Après l’assassinat sauvage d’un chef indigène de la communauté des Wayapi au nord du Brésil par une bande d’orpailleurs illégaux, les autochtones manifestent leur vive émotion mais aussi leur volonté de riposter. En Guyane française, ils appellent le gouvernement à agir en urgence pour s’attaquer une fois pour toute aux activités aurifères illégales faute de quoi la France se montrerait aussi complice que le Brésil et le Suriname de l’extermination à petit feu des indigènes d’Amazonie.

Déjà menacés par tous les fléaux du capitalisme et sa mondialisation – déforestation, pollution, épidémies, corruption, violences – les autochtones sont une fois de plus fragilisés depuis l’arrivée au pouvoir au Brésil de Jair Bolsonaro, leader d’extrême droite hélas très connu pour son mépris des questions environnementales et sociales. Depuis sa prise de fonction, le président brésilien a enchaîné les déclarations scandaleuses, assimilant les indigènes à des hommes des cavernes que “ les ONG voudraient garder confinés dans un zoo ” et n’a cessé d’afficher sa volonté de légaliser l’orpaillage sur leurs territoires qu’ils souhaitent ouvrir à l’exploitation minière et agricole. Rien de moins surprenant que Jair Bolsonaro soit aujourd’hui pointé du doigt par les autochtones dans le meurtre du cacique Emyra Wayapi, tué le 23 juillet dernier dans une réserve protégée de l’Etat de l’Amapa à la frontière avec la Guyane française. Le chef indigène a été retrouvé poignardé juste avant que son village ne soit envahi par des garimpeiros lourdement armés provoquant la fuite des habitants effrayés.

Le territoire de la tribu des Wayapi est très convoité car il abrite d’importantes réserves en or, manganèse, fer et cuivre. Les Wayapi étaient autrefois la cible de nombreuses et violentes attaques qui avaient pris fin avec la délimitation de leur territoire en 1996, rendant la zone dorénavant protégée. Mais cette récente invasion des orpailleurs clandestins lourdement armés a changé la donne. Plus rien ne peut retenir les garimpeiros dorénavant encouragés par une politique nationale coloniale décomplexée et agressive. L’assassinat d’Emyra Wayapi a été condamné par les Nations Unies qui y voit une conséquence directe du développement de l’exploitation minière en Amazonie où la déforestation a augmenté de 88% en l’espace d’un an. Elles demandent « urgemment au gouvernement brésilien d’agir avec fermeté pour stopper l’invasion des territoires indigènes et pour leur assurer l’exercice pacifique de leurs droits sur leurs terres ».

Amyra Wayapi, leader autochtone
Graphisme: Articulation des peuples autochtones du Brésil, APIB.

La colère gronde chez les autochtones

“Le procédé est classique” nous dit Christophe Yanuwana Pierre, le porte-parole de la Jeunesse autochtone de Guyane. Nous l’avons contacté pendant son déplacement à Camopi où se trouve l’une des filles du cacique assassiné. “ La stratégie c’est de tuer le chef local et d’installer un climat de terreur qui fait fuir les communautés. Les terres sont alors ouvertes à l’exploitation.” Également vice-président du Grand Conseil Coutumier, instance qui représente les communautés amérindiennes et bushinengues, Christophe Pierre a pour mission de se rendre auprès des habitants après ce type d’incidents et d’échanger avec les chefferies.

Ni lui ni la famille du chef Wayapi tué ne sont au courant de ce qui est advenu aux habitants du village envahi de Mariry. Le décès du leader indigène a été très médiatisé mais nul ne sait ce qui se passe aujourd’hui sur place, ce qui génère beaucoup d’inquiétudes. La communication est très difficile entre territoires et les populations échangent, lorsqu’elles le peuvent, par radiotéléphonie. C’est d’ailleurs à travers celle-ci que la famille a été informée du sort de leur père. Jusqu’à présent l’enquête officielle n’a pas explicitement fait le lien entre l’attaque des orpailleurs et l’assassinat d’Emyra Wayapi. « Le lien ne sera jamais fait » nous dit Christophe Pierre habitué à ce type de “détournement de l’opinion public”. Quant aux garimpeiros, “ils ne vont pas rester sur place en attendant que la police viennent les arrêter ». À Camopi où il se trouve, la famille du cacique tué est en colère. Le beau-fils s’exprimera dans une vidéo que le Grand Conseil Coutumier choisira de ne pas médiatiser afin de préserver sa vie et celle de sa famille. Sous le coup de l’émotion, il y délivre en effet un message assez virulent dans lequel il appelle les autochtones à contre-attaquer et même à tuer si ce genre de crimes venait à se reproduire. 

Crédit image : Jeunesse autochtone de Guyane. Bretau Jean-Baptiste, époux de la fille du cacique assassiné.

“Ca devient de plus en plus compliqué de ne pas envisager de riposter. Les assassinats sont fréquents. Nos villages sont contaminés par le mercure et les pillages sont réguliers. Les orpailleurs brésiliens n’hésitent pas à voler les pirogues des habitants et des militaires qui sont ici. On atteint un seuil où il devient difficile de rester les bras croisés en attendant des aides de je ne sais où… “ nous confie Christophe Pierre. Le nombre d’indigènes massacrés au Brésil fait froid dans le dos. Grâce à la carte Caci ( qui signifie douleur en Guarani ) développée par la Fondation Rosa Luxembourg, il est dorénavant possible de connaître leur quantité et de les localiser.

Bien qu’il s’agisse d’une base d’information fiable, systématisée et géoréférencée, cette cartographie n’est toutefois pas complète et les meurtres sont bien plus nombreux de l’avis de ses contributeurs, à savoir les associations Armazém Memoria et Info Amazonia qui ont référencé des crimes qui ont eu lieu entre 1985 et 2015. 10% des cas enregistrés au Brésil résultent de disputes autour de la terre et correspondent au meurtre de leaders indigènes. Ils sont le symptôme inquiétant du problème croissant de l’empiétement des mineurs, bûcherons et agriculteurs sur les terres indigènes. Malheureusement impunis, ces massacres ont un impact sévère sur l’ensemble de la communauté et alimentent considérablement les sentiments de vulnérabilité, d’abandon et de peur chez les populations autochtones. 

Crédit image : Bernard Gissinger. Manifestation à Cayenne en solidarité avec la tribu Wayapi.

Christophe Pierre est aussi venu délivrer un message aux Wayapi de la part de tous les autochtones de la Guyane française qui leur est voisine. « Nous sommes un même peuple amazonien, la frontière entre la France et le Brésil est fictive, elle n’existe pas pour nous. C’est important qu’ils sachent qu’il y a un élan de solidarité ». La famille du cacique et les chefferies locales ont ainsi pu voir les différentes vidéos de manifestations de soutien qui ont eu lieu à Cayenne. Près de 150 personnes se sont rassemblées devant le consulat du Brésil de la capitale guyanaise après le meurtre du leader Wayapi. “On en a assez d’être traités comme des bêtes sauvages. Les peuples des forêts méritent le respect de tous les Etats” pouvait-on entendre de la bouche de Claudette Labonté, présidente de la fédération Parikweneh de Guyane présente dans le cortège. Au Suriname, les amérindiens ont également manifesté devant l’ambassade brésilienne.

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La France sommée de combattre l’orpaillage illégal 

Les autochtones de France sont inquiets. Ils constatent la recrudescence des crimes dont beaucoup n’ont pas l’opportunité d’être médiatisés comme celui d’Emyra Wayapi. « Nous ne sommes pas à l’abri. Nous pouvons être confrontés aux mêmes actes cruels et dramatiques qui ont lieu au Brésil et au Suriname » a pour sa part déclaré le président du Grand Conseil Coutumier qui demande aux autorités politiques d’anticiper le risque de voir les villages indigènes devenir un lieu de bataille. Mais encore faut-il avoir une considération pour la cause. « On a le sentiment que la vie des amérindiens ne vaut rien. Nous sommes agressés de toutes parts et dans l’indifférence totale des décideurs » nous livre Christophe Pierre. Cela fait une trentaine d’années que les autochtones sont confrontés aux problèmes de l’orpaillage illégal qui provoque une pollution aiguë des fleuves en mercure, substance normalement interdite dans les activités aurifères contrôlées.

En Guyane le fléau est bien plus important que l’on ne l’imagine. Les estimations d’exfiltration annuelle pour l’orpaillage illégal vont de 10 à 12 tonnes, tandis que la production annuelle déclarée oscille entre 1 et 2 tonnes selon un rapport de WWF, c’est dire l’ampleur du phénomène ! Depuis 2001, 157.000 ha de forêts ont été détruits par l’extraction de l’or qui apporte également son lot de conséquences sur la santé et la vie économique des populations locales : intoxications au mercure sur plusieurs générations, malaria, prostitution des indigènes organisée par les garimpeiros, trafic d’armes et de drogues, mais aussi violences entre les membres de la communauté dont les conditions de vie se dégradent déplorablement. 

Source: WWF

La chasse à l’orpaillage illégal n’est pas sans risques. Plusieurs militaires français ont perdu la vie accidentellement ou assassinés par des bandits lors d’opérations contre des sites illégaux. À la mi-juillet, 3 militaires sont morts lors d’une mission au sein du “très protégé” Parc amazonien de Guyane où 132 sites aurifères illégaux ont été identifiés grâce à des survols aériens ! Les communautés indigènes se disent solidaires avec l’armée et déplorent le manque de moyens pour lutter contre ce désastre. “On a la carte d’identité française, on devrait être défendu au même titre que les parisiens ! Pourtant on voit que malgré leur volonté d’y faire face, les militaires ne se voient pas allouer les ressources nécessaires pour éradiquer l’orpaillage illégal” nous lâche Christophe Pierre qui ne comprend pas comment l’État français, 5ème puissance mondiale, n’arrive pas à s’imposer face au Brésil et au Suriname, pays dont les autorités sont quasi complices, au moins par leur passivité, de la destruction de l’écosystème des indigènes.

La position du président brésilien est en effet bien connue depuis 1998, lorsqu’il affirmait déjà au journal Correio braziliense : « Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens ». Mais qu’en est-il de la France ? Quand va-t-elle se démarquer de ses voisins qui semblent accepter l’extermination de leurs populations ancestrales ? « On cantonne ce problème aux amérindiens et c’est pourquoi on lui donne peu d’importance. Mais il n’y a pas que les amérindiens qui vivent du fleuve, c’est toute la population guyanaise qui est affectée. Peut-être qu’en comprenant que ça touche la vie de tous guyanais on aurait plus de réactions ? » Et celui qui est aussi le porte-parole de la Jeunesse autochtone de Guyane de rappeler que la lutte contre l’orpaillage illégal n’est que la pointe émergée de l’iceberg. « Si demain les autorités françaises arrivaient à éradiquer le phénomène, il restera à entamer la phase du grand nettoyage parce que tous les cours d’eaux et les terres sont ravagés et il va falloir les rétablir … »

                                                                                                                                 Pan

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