Tandis que la décarbonation de la société est devenue le sujet de préoccupation phare des politiques écologistes, l’effondrement de la biodiversité quant à lui, est bien loin de faire la une des journaux alors même qu’il s’agit d’une des plus grandes menaces pour notre survie. La Vérité du sol est un documentaire qui aborde à la fois avec sérieux et allégresse ce sujet, nous invitant à nous reconnecter à l’essentiel : apprendre de la nature, coopérer avec elle, plutôt que d’aller systématiquement à son encontre, au péril de la vie du sol et donc, ipso facto, de la nôtre.
Malgré la gravité du thème central de ce court-métrage, La Vérité du sol mise sur l’entrain de celles et ceux qui ont décidé de ne pas se laisser abattre, curieux et motivés à mieux comprendre les complexités écosystémiques de la terre qui nous nourrit, conscients de surcroît que c’est à nous de la nourrir en retour.
Au cours de ces 52 minutes des plus instructives, accompagnées d’une bande son positive et inspirante, ce documentaire du « réalisa-terre » François Legrand, fondateur du média Permavenir TV, interroge divers acteurs de la transition vers un modèle agricole viable, montrant qu’un autre monde est possible.
Le sol, c’est la base
Bien loin des discours moralisateurs et culpabilisants, La Vérité du sol mise sur la compréhension plutôt que le jugement des générations passées, victimes à l’époque d’un manque de connaissances sur le sujet, celles-ci étant en perpétuelle évolution. De fait, demain constitue un berceau infini de nouveaux acquis – ceux d’aujourd’hui sont indubitablement moindres par rapport à ceux que l’avenir nous apportera si l’on continue de creuser.
La Vérité du sol est ainsi un film qui se veut optimiste et qui propose des solutions concrètes pour une réelle transition vers une agriculture durable, refusant de nourrir la peur et le défaitisme. Tourné en Wallonie, mêlant images au ciel et images au sol, il met l’accent, non sur des paysages de désolation résultats d’années d’empoisonnement de l’environnement, mais plutôt sur des images de nature qui ravissent nos yeux, nous font nous évader, et montrent qu’il est tout simplement possible de vivre autrement, en cassant les codes d’un système destructeur dépassé qui nous a maintes fois montré ses limites.
Au travers des témoignages de spécialistes et acteurs sur le terrain, interrogés par le « repor-terre » Pierre Paulus, on se rend compte de l’étroitesse du champ de connaissances et d’expérience dont dispose l’humanité quant aux sols dans lesquels prend racine notre alimentation, milieux complexes, incroyablement mal compris et surtout, à l’importance depuis trop longtemps sous-estimée. Le documentaire soulève également un problème de taille : le manque cruel de moyens des agriculteurs qui, délaissés par l’État, n’ont pas tous la possibilité de faire évoluer leurs méthodes et ont un accès inégal aux informations nécessaires pour ce faire.
On pose quotidiennement nos pieds sur le sol en pensant que celui-ci n’est rien d’autre qu’un support. Et pourtant, les organismes qu’il recèle sont un maillon essentiel, si ce n’est le plus important, de la vie terrestre. Basé sur l’aseptisation à grande échelle, à coups de pesticides plus nocifs les uns que les autres, et l’utilisation d’engrais chimiques qui détruisent la vie jusque dans les cours d’eau, le modèle agricole dominant n’est durable d’aucune manière, c’est un fait.
Il nous conduit même paradoxalement à une famine mondiale. Basé sur la course au profit, quitte à laisser les sols dans un état catastrophique, dénués de vie, il en oublie que sa rentabilité n’est que temporaire, soumise au rythme galopant de la dégradation et de l’épuisement de la terre, tout comme le fallacieux sentiment de sécurité alimentaire donné à une frange de la population mondiale, tandis que la faim dans le monde ne cesse de progresser, ayant touché jusqu’à 826 millions de personne en 2021.
Par ailleurs, il est utile de préciser que la permaculture, si elle requiert au départ une attention et des connaissances plus accrues et requiert de manger des aliments adaptés aux saisons et à un environnement donné (ce qui nécessite d’arrêter notre quête incessante de suppression des contraintes de la nature qui finissent dans tous les cas par nous rattraper), n’a rien à envier aux modèle agricole dominant en matière de rendements.
C’est ce que s’évertue à faire comprendre La Vérité du sol, qui invite à revoir notre rapport à ce monde mystérieux, à mieux comprendre comment fonctionne la nature en se posant les bonnes questions. Par exemple, pourquoi certaines plantes poussent mieux ou sont protégées des agressions extérieures lorsqu’elles sont cultivées près d’autres espèces spécifiques ? Et parce que chaque sol est unique et a un potentiel différent, à quels végétaux chacun d’entre eux est-il adapté ?
« Chaque jour, nous te piétinons. Nous te marchons dessus.
Nous te cultivons. Nous t’exploitons.
Certains avec soin, d’autres beaucoup moins.
Et chaque jour, depuis la nuit des temps, tu nous (sup)portes.
Tu nous soutiens. Tu nous nourris. Tu nous tiens en vie.Pourtant, si tu nous sembles si familier,
beaucoup d’entre nous ne te comprennent pas bien.
Alors nous avons voulu renouer du lien.
Pour mieux comprendre sur quoi, chaque jour, nous posons les pieds.
Nous nous sommes si souvent éloignés…
Par nos souliers, par le bitume des sentiers, par nos boîtes emmurées…Dans une quête folle, nous nous sommes dirigés, en posant cette question à des personnes comptant parmi tes meilleurs messagers…
Au fond, quelle est la vérité du sol ? »
« Humus – Humain – Humilité » : prendre soin du sol pour prendre soin de l’humain
Ingénieur·es, enseignant·es, paysan·es. et maraîchèr·es partagent avec nous leurs précieuses connaissances et expériences dans ce documentaire édifiant qui rappelle que le sol est un être vivant à part entière et qu’il faut en prendre soin, aujourd’hui plus que jamais. En voulant tordre la nature, nous faisons peser nous-mêmes au-dessus de nos têtes une épée de Damoclès, et pas des moindres. Désertification, famine et, à terme, disparition de notre espèce (après en avoir emporté bien d’autres sur notre passage) sont des menaces tangibles liées à l’appauvrissement des sols causé par les activités anthropiques. Jérémy Rizoud, consultant en permaculture et microbiologie des sols, ne manque pas de souligner que c’est ce qui aurait pu constituer une des causes majeures de la disparition de civilisations entières.
On entend très peu parler de l’humus alors qu’il constitue la base même de la vie du sol. Issu de la décomposition de la matière organique, il disparaît à une vitesse alarmante des terres dont il assure pourtant la fertilité en fournissant notamment des nutriments essentiels à la croissance des plantes qu’il rend aussi plus résistantes aux maladies grâce à l’incroyable diversité microbienne qu’il contient (mise à mal par l’utilisation d’intrants agricoles de synthèse meurtriers), favorisant l’équilibre écosystémique et soutenant la santé des végétaux et des animaux qui en dépendent.
L’humus est également un des remparts contre le réchauffement climatique et ce, non seulement parce que c’est un réservoir à carbone mais aussi parce qu’en agissant comme une éponge, il permet d’améliorer la structure de la terre, de stabiliser les sols et de prévenir l’érosion en retenant mieux l’eau, ce qui, en période de sécheresse change totalement la donne pour les plantes subissant un stress hydrique. C’est ainsi bien plus qu’un simple composant des sols dont il est en réalité, un acteur vital.
Un modèle agricole déconnecté de la réalité, cause majeure de l’effondrement de la biodiversité
Parmi les personnes interrogées, on retrouve l’éminente écoféministe Vandana Shiva, conférencière, écrivaine et militante indienne qui ne manque pas de nous rappeler l’une des plus grandes aberrations de l’agriculture contemporaine : la majeure partie des terres agricoles à l’échelle mondiale sont consacrées non pas directement à l’alimentation humaine mais à l’élevage ou à la production d’aliments pour le bétail. Et ce, tout en sachant que 25 000 personnes, dont 4 000 enfants, meurent de faim chaque jour dans le monde.
C’est aujourd’hui indéniable, l’agriculture intensive, avec le changement climatique causé par les activités humaines, est l’une des principales raisons de la dégradation des sols. L’effondrement de la biodiversité constitue un des plus grands défis planétaires de notre temps, bien que ce soit un thème quasi-absent des débats de la sphère politique et médiatique.
L’approche simpliste de l’agriculture industrielle, reposant principalement sur les monocultures, a créé de profonds déséquilibres dans les écosystèmes, compromettant gravement la résilience de ces derniers. À cela s’ajoute une utilisation massive de pesticides et d’engrais chimiques, destinés à satisfaire l’insatiable appétit de croissance des industriels, qui exterminent tout bonnement les micro-organismes présents dans les sols, y compris ceux qui sont bénéfiques, cassant ainsi à coups de marteaux la chaîne alimentaire souterraine.
Les intrants chimiques sont aussi mortels pour les pollinisateurs pourtant nécessaires à la reproduction de l’immense majorité des plantes qui produisent la nourriture mondiale. Le labourage excessif n’est pas en reste, perturbant la structure du sol et détruisant les habitats naturels des micro-organismes nécessaires à la rétention d’eau et à la filtration des nutriments. N’oublions pas non plus la déforestation, elle aussi vectrice de destruction massive d’habitats naturels et donc de biodiversité, et la pression sur les sols par l’expansion continue des terres dédiées à l’agriculture industrielle. Tout autant de facteurs sur lesquels repose modèle agricole dominant qui poussent à l’anéantissement pur et simple de la vie des sols.
D’après une étude parue en 2021 dans la revue Science of the Total Environment, 60 à 70% des sols de l’Union européenne ont été dégradés, ceci étant la conséquence de pratiques d’exploitation non durables. Cet appauvrissement est tel que la plupart des sols ont perdu leur capacité à assurer leurs fonctions écologiques primaires.
Cela fait plusieurs décennies pourtant que nous sommes au courant de la dégradation graduelle des terres et de l’impact désastreux que cela peut avoir non seulement sur l’équilibre global des écosystèmes, mais aussi sur la sécurité alimentaire mondiale. Pourtant, la volonté politique n’est pas à la réparation ni au ralentissement des dégâts mais à la fuite en avant.
Le capitalisme vert s’est arrangé pour que le réchauffement climatique ne soit pas vu comme un symptôme d’une crise environnementale multifactorielle mais comme l’essence même de celle-ci. Ainsi, l’idée de la « société zéro carbone » bat son plein, remplit les poches des mêmes qui provoquent la crise environnementale tout en invisibilisant la nécessité de mettre les mains dans la terre.
De fait, une réelle transition – et non la chimère présentée par la plupart des États – vers un modèle plus viable en fait rechigner plus d’un car cela demanderait une remise en question révolutionnaire du système dominant. Après tout, n’est-ce pas plus facile de faire semblant d’agir pour la planète tout en continuant obscurément les mêmes activités destructrices qui continuent d’engraisser une poignée d’individus n’ayant que faire du monde laissé aux futures générations ? Après nous, le déluge…
– Elena M.