Alibaba s’impose en Europe : les dessous d’un chancre de la mondialisation

C’est en décembre 2018 que l’annonce officielle est révélée : le géant chinois du e-commerce Alibaba s’installera en Belgique. Cainiao, la filiale logistique du groupe, et l’aéroport de Liège annoncent ainsi avoir conclu un accord pour l’établissement du principal hub européen de la multinationale sur le sol de l’aéroport liégeois. Un investissement de plus de 300 millions d’euros prévu pour le projet qui porte sur une surface de plus de 220.000 de mètres carrés. Mais alors que cet accord semble ravir (presque) tous les acteurs politiques et syndicaux belges, les conséquences environnementales, sociales et économiques de l’installation du géant chinois inquiètent une partie de la société civile qui tente de donner l’alerte. Le média belge indépendant et engagé Tout va bien propose une analyse de la situation à travers un documentaire qui lève le voile sur une opération plus risquée qu’il n’y parait. Alors, Alibaba : sauveur ou fossoyeur de la Wallonie ? Vous avez sûrement déjà la réponse.

En décembre 2018, le géant chinois du commerce électronique Alibaba a annoncé officiellement avoir choisi l’aéroport de Liège comme lieu d’implantation de son principal hub logistique en Europe. C’est ainsi plus de 22 hectares de terres arables qui seront détruites pour accueillir les nouveaux hangars de la compagnie qui lui permettront de tenir sa promesse : livrer partout dans le monde en moins de 72h. Pour ce faire, Alibaba initie depuis de nombreuses années le développement d’un réseau logistique international articulé autour de cinq carrefours ou hubs régionaux : Hangzhou en Chine, Kuala Lumpur en Malaisie, Dubaï, Moscou et enfin Liège.

Entre stratégie commerciale et hégémonie chinoise

Si ce projet s’inscrit vraisemblablement dans une stratégie d’internationalisation du groupe, il est difficile d’aborder l’expansion internationale d’Alibaba sans évoquer les liens qu’entretient la multinationale avec la stratégie géopolitique et économique du gouvernement chinois. En effet, le Président Xi Jinping a révélé en 2013 son ambition de voir la Chine reliée au reste du monde par la création de nouvelles routes de la soie. Un  gigantesque réseau d’infrastructures énergétiques, routières, ferroviaires, maritimes et digitales couvrira ainsi bientôt plus de deux tiers de la population mondiale, pour le plus grand bonheur du secteur « Made in China » et de son enfant malade : le dropshipping asiatique.

Mais au delà de l’accaparement du marché économique mondial et de la multiplication de ses exportations, Pékin voit également la diffusion internationale de ses technologies et entreprises numériques comme une façon de défendre et de promouvoir son propre modèle dans un contexte international marqué par les rivalités croissantes, en particulier avec les États-Unis. Par ces grands investissements, la Chine assoie sa domination économique et politique sur le monde.

Une mondialisation de la consommation de masse sans repos, aucun, jamais.

Le géant chinois séduit par les « atouts » de l’aéroport de Liège

Autant de motivations qui ont poussé la société chinoise qui compte plus de 13 milliards de bénéfices (2020) à implanter une filiale logistique en Europe. Et on peut dire que l’argument économique a fait mouche, puisqu’il n’a pas fallu longtemps à Liège Airport pour se placer sur l’échiquier en tant que candidat idéal pour ce projet. C’est avant tout sa position centrale au cœur de l’Europe occidentale et surtout ses connexions à différents réseaux de transport maritimes et routiers qui ont séduit le géant asiatique. Et cerise sur le gâteau du modèle productiviste, l’aéroport belge jouit d’un atout majeur puisqu’il est un des rares aéroports européens qui permettent encore les vols de nuit, fonctionnant ainsi 24h24 et 7j/7. Une mondialisation de la consommation de masse sans repos, aucun, jamais.

L’aéroport liégeois prétend ainsi au top 5 des aéroports de frets européens. – Pixabay

En outre, même si cet aspect a été moins souligné, la région liégeoise regorge de travailleurs peu qualifiés et sans emplois de par son passé d’ancien pôle sidérurgique en pleine désindustrialisation. « Il s’agit donc d’un territoire d’implantation idéal pour des opérateurs logistiques qui cherchent des surfaces bien situées et pas trop chères, mais également un accès facile à des réservoirs de main-d’œuvre peu qualifiée et bon marché, ainsi que des pouvoirs publics prêts à multiplier les faveurs pour attirer les emplois à demeure ! », explique dans son analyse le GRESEA, Groupe de Recherche pour une Stratégie Economique Alternative. Voilà largement de quoi convaincre les autorités politiques et autres acteurs syndicaux, appâtés devant la création de 900 emplois directs et 2100 emplois indirects, aussi précaires qu’ils soient, et désireux d’offrir à la Wallonie sa réputation d’antan faisant de l’aéroport de Liège l’un des plus importants aéroports de fret européens.

Une mobilisation qui révèle les faces sombres du projet

Mais ces différents arguments sont loin de satisfaire tout le monde. Ainsi, un collectif d’associations liégeoises, qui compte parmi ses membres GreenPeace et Extinction Rébellion, se mobilise pour exhorter à l’abandon du projet. Le média belge Tout va bien s’est également emparé du sujet et propose une enquête non sans malice qui détricote ce cette décision politique parmi les plus polémiques de Wallonie. « Plus qu’un documentaire sur le géant de l’e-commerce, le film questionne surtout les conséquences de l’industrie de la logistique et les grands choix politiques pour l’économie wallonne et son avenir », exprime l’équipe du film. Il analyse ainsi en profondeur, à travers différentes interview, les impacts environnementaux, sociaux et économiques du projet. Et le constat est sans appel : bien loin du modèle « gagnant-gagnant » mis en avant par les acteurs publics de l’accord, c’est tout l’écosystème économique, social et environnemental de la région qui est mis en péril à l’approche de sa concrétisation. Sans même parler des effets mondiaux, sur le climat notamment, d’une nouvelle fluidification du marché mondial au moment même où nous devrions ralentir raisonnablement.

Au contact de citoyens militants ou de professionnels du sujet, le collectif révèle au fil du documentaire les faces sombres du projet : augmentation considérable du trafic aérien et autoroutier, rejets supplémentaires massifs de CO2, importation en nombre de produits low cost, augmentation des particules fines dans l’air et de nuisances sonores,… Autant de phénomènes qui éloignent encore davantage les autorités belges des objectifs fixés par l’accord de Paris à l’horizon 2030.

Les impacts économiques du projet sont bien loin de tenir la promesse « gagnant-gagnant » dont se targue les acteurs publics belges. – Extrait du documentaire « Welcome Alibaba – les dessous de l’arrivé du géant chinois » par Tout va bien

Des impacts négatifs sociaux, environnementaux et économiques majeurs pour la région

Et même le volet économique de l’accord ne semble pas tenir ses promesses. Puisqu’au delà du « prestige économique wallon » fièrement retrouvé et des quelques milliers d’emplois pénibles et précaires créés, l’arrivée du géant chinois provoquera surtout une pression supplémentaires sur les normes sociales et environnementales imposées aux entreprises, en plus d’une mise en concurrence déloyale pour les travailleurs et les PME locales. Ainsi, des faillites et des pertes d’emploi en nombre sont à prévoir dans la région ces prochaines années. C’est ce qu’affirmait également Mounir Mahjoubi, ex-secrétaire d’Etat au numérique français, dans une étude sur Amazon, homologue américain d’Alibaba : « pour un emploi créé chez Amazon France Logistique, 2,2 sont potentiellement perdus dans nos commerces de proximité ». L’argument de la création d’emplois serait donc une intox totale.

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Enfin, au-delà des considérations environnementales, sociales et économiques pour la Wallonie, les acteurs publics belges semblent largement dénier la réalité anti-démocratique de la Chine et plus spécifiquement les nombreuses atteintes aux droits humains perpétrées par l’entreprise elle-même. Exploitation des travailleurs, camps de travail, irrespect de la vie privée des employés, persécution de minorités religieuses… autant d’insultes aux valeurs démocratiques et humanistes dont les états européens se prévalent tant. Rien ne semble cependant ternir le contentement des protagonistes de l’accord, tant à droite qu’à la gauche plus libérale que jamais.

Celui-ci n’est en réalité qu’une illustration de plus du modèle de consommation global déshumanisé pourtant largement plébiscité par les décideurs, malgré une prise de conscience des enjeux écologiques et sociaux de notre temps. Seule la croissance du PIB semble compter alors même que cette croissance rend notre terre impropre à la vie. Deux choix s’offrent à nous et la crise sanitaire a sans aucun doute amplifié et structuré ces deux tendances contradictoires. On observe ainsi un attachement de plus en plus marqué pour les produits locaux et les circuits-courts, en même temps qu’une croissance sans précédent des géants du e-commerce, Alibaba et Amazon en tête. Pourtant, si l’une a le mérite de nous emmener sur une voie vers un monde plus résilient et collaboratif, l’autre nous conduit inévitablement à notre perte. Il faudra choisir.

L.A.

Sources :

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