Ne plus accueillir les hommes seuls qui demandent l’asile. Voilà la solution odieuse proposée par la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration en Belgique, alors même que des milliers de personnes sont déjà contraintes de dormir dans la rue ou dans des squats insalubres faute de place.
L’hiver dernier déjà, plusieurs institutions de défense des droits humains tiraient la sonnette d’alarme et dénonçaient les conditions d’accueil honteuses ayant cours en Belgique. « Chaque jour, des personnes se voient refuser l’accueil, malgré les efforts du personnel des administrations et partenaires concernés, qui travaille sous une très forte pression. Les personnes refusées s’ajoutent à celles qui sont déjà à la rue par centaines, faute d’avoir pu obtenir une place plus tôt. Ces personnes vivent ainsi dans des conditions dangereuses, insalubres et dégradantes, sans accès aux services de base », expliquait alors Myria, le Centre fédéral Migration.
Une situation d’urgence qui s’éternise
Si depuis le début de la guerre en Ukraine et l’avènement de la crise migratoire, les demandes d’asile et de protection temporaire se sont multipliées, le problème de l’accueil est bien plus ancien. « Depuis octobre 2021 déjà — soit, bien avant la grande affluence de demandeurs d’asile et avant la crise ukrainienne — la Belgique manque cruellement de places d’accueil pour les demandeurs d’asile », explique Myria et d’autres associations du secteur dans une note dédiée à la crise d’accueil.
Cette réalité a également été constatée à de très nombreuses reprises par les institutions judiciaires belges et européennes. Entrant en conflit flagrant avec les obligations légales en matière de droits humains et de droit d’asile, le gouvernement belge a ainsi été condamné plus d’un millier de fois par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour non respect de ces obligations en matière d’accueil.
En effet, conformément à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, du Pacte asile et migration européen ainsi qu’à diverses lois belges, les demandeurs d’asile en Belgique ont droit à un accueil qui leur permet de mener une vie confirme à la dignité humaine et à un accompagnement de qualité, au delà du respect de leurs droits humains élémentaires, durant toute la durée d’examen de leur demande.
Pas d’accueil pour les hommes : une mesure illégale, mais « temporaire » ?
Au vu de ces éléments, c’est a contrario de tout bon sens que le 29 août dernier, la secrétaire d’État en charge de l’Asile et de la Migration, Nicole de Moor a déclaré refuser « temporairement » l’accueil des hommes seuls demandeurs d’asile sur le territoire belge, les contraignant à la recherche de solutions alternatives, qui aboutissent bien souvent aux dures réalité de la rue : froid, faim, délinquance, drogues et perte de repères.
Pour les différentes associations du secteur et l’ensemble de la presse belge, c’est un coup de massue. « Cette mesure risque de pousser davantage ces personnes dans des conditions précaires et dégradantes, d’aggraver la problématique du sans-abrisme et de compromettre une procédure d’asile en bonne et due forme », dénonce Myria, qui pose également un problème plus fondamental encore.
« Dans cette crise de l’accueil, le cadre de l’État de droit est négligé. Le gouvernement fédéral opte pour une mesure générale qui enfreint clairement la loi et les droits humains et qui ne respecte aucunement les jugements et les arrêts rendus ».
Les hommes seuls ont aussi des droits
Au-delà du respect des principes de l’État de droit et des droits humains fondamentaux, cette décision politique « risque également d’avoir un impact particulièrement négatif sur la procédure d’asile suivie par ces personnes », expliquent les associations de défenses des demandeurs d’asile. Pour ces derniers, comprendre, préparer et mener à bien leur procédure n’est pas « une mince affaire », compte tenu des différentes auditions à mener, des preuves et des récits à rassembler, en plus d’une importante préparation mentale à assumer.
Le 7 septembre dernier, Nicole de Moor se défend dans une tribune publiée dans le quotidien flamand De Standaard et assure que « le flux de personnes qui ne fuient pas la violence ou la persécution doit être ralenti » afin de « reprendre le contrôle et offrir une protection à ceux qui fuient réellement la persécution ». Elle explique également prendre cette mesure dans le but d’assurer aux femmes seules, aux familles et aux mineurs non-accompagnés une place en centre d’accueil durant l’hiver.
Un recours en urgence
Ces arguments ne convainquent pas et, quelques jours plus tard, 8 associations (l’Ordre des barreaux Francophones et Germanophone, Le Cire, l’association pour la défense du droit des étrangers, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, la ligue des droits humains, la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, Saamo, et l’ASBL Nansen) introduisent un recours d’urgence auprès du Conseil d’État contre la décision de la Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration.
« Cette mesure est illégale à plusieurs points de vue et la Secrétaire d’état ne l’ignore pas », déclarait alors l’avocat spécialisé en immigration Jean-Marc Picard dans un communiqué, rapporte l’agence de presse Belga.
Par un arrêt du 13 septembre 2023, le Conseil d’État a suspendu la décision litigieuse jugeant, à ce stade de la procédure, que cette décision ne respecte pas le droit à l’accueil conféré à tous les demandeurs d’asile consacré par la loi belge.
La Belgique, un état de droit ?
Sur X, le nouveau Twitter, la représentante ne tarde pas à réagir : « il n’y a pas de places supplémentaires. La suspension du Conseil d’État ne signifie pas que nous avons soudainement de la place pour tout le monde », explique-t-elle avant d’assurer que sa politique « ne changera donc pas ». Des propos qui régalent l’extrême droite, Tom Van Grieken, président du Valais Belang, s’exclamant : « nous n’avons pas besoin de plus de places d’accueil, mais de moins de demandeurs d’asile ».
Au-delà du grave manquement au regard de ses obligations internationales en matière d’accueil et la crise humanitaire qui en découle, la Belgique s’inscrit sans complexe en porte-à-faux direct avec ses valeurs démocratiques, bafouant d’un revers de la main le poids des décisions judiciaires, des règlementations et des principes de contre-pouvoirs autrefois énoncés par Montesquieu. Indigne et illégale, cette mesure s’inscrit bien loin des principes de l’État de droit sur lesquels s’est autrefois bâti le plat pays…
– L.A.
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