Le dérèglement climatique associé au dépassement croissant de nos ressources met en avant la raréfaction criante de l’eau à la surface du globe. Que faire face au manque d’infrastructures de son traitement, impliquant des zones entières sans aucune goutte d’eau potable ? Quels dispositifs peuvent y remédier de manière autonome ? Tour d’horizons de l’avenir du traitement de l’eau. 

Les atouts des générateurs d’eau potable en période de dérèglement climatique dans certaines zones arides ou en voie de désertification sont nombreux. Dans le sud de la France, des Pyrénées Orientales à la Provence-Alpes Cotes d’Azur, en parallèle du projet « or bleu » de la Région Sud, des dispositifs de ce type se multiplient avec l’aide de l’État. 

Bien qu’utiles, sont-ils incontournables pour contrer la pénurie croissante d’eau au risque que certains industriels puissent les marchandiser à l’extrême, privatisant un peu plus l’eau censée rester un bien communs ? Une problématique qui en viendrait à ternir le tableau des solutions en brouillant les objectifs écologiques de départ au profit du lucratif. En attendant, ces dernières continuent d’être étudiées, dont voici un tour d’horizon.

Générer de l’eau potable par désalinisation

Les procédés de désalinisation constituent les premières technologies de transformation et de création d’eau dans les années 70-80. Polluantes et encore coûteuses, ces infrastructures sont largement utilisées dans le golfe persique. Mais, elles se démocratisent désormais au Maghreb : en Tunisie, par exemple, où elles ne cessent de voir leur technologie évoluer avec plus de recours à de l’énergie solaire.

1994. Usine de dessalement flash à plusieurs étages à la station Jebel Ali G (Dubaï), fournie par Weir Westgarth Ltd @Wikimediacommons

Ces usines de dessalement sont des installations industrielles permettant de retirer le sel et d’autres minéraux de l’eau de mer pour produire de l’eau douce potable. Plusieurs procédés sont ainsi utilisés, comme l’osmose inversée : une eau de mer est pompée sous haute pression et passe par des membranes semi-perméables. De cette manière, le sel y est retenu ainsi que les impuretés. Un autre procédé est celui de la distillation thermique où l’eau de mer est chauffée jusqu’à ébullition. La vapeur est alors condensée en eau douce.

En quête d’une innovation écologique 

Vincent Fouques et Lambria Lalouani travaillent tous deux dans le milieu de l’industrie, s’intéressant de près aux innovations durables. Vincent Fouques officie dans la valorisation de l’eau de source et de l’eau minérale. Il a pu ainsi développer ses connaissances en matière de processus de purification, de gestion, et de distribution de l’eau. Et il sait à quel point l’état actuel du réseau d’eau et sa gestion parcellaire combinée à une pollution grandissante fait de l’eau potable une ressource en raréfaction à mieux protéger.

Station d’épuration @Freepik

Lambria Lalouani exerce dans le secteur de l’énergie solaire. Elle nous informe sur ces nouvelles technologies de désalinisation utilisant l’énergie solaire pour la production d’eau potable. L’évolution des panneaux solaires thermiques depuis les années 1970 a joué favorablement sur l’évolution de ces dispositifs générateurs d’eau d’un point de vue écologique. Leur rôle dans le chauffage de l’eau sanitaire et leur potentiel de réduction des dépendances aux combustibles fossiles n’est pas négligeable.

Vers une autonomie en matière de distribution d’eau pour des zones arides et éloignées ?

L’île d’el Hierro aux Canaries utilise des systèmes de captation de la brume tels que des arbres fontaines (fabriqués par un ingénieur en matériaux biodégradables et munis de panneaux), une méthode qui était en usage, d’une autre manière, depuis des siècles. Les Bimbaches utilisaient quant à eux des lauriers locaux pour capturer l’eau de la brume.

L’arbre fontaine (SCHÉMA A. GIODA POUR PIERRE LEFÈVRE ET SCIENCE & VIE JUNIOR, MAI 2003).

De cette tradition se sont donc inspirés ces systèmes modernes installés sur l’île depuis les années 1980. Damian Caballero est bioclimatologue dans cette île des Canaries. Il se concentre sur les interactions entre le climat local et les systèmes de gestion de l’eau. Sur l’île d’El Hierro, la captation de brume et du dessalement permettent de compenser le manque de ressources en eau de surface, des systèmes cruciaux pour une île sans rivières permanentes. Malgré tout, la quantité d’eau captée par les systèmes de brume n’est pas très élevée, ce qui limite leur utilisation à de petites communautés. Cette eau générée n’est alors qu’un complément aux autres ressources d’eau comme celle issue de précipitations.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee
« Un arbre pour recueillir l’eau du brouillard : l’idée est ancienne et vient d’être redécouverte. Une entreprise des Canaries en fabrique même un modèle… métallique.

Une des réponses à la pollution croissante de l’eau 

Au-delà des pénuries, l’eau est également source de pollution sous sa forme industrialisée et privatisée. Vincent alarme sur les problèmes émergents liés aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), qui ont été détectées en France récemment et nécessitent une régulation plus stricte qu’elle ne l’est actuellement. Il pointe notamment du doigt les scandales répétés de l’industrie de l’eau en bouteille plastique comme c’est le cas avec Nestlé.

Surveiller ces contaminants et mettre à jour régulièrement la législation pour inclure de nouvelles solutions durables est urgent. Et si cette problématique ne s’arrange pas, les générateurs d’eau communs pourront être une solution en adéquation avec une réforme de la gestion de l’eau à l’échelle publique. 

Pollution de l’eau sous plastique @Pixabay

Toutefois, sont également mentionnés par Vincent les nombreux défis liés à l’entretien parfois défectueux des réseaux de distribution d’eau en France, avec un manque de budget pour le maintien des infrastructures issues des zones rurales ou lointaines contrairement aux grandes villes. Des soucis conduisant à des risques de contamination, à des pénuries répétées et comme c’est déjà le cas, à des écarts vertigineux en matière de distribution d’eau potable au sein d’un même pays.

De la désalinisation par osmose et par distillation solaire aux générateurs d’eau atmosphérique portatifs 

La remorque du projet Tulipe en fin de construction @Airdrink

Depuis une dizaine d’années, quelques ingénieurs ont donc commencé à concevoir des générateurs portatifs capables de créer de l’eau à partir de la condensation de la vapeur d’air. Le cofondateur d’Airdrink, Philippe Gonin, participait majoritairement à des entreprises de forage quand il décide de déployer ces machines génératrices d’eau atmosphérique à Madagascar et au Togo au sein de son association. 

Ces dispositifs autonomes et mobiles sont à visée humanitaire et commerciale pour répondre au besoin croissant d’eau potable. Pour la vendre, ses fondateurs ont d’abord recours à des financements publics notamment de la métropole Aix Marseille, de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et du département.

Le générateur d’eau, @Airdrink

Ces financements ont permis à ce jour le déploiement d’une dizaine de machines de petite capacité (25l d’eau par jour environ). Ces générateurs ont déjà fait leurs preuves en contrant les problèmes d’infrastructures en eau qui ne font plus aucun doute. Dans les Dom Tom comme dans le Sud de Madagascar en proie à une grande famine depuis plusieurs années, Philippe Gonin atteste que le dispositif permet de répondre à des besoins urgents en eau là où la population en manque cruellement.

La force de ce générateur est d’abord de ne pas puiser directement dans les nappes phréatiques comme c’est souvent le cas pour la plupart de l’eau que l’on consomme. Dans ces zones où l’eau est souvent impropre à la consommation, ces générateurs ont un dispositif de filtrage à disposition. De fait, les énergies renouvelables devenant peu à peu incontournables, des panneaux photovoltaïques sont la source d’énergie majoritaire de ces dispositifs dans les pays chauds.

La technologie de génération d’eau a également été investie par d’autres entreprises. C’est le cas d’Osoley. Nous avons interrogé Julien Cavanna, fils du fondateur, qui nous confie mûrir le projet depuis 2001, après que les attentats du 11 septembre aient suscité de vives inquiétudes quant à une possible contamination de l’eau. Inspiré par la captation de l’eau dans la nature, à l’image des toiles d’araignée pour recueillir la rosée du matin, Christian Cavanna, fondateur de l’entreprise, développe alors des prototypes de générateurs pour les commercialiser en 2007.

Ce processus de production d’eau repose sur un système de filtration de l’air, avec condensation puis purification en plusieurs étapes pour produire de l’eau potable. 

Photo expo, TedX, Pointe à Pitre, GUADELOUPE @Osoley

Des technologies qui gagnent à être plus accessibles 

Les technologies utilisées devront devenir plus accessibles, en particulier dans les régions où l’eau en bouteille est très chère. L’entreprise travaille ainsi avec des banques et des organismes de microcrédit pour proposer des plans de paiement. Des programmes de financement existent déjà en Guadeloupe, à Mayotte, au Mexique, ce qui rend ces générateurs plus abordables même pour les ménages à faible revenu. Par ailleurs, la formation de ceux qui ont recours à ces machines est primordiale car ils doivent pouvoir eux même réparer les générateurs pour garantir la qualité de l’eau en cas de panne, un point qui favorise leur indépendance future.

Julien travaille en ce sens de concert avec des ONG et des gouvernements pour déployer ces générateurs dans ces zones confrontées à une pénurie d’eau : « Notre générateur d’eau Osoley fonctionne sur le principe du cycle naturel de l’eau, en condensant l’humidité présente dans l’air. L’air est aspiré, refroidi pour atteindre le point de rosée, puis l’eau est condensée, filtrée et purifiée pour la rendre potable. En 2007, nos premiers générateurs sont commercialisés dans les Caraïbes, en Guadeloupe et à Saint-Martin.

Sa capacité à produire de l’eau potable dans des conditions au fort taux d’humidité et de chaleur mais également dans des conditions difficiles avec beaucoup de sel marin dans l’air, facteur de corrosion, montre la résistance de ce dispositif « .

Comparé à l’eau en bouteille, ces dispositifs permettent également une réduction drastique des déchets plastiques : « Notre générateur permet de produire de l’eau potable sur place, éliminant le besoin d’acheter et de transporter des bouteilles en plastique. Ce qui génère des émissions de gaz à effet de serre importantes ».

Limites écologiques et économiques

Desalination plant in RAK (Ras Al Khaimah, United Arab Emirates) 2007 @Wikicommons

Certains procédés de désalinisation sont de loin les plus polluants. Vincent met ainsi en garde contre les rejets de saumure issus du processus d’osmose inverse en particulier en Arabie Saoudite et chez ses voisins. Vincent propose l’utilisation du sel de sodium qui pourrait être rejeté avec moins d’impact comme un sous-produit utilisable dans l’agriculture. L’utilisation de dispositifs avancées de dessalement, comme les unités mobiles à membranes installées dans des conteneurs, permettraient également de réduire la pollution de cette industrie lourde.

Pas encore déployées en France, ces améliorations écologiques sont actuellement en développement dans des projets internationaux, notamment à Barcelone. D’après Lambria, plusieurs de ces technologies de dessalement utilisent désormais l’énergie solaire à un niveau avancé pour purifier l’eau, comme la distillation multi-effets (MED), conçue pour minimiser l’impact écologique du dispositif et ses coûts énergétiques souvent très importants.

Quant à la technologie d’Osoley ou bien d’Airdrink, elle est à l’image de l’ensemble du procédé actuel de génération d’eau atmosphérique qui n’est pas encore largement connue du grand public, ce qui explique en partie son coût actuel. Le prix moyen de plus de 2000 euros pour un seul dispositif reste encore très élevé. Pourtant pratiques, ces dispositifs générateurs d’eau sont encore trop onéreux et ne deviendront qu’accessibles s’ils rentrent dans une démarche de plan de financement public à l’échelle du globe, ce qui commence doucement à se profiler.

Générateur portatif Expo France @Osoley

S’inspirer de dispositifs naturels sans tomber dans l’écueil du tout lucratif et de l’industrie lourde à l’instar de nombreuses usines de désalinisation est un défi majeur. Les îles del Hierro avec leurs arbres fontaines, sur la base des garoé, des arbres ancestraux qui permettaient aux Guanches, peuple berbère, de recueillir de l’eau, montrent que toutes ces inventions biomimétiques ne peuvent s’inscrire hors de leur contexte naturel pour se développer au mieux et être les plus utiles au plus grand nombre.

– Audrey Poussines


Sources :

https://www.maregionsud.fr/actualites/detail/le-plan-or-bleu-la-region-trouve-des-solutions-lorsque-leau-se-fait-rare

Maghreb : 3 usines de dessalement bientôt disponibles 

Une machine va produire de l’eau en captant l’humiditié

https://www.caminteresse.fr/environnement/la-face-cachee-des-usines-de-dessalement-deau-de-mer-11194767/

https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/ed-06-08/010044510.pdf

https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/polluants-eternels-trois-captages-d-eau-potable-depassent-les-normes-de-pfas-autorises-sur-les-326-testes-en-occitanie-2974904.html

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/changer-d-air/20230714-%C3%AEles-canaries-collecter-le-brouillard-pour-faire-face-%C3%A0-la-p%C3%A9nurie-d-eau

https://www.ladepeche.fr/2024/06/14/scandale-des-eaux-minerales-nestle-arrete-la-production-de-bouteilles-de-perrier-pour-operation-de-maintenance-reguliere-12016350.php

https://elhierro.travel/fr/decouvrez/lhistoire-de-el-hierro/

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation