 700 plates-formes offshore en mer du Nord sont visées par un démantèlement, effectif dès la fin de leurs exploitations. La même année, on parle également de 7 000 puits rebouchés. Une opération de pas moins de 100 et 150 milliards de dollars sur trente ans. Outre le coût financier, le projet doit par ailleurs faire face à des structures titanesques conçues dans les années 1970, durant lesquelles les monstres de métal n’étaient pas pensés dans une optique de déconstruction future. Les bâtiments pèseraient ainsi très lourd et seraient extrêmement compliqués à désosser. 

Or, si les ruines de la course au pétrole se situent petit à petit au cœur d’un défi d’ingénierie hors-norme, il n’a fallu qu’un pas pour que Shell déclare jusqu’au forfait absolu face à ses responsabilités. En attendant, cette décision comprend des conséquences écologiques non-négligeables qui questionnent autant l’avenir de la mer du nord, qu’un passé industriel tout permis voué à se reproduire. En effet, puisque Shell vient récemment d’obtenir un feu vert pour un champ gazier décrié en mer du Nord. 

Le tarissement des puits

« Les plateformes pétrolières ont une durée de vie moyenne de 30 ans »

En mer du Nord, comme partout dans le monde, de plus en plus de plateformes pétrolières arrivent en fin de vie. Pour extraire, traiter, stocker et transporter les hydrocarbures de gisements pétroliers situés sous la mer, ces installations complexes furent longtemps rendues évidentes. Celles-ci ont cependant une durée de vie assez limitée et courte à l’échelle d’une vie humaine : une trentaine d’années environ en fonction des réserves du gisement en question.

Comme le rappelle Révolution Permanente en 2021 : « Les plateformes offshore représentent plus de 30 % de la production mondiale de pétrole en 2010 avec les 17 000 plateformes en mer mise en place à travers le globe, notamment en Mer du Nord, dans le golfe du Mexique, tout autour de la péninsule arabique et au large des côtes africaines ». Autant dire qu’un chantier titanesque, et énergivore, attend nos sociétés, comprenant des régions maritimes néo-colonisées par l’industrie.

Les structures représentent un tel volume et poids qu’elles sont souvent comparées à ceux de plusieurs tours Eiffel. L’opération représente donc un défi de taille, en termes de protection de l’environnement, de droit de la mer, de logistique et d’intérêts industriels et économiques. Une fois n’est pas coutume, il apparaît que ces derniers priment sur les autres. La priorité des industriels étant de limiter les coûts des démantèlements.

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Un problème écologique majeur

Il y a cinq ans, après quarante ans d’activité, les différentes plateformes Brent, au nord de l’Écosse, ont donc été invitées à être démantelées. Des milliers, et à l’avenir des millions, de tonnes de matériaux dégagées par bateau, ce qui constitue la plus grosse levée en pleine mer de tous les temps. Tout impressionnant qu’il soit, ce résultat est loin de résoudre le problème écologique qui se pose ensuite. Les structures de bétons sont toujours en place, dépassant le niveau de la mer, et Shell rechigne à tout nettoyer malgré sa responsabilité indiscutable et son engagement à le faire.

Comme le rappelait en 2023 le média belge Moustique : dans les fonds marins, de nombreux puits sont ainsi non-rebouchés, laissant s’échapper du méthane « un gaz 28 fois plus néfaste pour la planète que le CO2 ». Ses émissions atteignent des dizaine de milliers de tonnes. Aussi, « On compterait environ 15 000 puits abandonnés en Mer du Nord. Une catastrophe invisible contre laquelle il est bien difficile de lutter… »

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Quant aux plateformes récupérées, notamment par des chantiers norvégiens, elles n’épargnent pas d’autres questions comme celle des déchets électroniques ou encore du greenwashing potentiel que supporte l’idée même d’une « économie circulaire pétrolière »…

Toutefois, pire encore est de noyer le poisson… Un conflit politico-économique qui ne date pas d’hier. Déjà en 1995, le géant pétrolier anglo-néerlandais indiquait vouloir immerger la plateforme Brent. Greenpeace s’était alors fortement opposé à ce projet en raison de son impact écologique jugé désastreux, et Shell avait fini par annoncer qu’ils rechercheraient une solution moins néfaste pour l’environnement, reconnaissant les risques.

Plus tard, le traité de l’OSPAR, une convention internationale de protection de l’Atlantique Nord-Est et de la mer du Nord, avait ainsi été modifié pour empêcher de laisser des installations pétrolières en place, en tout ou en partie. Mais ces dernières années, des voix se sont faites entendre au Royaume-Uni pour dénoncer ce cadre légal jugé dépassé.

Des déchets toxiques laissés en mer

Et de fait, selon des études commanditées par Shell, démanteler entièrement ces exploitations pourrait être plus néfaste pour l’environnement que de les laisser en place. Le géant pétrolier, parvenant ainsi à faire planer un doute, a donc laissé dans les fonds marins certaines pièces de métal issues du forage, ses pipelines les plus gros ainsi que les énormes colonnes en béton.

Mais ces structures visibles sont en fait loin d’être le problème le plus inquiétant. « Beaucoup d’autres déchets leur sont associés » s’inquiète dès l’annonce David Santillo, de Greenpeace, pour Le Monde. À la base de ces piliers, des cellules de stockage de cinquante mètres de haut renferment toujours du pétrole et des résidus chimiques. D’après Santillo, « [i]ls savent que c’est possible techniquement d’en nettoyer le contenu. Ils ne laissent pas derrière eux du ciment “propre” », comme ils aimeraient le laisser entendre. » Au total, ce serait au moins 11 000 tonnes de pétroles et de déchets toxiques qui demeurerait bloquées au fond de la mer.

Le gouvernement soutient la solution la moins chère

Le gouvernement britannique, encore à ce jour, continue de soutenir les plans de Shell, précisant que cette technique défendue par l’industriel minimiserait les risques pour l’environnement. L’avis favorable qu’il a rendu a suscité de nombreuses réactions de la part des associations, mais aussi des partenaires du Royaume-Uni au sein de l’OSPAR.

L’Allemagne s’est ainsi officiellement inquiétée de la situation, soutenue de près par la Suède, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Le 18 août 2019, c’est la Commission Européenne qui exprimait ses sérieuses inquiétudes à Theresa Villiers, la ministre de l’environnement britannique, rappelant que le contenu des plateformes pétrolières était considéré par la loi européenne comme des déchets dangereux.

Le secrétaire d’Etat allemand à l’Environnement Jochen Flasbarth, dans des propos recueillis par The Guardian, insistait par exemple sur le prix élevé de l’enlèvement de tous les polluants, tout en rappelant que les experts jugent que l’opération est possible. Pourtant, d’après lui, « le Royaume-Uni cherche la solution la moins chère, et non la plus écologique ». On remarque une fois de plus à quel point ces externalités négatives n’ont jamais été prises en compte par les producteurs du pétrole qui n’ont pourtant pas hésité à prendre leur part de profit durant la période productive de ces plateformes. Car ils ne seront pas les seuls à payer…

Un coût supporté par les industries et… les citoyens !

@keridjackson/Pixabay

D’après des estimations publiées par Wood Mackenzie, l’industrie aurait déjà dépensé des dizaines de milliards de livres. Un coût qui devrait, en théorie, être supporté entièrement par les compagnies pétrolières. Pourtant, le Trésor britannique vole au secours de l’industrie, et l’argent des citoyens est indirectement mis à contribution.

En effet, même si Shell a dû récemment payer ses premiers impôts au Royaume-Uni après cinq années de taxes négatives auprès du contribuable, le gouvernement du Royaume-Uni leur a accordé des réductions fiscales qui se sont en moyenne élevées à 45%, afin de couvrir jusqu’à 75% des coûts de démantèlement. Au lieu d’être confrontés à leurs responsabilités, les géants de l’industrie du pétrole semblent donc une fois de plus bénéficier des largesses des gouvernements.

Pourtant, comme le rappelle Greenpeace : « Le 2 février 2023, Shell annonçait des résultats record pour l’année 2022, avec un bénéfice net ajusté atteignant 39,9 milliards de dollars ».

“Shell ne nous fera pas taire. Le monde entier doit savoir que Shell prévoit de détruire la planète, en aggravant la crise climatique et sans payer un centime pour réparer le carnage. »

Suite à cette révélation, le 6 février 2023, de nombreux activistes ont occupé des plateformes contre la continuité des activités du mastodonte. La grimpeuse Silja Zimmermann, originaire d’Allemagne, s’exprimait : “Shell ne nous fera pas taire. Le monde entier doit savoir que Shell prévoit de détruire la planète, en aggravant la crise climatique et sans payer un centime pour réparer le carnage. On a une mauvaise nouvelle pour Shell : la résistance s’organise, on ne peut plus accepter de dépendre d’énergies fossiles qui détruisent nos vies.

Nos étés sont de plus en plus étouffants, le manque d’eau impacte nos agriculteurs et détruit nos forêts, les factures énergétiques nous ruinent. Des travailleurs et des communautés entières sont à la merci de la volatilité des marchés pétroliers et gaziers. Il est temps que cela cesse. Shell doit arrêter de forer, et commencer à payer.”

– R. D.

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