Alors que plusieurs médias européens révélaient il y a peu la propagation majeure des polluants éternels (forever chemicals ou PFAS) dans notre environnement, une nouvelle étude souligne désormais leur impact néfaste sur la fertilité des femmes. Résumé des observations. 

Si chaque individu est aujourd’hui contaminé par ces produits chimiques, les femmes ayant enregistré les plus hauts taux de PFAS dans leur sang présentent en effet 40% de chance en moins de tomber enceinte l’année suivant la première tentative de conception. Un constat alarmant après l’enregistrement de plus de 17 000 sites européens comme zone contaminée « à des niveaux qui requièrent l’attention des pouvoirs public », selon Le Monde.

Polluants éternels, forever chemicals ou encore PFAS… Ces substances chimiques répondent en réalité au nom scientifique de « alkylées perfluorées et polyfluorées », soit « un groupe de substances chimiques synthétiques largement utilisées qui s’accumulent au fil du temps chez les humains et dans l’environnement », précise l’Agence européenne de l’environnement.

Éternels, vraiment ?

Extrêmement nombreuses, ces substances se déclinent selon le nombre de carbones qui les constituent. Plus elles en contiennent, plus elles seront persistantes dans l’environnement. Certains PFAS, comme le PFOA (acide perfluorooctanoïque) et le PFOS (sulfonate de perfluorooctane), attirent plus particulièrement l’attention des chercheurs et des pouvoirs publics ces dernières années.

Suspectés d’être très largement toxiques pour leur environnement et les êtres vivants qu’ils contaminent, leur présence est malheureusement déjà généralisée à l’entièreté du globe : dans l’eau, l’air, la terre, les pluies et le sang des êtres vivants – dont les êtres humains – ces polluants extrêmement persistants ne sont pas prêts de disparaître de notre environnement.

Des composants à toute épreuve…

Appréciés pour leur caractère antiadhésif, imperméabilisant et résistant aux fortes chaleurs, les PFAS sont largement utilisés depuis les années 50 dans une multitudes de produits et d’objets du quotidien : emballages de fast-food, peinture, revêtements de sol, habillement, mousses anti-incendie, bouteilles d’eau en plastique ou certains cosmétiques…

Quelques marques ont d’ailleurs construit leur réputation sur les propriétés « saisissantes » de leurs articles : Teflon, Gore-Tex ou encore Scotchgard, un imperméabilisant pour chaussures et tissus. Plus connu encore : Téfal, qui a retiré les PFOA de ses poêles anti-adhésives depuis 2012 mais utilise encore des PTFE pour l’heure autorisés. L’excellent Dark Water de Todd Haynes sorti au cinéma en 2020 retrace d’ailleurs la lourde histoire vraie du PFOA, sous famille des PFAS, aux Etats-Unis, dont les séquelles sont encore d’actualité.

Si depuis 2009 l’utilisation de certains PFAS est restreinte par la convention de Stockholm, un accord international visant à encadrer certains polluants persistants, la réglementation européenne ne semble pas encore à la hauteur de l’enjeu.

Première cartographie « de la pollution éternelle »

Celui-ci a particulièrement été révélé par une vaste enquête menée par plusieurs média européens, dont le journal Le Monde. Ensemble, ils révèlent au continent l’ampleur du phénomène de pollution :

« Pendant plusieurs mois, Le Monde et ses partenaires du Forever Pollution Project ont réuni des milliers de données pour construire « une carte de la pollution éternelle ». Celle-ci montre pour la première fois l’ampleur de la contamination de l’Europe par les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), des composés toxiques et persistants dans l’environnement », explique le média dans son dossier.

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L’Europe compterait « 17 000 sites contaminés à des niveaux qui requièrent l’attention des pouvoirs publics

D’après leurs estimations, fondées sur des milliers de prélèvements, le Vieux Continent compterait plus de « 17 000 sites contaminés à des niveaux qui requièrent l’attention des pouvoirs publics (au-delà de 10 nanogrammes par litre) ».

Plus inquiétant encore, les taux de PFAS présents dans plus de 2100 « hot spots de contamination » dépassent largement les recommandations officielles et atteignent « des niveaux jugés dangereux pour la santé par les experts que nous avons interrogés », dont un situé en Belgique et deux en France.

Ainsi, « du beau Danube bleu au lac Orestiada (Grèce), de la rivière Bilina (République tchèque) au bassin du Guadalquivir (Espagne), ici, ailleurs et partout, les PFAS sont détectées dans l’eau, l’air et la pluie, les loutres et les morues, les œufs à la coque et les adolescents », concluent, amers, les journalistes.

Des effets extrêmement délétères sur la santé

Si une telle cartographie des polluants n’avait jamais été opérée en Europe, ce n’est pas la première fois que la société civile et scientifique s’intéresse aux composants. Leurs effets sur la santé humaine sont en partie connus, même s’ils ne sont pas toujours expliqués.

Ainsi, lors d’une exposition importante et prolongée, la toxicité des PFAS est multiple : « ils provoquent une augmentation du taux de cholestérol, peuvent entraîner des cancers », détaille l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).

Effets comparés sur la santé d’un homme et d’une femme de l’exposition aux substances per- et polyfluoroalkylées – Source : Wikipedia

« Ils sont également suspectés d’interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire. Cet effet des PFAS sur le système immunitaire a récemment été mis en exergue par l’EFSA qui considère que la diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination constitue l’effet le plus critique pour la santé humaine », continue l’organisme de santé publique.

Un facteur supplémentaire de la baisse de la fertilité féminine

Enfin, une nouvelle étude confirme à son tour l’implication de ces composants dans la diminution de la fertilité humaine : « des modèles expérimentaux ont démontré un lien entre l’exposition aux substances perfluoroalkylées (PFAS) et la diminution de la fertilité et de la fécondabilité ; cependant, les études humaines sont rares. Nous avons évalué les associations entre les concentrations plasmatiques de PFAS avant la conception et les résultats de fertilité chez les femmes », détaille le Dr Nathan Cohen, auteur principal de la recherche, de l’école de médecine Icahn du Mont Sinaï à New York.

Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont mesuré les taux de PFAS présents dans le plasma collecté de 382 femmes singapouriennes essayant de concevoir un enfant entre 2015 et 2017. Après avoir écarté les facteurs d’âge, de l’éducation, de l’origine ethnique et sociale en ajustant les variables du lot analytique, les scientifiques font un constat sans appel :

« Les résultats de l’étude montrent que des expositions plus élevées aux PFAS sont associées à une diminution de la fertilité chez les femmes. Le PFDA, suivi du PFOS, du PFOA et du PFHpA, ont été les principaux contributeurs aux associations de mélanges de PFAS ».

Au total, les femmes enregistrant un taux supérieur de PFAS d’un quart à la moyenne diminuent de près de 40% leur chance de tomber enceinte dès la première année de tentatives de conception.

L’urgence de limiter les contaminations

L’étude, publiée le 24 février dernier dans la revue Science of The Total Environment, confirme ainsi l’effet néfaste des polluants éternels sur les chances de maternité, mais questionne également l’impact de tels composants sur la santé de l’enfant à naître :

« De nombreux PFAS ont été détectés dans le sang de cordon, le placenta et le lait maternel. Prévenir l’exposition aux PFAS est donc essentiel pour protéger la santé des femmes ainsi que celle de leurs enfants », explique le Dr Damaskini Valvi, co-auteure de l’étude.

Autant d’informations qui appellent à une véritable prise en charge de ces PFAS dans notre environnement. Si ceux-ci sont appelés à y persister encore longtemps, leurs impacts sur la santé des écosystèmes et des êtres-vivants peuvent en revanche être limités, à condition de se saisir politiquement et rapidement du sujet.

– L.A.


Image d’entête @Karrie Nodalo/Flickr

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