Des images rares de membres de la tribu Mashco Piro, l’une des plus isolées au monde, ont été diffusées par l’ONG Survival International. Observés hors de leur forêt en Amazonie péruvienne à la mi-juillet, ces apparitions soulèvent de vives inquiétudes sur l’impact de l’exploitation forestière sur leurs conditions d’existence et leur survie. Il s’agit d’une « catastrophe humanitaire en devenir », s’inquiète Caroline Pearce, directrice de l’organisation.

Localisée au coeur de la forêt amazonienne, dans le département de Madre de Dios situé au sud-est du Pérou, la tribu Mashco Piro est l’une des plus isolées de la planète. Comptant environ 750 individus, ce peuple semi-nomade évolue sans contact avec le monde extérieur depuis plus de 200 ans.

« Ils sont les survivants d’une histoire tragique faite de massacres et d’esclavage, qui les pousse aujourd’hui à défendre avec détermination leur territoire », explique Survival International, une ONG de protection des droits des peuples autochtones.

Une histoire douloureuse

Dans les années 1880, les barons du caoutchouc s’emparent de terres autochtones dans toute l’Amazonie occidentale, réduisant en esclavage la population locale. Les exploitants n’hésitent pas à assassiner, torturer, enchainer, pourchasser, violer et déposséder les tribus locales de leurs terres lors de ce que l’on nommera plus tard « la fièvre du caoutchouc ». L’association relate :

« Mais certains Mashco Piro sont parvenus à s’échapper, disparaissant dans les profondeurs de la forêt. (…) Ils sont restés cachés, loin du monde extérieur. Aujourd’hui, leurs descendants sont dits “non contactés” et continuent de vivre de manière isolée »

Pourtant, plusieurs dizaines d’entre eux ont été récemment photographiés en dehors de la forêt. « Plus de 50 membres de la tribu Mashco Piro ont été aperçus ces derniers jours près du village Yine de Monte Salvado, dans le sud-est du Pérou », rapporte Survival International. « Lors d’un autre incident, un groupe de 17 personnes est apparu près du village voisin de Puerto Nuevo », poursuit l’organisation.

Un territoire traditionnel en proie aux exploitants forestiers

Pour l’organisation, ces comportements sont particulièrement inquiétants. Caroline Pearce, directrice de Survival International, estime même qu’il s’agit d’une « catastrophe humanitaire en devenir ». Et pour cause : plusieurs sociétés d’exploitation forestière détiennent des concessions sur les terres appartenant à ce peuple autochtone, la plus proche d’entre elle se trouvant à quelques kilomètres seulement du lieu où les Mashco Piro ont été filmés.

La tribu Mashco Piro a été aperçue sortant plus fréquemment de la forêt tropicale ces dernières semaines, à la recherche de nourriture, s’éloignant apparemment de la présence croissante des bûcherons. – Crédits : Survival International

À mesure que leur territoire traditionnel se fait grignoter par les exploitants forestiers, les Mashco Piro se voient contraints de s’exposer pour trouver à manger et recueillir les ressources suffisantes à leur survie. Ils ne souhaitent pourtant pas entrer en contact avec le reste du monde, et sont d’ailleurs extrêmement vulnérables aux maladies contemporaines contre lesquelles leur système immunitaire n’est pas en mesure de lutter.

Si en 2002, le gouvernement péruvien avait créé la réserve de Madre de Dios pour délimiter et protéger le territoire des Mashco Piro suite à la mobilisation de l’association locale Fenamad, cette cartographie n’a jamais correspondu « à leur territoire traditionnel, bien plus étendu », explique Teresa Mayo, chargée de mission au Pérou pour l’ONG Survival International, dans les colonnes du Monde. La spécialiste déplore :

« En quelques jours, des concessions forestières avaient acheté les parcelles non comprises dans la réserve »

Des appels qui restent lettre morte

Aujourd’hui, une entreprise en particulier, appelée Canales Tahuamanu, semble mettre en danger la survie de la tribu depuis le lancement de ses activités d’exploitation forestière en 2020. En s’enfonçant toujours plus profondément dans la forêt à la recherche de bois dur, comme l’acajou, elle a finalement construit plus de 200 km de routes au coeur de l’Amazonie pour permettre à ses camions de transport d’en extraire les précieuses ressources.

« Nous sommes préoccupés par les dommages irréparables que les activités de votre entreprise pourraient causer aux populations autochtones, qui n’ont pas donné leur consentement libre, préalable et éclairé », s’est inquiété le rapporteur spécial des Nations unies sur les peuples autochtones, José Francisco Cali Tzay, à l’intention de Canales Tahuamanu, le 19 juin 2023.

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L’entreprise construit des routes s’étalant sur plus de 200km au coeur de la forêt, rapporte l’ONG Survival International. – Crédits : Survival International

Malgré ces différentes initiatives et une proposition du Ministère de la culture d’élargir la zone forestière délimitant le territoire des Mashco Piro, le gouvernement semble rester de marbre face à la situation. « Il est absolument vital que les bûcherons soient expulsés et que le territoire de Mashco Piro soit enfin correctement protégé », s’alarme Caroline Pearce, qui n’hésite pas à mettre en cause l’organisme de labellisation des exploitations. « Le FSC doit immédiatement annuler la certification de Canales Tahuamanu. Dans le cas contraire, l’ensemble du système de certification serait bafoué ».

« C’est un peuple qui ne connaît pas la paix »

En août 2022, le corps sans vie de Gean del Aguila, un bûcheron âgé de 21 ans, a été retrouvé criblé de flèches sur les abords d’une rivière de la réserve. Les Yine, un peuple autochtone voisin des Mascho Piro qui renseigne les associations locales sur l’évolution de la situation, rapportaient en 2023 que certains Mascho Piro étaient sortis de la forêt pour les prévenir que « les hommes en orange sont de très mauvaises personnes ». Ces propos paraissent désigner directement les bucherons de Canales, arborant une tenue de travail de la même couleur.


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Depuis ces événement, l’entreprise a à plusieurs reprises entamé des procédures judiciaires à l’encontre des organisations qui dénoncent les impacts meurtriers de ses activités. Rosa Padilha, membre du Conseil missionnaire indigène des évêques catholiques brésiliens dans l’État d’Acre, rapportait à Reuters que plusieurs individus de la tribu Mascho Piro avaient également été aperçus de l’autre côté de la frontière, au Brésil :

« Ils fuient les bûcherons du côté péruvien. C’est un peuple qui ne connaît pas la paix et qui est agité parce qu’il est toujours en fuite ».

– Lou A.


Photo de couverture : © Gabriella Galli/Survival

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