« A demain mon amour », le nouveau long métrage du réalisateur français Basile Carré-Agostini, suit le quotidien plutôt atypique et engagé de Monique et Michel Pinçon-Charlot, deux sociologues de la grande bourgeoisie aujourd’hui retraités, mais bien décidés à poursuivre la lutte contre le système capitaliste inégalitaire. Au gré de leurs rencontres, des manifestations, des entretiens et des discussions sur l’oreiller, l’engagement viscéral de ce couple de septuagénaires se confirme et se respecte. Après avoir passé la majorité de leur vie à étudier et à baigner dans les plus grandes et riches familles de l’Hexagone, les Pinçon-Charlot dédient aujourd’hui leur énergie, leurs compétences et leurs savoirs aux combats sociaux des prochaines décennies et à leurs partisans. Présentation.

L’un issu d’une famille ouvrière des Ardennes, l’autre fille d’un procureur de Lozère, ils se  passionnent tous les deux pour la sociologie et c’est en 1965 qu’ils se rencontrent au détour d’un rayon de la bibliothèque de la faculté de Lille. Coup de foudre immédiat, ils ne se quitteront plus. Après avoir empoché leur diplôme respectif, Monique Charlot et Michel Pinçon décident fougueusement de se marier avant de s’envoler vers le Sahara marocain où ils enseigneront le français pendant plusieurs mois.

Crédits : A demain mon amour.

Un duo dans la vie et au travail

De retour en France et après avoir tiré de cette expérience un mémoire de maîtrise de sociologie portant sur les fonctions de classe du français dans le Maroc indépendant, ils intègrent l’Institut de recherche sur les sociétés contemporaines (IRESCO) de l’université Paris-VIII et le Centre de sociologie urbaine. Huit ans plus tard, les sociologues entrent comme directeurs de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au sein duquel ils intensifieront leur collaboration.

C’est finalement en 1980 que le couple de jeunes scientifiques décide de prendre les nantis comme objet d’étude avec un premier ouvrage écrit à quatre mains intitulé Dans les beaux quartiers. « Pour travailler sur cette catégorie sociale, il a fallu résister aux pressions du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). À cette époque, il y avait à peu près mille sociologues, cinq-cents au CNRS et cinq-cents à l’Université, et il n’y avait peut-être que trois, quatre personnes qui travaillaient vraiment sur les dominants et les puissants », explique Monique Pinçon-Charlot en 2018 à la journaliste Françoise Acker.

Les grands bourgeois à la loupe

C’est grâce à leur directeur de laboratoire du Centre de sociologie urbaine (CSU), Paul Rendu, qu’ils parviennent à pénétrer le milieu habituellement très fermé de la grande bourgeoisie française« Très vite, on a compris que c’était un milieu qui fonctionnait sur le mode de la cooptation. Dès les premiers entretiens, qu’on menait séparément, on a dit : « Vous nous avez parlé de telle personne, est-ce que vous pourriez nous recommander auprès d’elle ? »», se souvient Monique Charlot-Pinçon dans les colonnes de Libé. Il n’en a pas fallu plus pour que leur carnet d’adresses explose, permettant ainsi aux deux chercheurs de constituer une véritable méthodologie de recherche sur ce qu’ils nommeront plus tard la violence des riches.

Au total, près de trente ouvrages seront publiés par les deux chercheurs, passant en revue le mode de vie de la classe bourgeoise et leurs influences sur l’entièreté de la société française.  A partir de 2007, année de leur retraite commune, ils écriront des ouvrages plus engagés politiquement comme Le Président des riches et s’allient avec différentes forces politiques comme Jean-Luc Mélanchon ou le Parti communiste européen, dès lors « libérés de leur neutralité scientifique ». Certains critiqueront alors leur démarche et jugeront le couple Pinçon-Charlot comme faisant partie de ces sociologues qui masquent un militantisme politique derrière des travaux prétendument scientifiques.

 

Un documentaire réaliste et engagé

C’est dans ce contexte que Basile Carré-Agostini, réalisateur, scénariste et ingénieur du son français, tourne son nouveau long métrage. Dans « A Demain mon amour », il suit le quotidien sans fards des deux septuagénaires, toujours autant emprunts d’idéaux et de rêves de justice sociale. A la fois banals et singuliers, ces moments de vie dépeignent réalistement les différents mouvements sociaux qui marquent cette décennie.

Manifestation des gilets jaunes, colère des soignants en manque de moyens, retraites qui s’effondrent, violences policières,… Monique et Michel Pinçon-Charlot sont de tous les combats, armés de leur stylo, de leur carnet et de leurs connaissances sur les modalités de la société. Ils sensibilisent les plus jeunes aux violences de classe, partagent les outils du discours à ceux qui militent, analysent les actions des hommes politiques,… Bref, ils donnent à leur façon à cette cause qui les animent depuis si longtemps : « désobéir à l’oligarchie capitaliste prédatrice ».

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Crédits : A demain mon amour.

Si le film réussit le pari de nous immerger dans un quotidien réaliste en brossant le portait de militants et militantes, sociologues ou non mais toujours investis, il manque peut-être une opportunité de populariser des concepts, théories et réflexions utiles à tout ceux qui ressentent la violence des inégalités sociales.

Avec Monique et Michel Pinçon-Charlot comme personnages principaux, on aurait en effet pu s’attendre à davantage de fond et de décodage, toujours appréciables quand la science et la culture sont mises au service des moins chanceux dans l’échiquier social et économique. « A demain mon amour » reste toutefois très appréciable pour ce qu’il est : un portait réaliste et engagé de deux personnes hors du commun restées proches des communs. Basile Carré-Agostini démontre ici avec brio que la lutte sociale peut se vivre dans la joie…et surtout dans l’amour. La sortie du film est prévue pour le 9 mars 2022.

L.A.

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