Alors que le conflit russo-ukrainien a déjà causé la mort de plusieurs milliers de civils et forcé plusieurs millions d’ukrainiens à quitter leur terre d’origine pour fuir les atrocités de la guerre, l’Ukraine est également le théâtre d’une nouvelle crise écologique majeure sur le territoire européen. Depuis le début de l’invasion russe, les attaques contre les infrastructures civiles du pays ont provoqué de considérables dommages environnementaux susceptibles de menacer durablement la sauvegarde des écosystèmes et de la biodiversité, ainsi que la santé humaine. Les actes de Vladimir Poutine contre l’environnement rappellent une nouvelle fois les limites juridiques du droit environnemental et l’urgence d’adopter un crime d’écocide afin de tenir responsables les auteurs de ces pratiques.
Depuis le début du conflit, le service d’urgence national ukrainien a enregistré l’utilisation de pas moins de136 000 objets explosifs sur une superficie de presque 41 000 hectares. Afin de renverser son régime démocratique et annexer cet ancien territoire de l’union soviétique, la Russie de Vladimir Poutine tente délibérément de déstabiliser l’ensemble de l’économie ukrainienne. À cette fin, les frappes russes ont principalement visé les infrastructures industrielles et énergétiques, les entrepôts chimiques et pharmaceutiques, ou encore les stations d’épuration des eaux usées du pays.
Au cours des premiers mois de l’agression russe, l’exemple le plus marquant restera la prise de la centrale nucléaire de Tchernobyl et les incendies dans cette zone d’exclusion qui ont provoqué la libération de substances radioactives dans l’atmosphère, réveillant les souvenirs et craintes des conséquences dévastatrices des crises nucléaires.
Outre les nombreuses substances toxiques libérées par l’explosion des missiles eux-mêmes, la destruction de ces différentes infrastructures contribue à la contamination des sols et des eaux de surface et souterraines, menaçant directement la santé humaine, et la préservation des écosystèmes et de la biodiversité sur le long terme[1].
Ainsi, le ministère ukrainien de l’environnement et des ressources naturelles a annoncé que l’intégrité d’un tiers des réserves naturelles du pays a déjà été atteinte par les activités militaires dans ces zones protégées, habitats de milliers d’espèces animales et végétales.
La pollution du fleuve Dniepr, protégé par la Convention de Ramsar, de la mer Noire et de la mer d’Azov a provoqué la mort de plusieurs milliers de dauphins et d’espèces marines, et de nombreux oiseaux migrateurs ont vu leurs terres de reproduction se transformer en véritables zones de guerre.
Alors que l’horreur que représente cette agression injustifiée semble s’essouffler dans l’opinion publique à mesure que le conflit s’installe dans la durée, il est utile de rappeler que les dégradations environnementales de la pollution de l’air, de l’eau et des sols ne se limitent pas au territoire ukrainien, mais constituent au contraire une menace transfrontalière réelle[2].
Des moyens juridiques extrêmement limités
Outre l’atteinte à l’intégrité des écosystèmes et de la biodiversité, la nature transfrontalière des dommages écologiques viole directement le droit fondamental à environnement sain de plusieurs millions de citoyens ukrainiens, mais également européens.
Hélas, le manque de moyens juridiques pour garantir le respect de ce droit humain rappelle une nouvelle fois l’importance de poursuivre les efforts visant à criminaliser les actes écocidaires et à créer des mécanismes légaux effectifs pour punir les auteurs de tels actes.
Bien que la responsabilité pénale des actions de la Russie soit actuellement examinée par la justice ukrainienne, par la Cour pénale internationale (CPI) et par de multiples parquets nationaux en vertu du principe de compétence universelle, l’état actuel des droits nationaux et/ou international relatifs à la protection de l’environnement ne dispose pas de bases juridiques adéquates pour répondre à cette nouvelle crise écologique perpétrée par Vladimir Poutine.
Théoriquement, ces dommages causés à l’environnement pourraient être poursuivis à travers l’utilisation des deux dispositions légales suivantes :
- L’article 441 de code pénal ukrainien qui reconnait explicitement le crime d’écocide comme « la destruction massive de la flore et de la faune, l’empoisonnement de l’air ou des ressources en eau, ainsi que toute autre action susceptible de provoquer une catastrophe environnementale »[3]; et
- L’article 8, 2. (b) (iv) du Statut de Rome (traité fondateur de la CPI) qui reconnait une forme éco-centrique au Crime de Guerre comme « le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu »[4].
Toutefois, dans les deux cas, les chances de succès de ces dispositions semblent quasi-inexistantes. Le caractère international du conflit réduit considérablement l’applicabilité de toutes poursuites nationales pour crime d’écocide en vertu du code pénal ukrainien, et le caractère subjectif de l’article du Statut de Rome apparait comme étant simplement impossible à démontrer.
Dans la pratique, cette disposition n’a d’ailleurs jamais été mobilisée par le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale[5].
L’importance de la reconnaissance d’un crime d’écocide
Afin de pallier cette absence de protection légale effective de l’environnement et du vivant, il est plus que jamais essentiel d’inscrire le crime d’écocide dans nos paysages juridiques existants, et ainsi tenir les gouvernements et personnes morales responsables des pratiques destructrices de l’environnement.
L’Ukraine est l’un des nombreux pays où les conflits armés menacent la préservation des écosystèmes et de la biodiversité. De plus, de nombreux actes écocidaires sont perpétrés quotidiennement en dehors de tout contexte de guerre, privant ainsi toute compétence, même théorique, de la CPI (Cour pénale internationale).
Bien que l’introduction du Crime d’Écocide comme cinquième crime contre le paix n’aurait aucune incidence sur de potentielles poursuites pénales à l’encontre de Vladimir Poutine pour les dommages environnementaux causés en Ukraine – l’application d’un nouveau crime n’étant pas rétroactive -, le conflit russo-ukrainien est l’occasion décisive pour la communauté internationale d’enfin tracer une ligne rouge morale et légale qui mette fin à l’impunité des pratiques écocidaires.
– W.D.
[1] X., « An Ecocide: how the conflict in Ukraine is bombarding the environment” in TRT World, 28 avril 2022, disponible sur: https://www.trtworld.com/magazine/an-ecocide-how-the-conflict-in-ukraine-is-bombarding-the-environment-56730
[2] Perga, T., “Ecocide in Ukraine : How Russia’s war will poison the country (and Europe) for decades to come” in De Gruyter, 30 juin 2022, disponible sur: https://blog.degruyter.com/ecocide-in-ukraine-how-russias-war-will-poison-the-country-and-europe-for-decades-to-come/
[3] Code pénal ukrainien, 1 septembre 2001, disponible sur : https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res/document/ukr/2001/criminal-code-of-the-republic-of-ukraine-en_html/Ukraine_Criminal_Code_as_of_2010_EN.pdf
[4] ONU, Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 1998, Recueil des Traités, vol. 2187, n° 38544, disponible sur : https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf
[5] Killean, R., “Legal accountability for environmental destruction in Ukraine” in Conflict and Environment Observatory, 7 mars 2022, disponible sur: https://ceobs.org/legal-accountability-for-environmental-destruction-in-ukraine/?fbclid=IwAR2XMyq8s4n2oRA12u–eYPB70YoYlaVYRc2T5Uu2Ja6pmb2X3eAfha8hA8