Le consommateur est sans cesse encouragé à avoir le bon geste de tri, comme pour le libérer de sa responsabilité dans la production de déchets. Derrière lui, c’est en fait le producteur que l’on dédouane. Mais voilà, une étude a mis au jour comment le marché mondialisé du recyclage était à l’origine, loin de chez nous, de 83 000 tonnes de plastique entrant dans les océans chaque année. (Archive 2020 toujours d’actualité)
Le destin du Polyéthylène « recyclé » Européen
L’étude publiée en Septembre 2020 dans Environment International (Bishop et al., 2020) analyse les données de marché relatives aux exportations et importations de Polyéthylène (PE) à partir de la base de données UN Comtrade. Le PE est un polymère plastique largement utilisé pour fabriquer des sacs, bidons, contenants alimentaires, films agricoles, jouets, bouteilles de lait, etc… (PlasticsEurope, 2018). A partir de ces données, les auteurs ont modélisé les flux de PE issus des pays de l’Union Européenne (UE-28 + Norvège + Suisse) entre ces pays et le reste du monde, afin de déterminer la fraction de PE qui est susceptible de finir son chemin dans l’océan.
L’hypothèse de départ est la suivante : des déchets plastiques exportés d’un pays développé vers un pays moins développé sont exposés à des fuites dans l’environnement lors de leur gestion dans le pays hôte du fait du manque d’infrastructures et/ou de règles environnementales.
Une fois les déchets plastiques jetés dans la bonne poubelle, ils sont collectés puis triés en fonction de leur recyclabilité. L’efficacité de ce tri dépend en grande partie du pays dans lequel on se trouve avec des process plus ou moins avancés, ce qui affecte le taux de plastique qui pourra être recyclé. A ce stade, il a été déterminé que 2 à 46% du PE était rejeté et redirigé vers d’autres filières (enfouissement ou incinération), en fonction du pays dans lequel s’effectue le tri. Pays qui correspond au pays dans lequel le PE a été collecté. C’est après que cela se complique…
Le PE trié est compressé en balles et vendu pour retraitement ; c’est l’étape du recyclage à proprement parler et c’est à ce moment que le PE est susceptible de quitter le pays source. A ce stade, il a été déterminé que 10 à 70% du PE trié est mis au rebut. Ce taux est également fonction du niveau de développement du pays considéré, les plus hauts taux de rejet se trouvant dans les pays les moins développés. Or, les auteurs montrent que 46% de la masse totale de PE triée pour recyclage est en fait exportée en-dehors du pays source. Et c’est rarement pour un pays plus développé que le pays source, car retraiter le plastique dans les pays les moins développés coûte moins cher. On envoie donc nos déchets plastique, ici le PE, majoritairement dans des pays d’Asie de l’Est comme la Chine où le PE trié est soit recyclé, soit mis au rebus et finalement incinéré ou « enfoui ».
C’est cette fraction dite « enfouie » qui pose désormais problème. Car d’après des travaux antérieurs que les auteurs citent, moins le pays est développé et plus les déchets dit « enfouis » sont susceptibles de « fuiter » vers la mer sous la forme « d’ocean debris »: centres de stockage à ciel ouvert, dépôts non contrôlés, etc… (voir figure 1).
Au sein des pays destinataires, ces flux de PE ont pu être divisés en différentes fractions déterminant le destin final de ces plastiques, en fonction de la capacité des pays hôtes à les traiter (Figure 1). Les différentes fractions sont les suivantes : recyclé, enfoui, incinéré ou débris océanique. En effet, il s’avère que les pays destinataires ne sont pas forcément en capacité de « recycler » les plastiques préalablement triés et exportés. De cette manière, 83 000 tonnes/an de PE préalablement trié pour recyclage se retrouve en fait perdu dans l’Océan, soit 3% du PE exporté.
Les incertitudes méthodologiques de l’étude
Les auteurs donnent en réalité une fourchette comprise entre 32 000 et 180 000 tonnes/an, soit 1–7% du PE exporté. Ces incertitudes sont liées à la méthode utilisée pour modéliser ces flux qui comporte elle-même des hypothèses. Par exemple, les estimations de fuite reposent sur la fameuse étude de Jambeck et al. (2015) qui fut la première étude à estimer les flux de plastique entrant dans les océans à l’échelle globale. Ces conclusions, i.e. 4,8 à 12,7 millions de tonnes de déchets plastiques terminent dans les océans chaque année, ont été largement relayées par les médias à l‘époque. Mais les incertitudes méthodologiques n’ont pas été relayées. Elles reposent notamment sur un taux de fuite à la mer estimé entre 15 et 40% sur la base du programme zéro déchet dans la baie de San Francisco. Faute de meilleures estimations, ce sont ces taux de fuite qui ont été utilisés dans l’étude sur les flux de PE « recyclés ».
La source des données, l’UN Comtrade database, souffre également de lacunes que les auteurs pointent en raison d’asymétries bilatérales entre les différents pays. Le commerce intra-Européen très intense complique en effet le traçage des flux du pays source au pays destinataire final. Mais c’est avec les pays extra-Européens que cette asymétrie est la plus forte avec par exemple des flux signalés exportés beaucoup plus importants que les flux signalés importés entre un pays source Européen et un pays hôte Asiatique. Ce qui est en adéquation avec une plus mauvaise gestion des déchets dans ces pays, car une partie devient intraçable.
Par ailleurs, l’étude se base sur les données de marché de l’année 2017. Or, la Chine a fermé ses portes aux flux de déchets plastique en 2018. Puis, d’autres pays d’Asie du Sud-Est ont suivi le mouvement comme la Malaisie ou les Philippines. Néanmoins, les auteurs montrent que les flux de PE ont été redirigés vers d’autres pays d’Asie du Sud Est avec un niveau de développement encore plus faible que celui de la Chine, ce qui aurait pour conséquence d’alourdir le bilan environnemental de ces flux de PE exporté. C’est-à-dire, encore plus de fuite dans l’Océan.
Malgré les incertitudes méthodologiques, l’étude de Bishop et al. (2020) a le mérite de proposer des ordres de grandeur de la pollution plastique exportée et appelle à une régulation du marché du recyclage à l’échelle internationale, mais aussi à l’échelle des pays en pointant les mauvais élèves.
Allemagne, Royaume-Uni et Belgique, les mauvais élèves de la pollution plastique exportée
En modélisant les flux de PE des différents pays Européens, les auteurs ont pu mettre en évidence la contribution de chaque pays dans la pollution plastique océanique engendrée. Ainsi, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique contribuent respectivement pour 32%, 29% et 12% à la masse totale de PE exportée rejoignant la cohorte de débris plastiques océaniques. Souvent louée comme modèle du recyclage et de la valorisation énergétique, l’Allemagne est en fait le premier consommateur de plastique en Europe (PlasticsEurope, 2018) et donc le premier producteur de déchets plastique, qu’elle exporte allègrement dans les pays d’Asie du Sud Est, notamment la Chine (avant 2018). Pour ces raisons, l’Allemagne est le premier pays contributeur de la pollution liée au PE exporté.
Ramenée à la population de l’Allemagne, cette pollution correspond à 300 g/hab/an. C’est moins que le Royaume-Uni (370 g/hab/an), la Belgique (910 g/hab/an) ou encore la Slovénie (1,5 kg/an). Selon les auteurs, ces chiffrent trahissent cependant plus les grandes voies de la mondialisation avec des portes de sortie vers des marchés extérieurs Européens liés à la présence de grands ports maritimes, que la production réelle de déchets plastiques du pays concerné. Ce serait particulièrement le cas de la Slovénie qui importe du PE depuis l’Italie, l’Autriche ou encore la Croatie avant de l’exporter en Asie du Sud Est. Dans le cas de la France, relativement « peu » de PE est exporté (180 000 tonnes/an) et encore moins à l’extérieur de l’Europe. La quantité de PE exportée qui se retrouverait in fine dans l’Océan est donc beaucoup plus faible avec 25 g/hab/an seulement.
Ces chiffres peuvent être néanmoins mis en perspective avec les estimations de flux de plastique (tout polymère et toutes sources confondues : incivilités, pertes, animaux, vents, pluies, mauvaise gestion, etc…) faites dans la Seine par le Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbain de l’Université de Créteil et de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées au travers du projet MacroPLAST. D’après les études menées au sein de ce projet, les flux de plastique transférés en mer via la Seine seraient compris entre 6 et 12 g/hab/an, soit 2 à 4 fois moins que les fuites de PE engendrées par la mondialisation du marché du recyclage. De quoi relativiser le geste de tri du « bon consommateur » qui contribue de toute manière à la pollution des océans qu’il jette ses déchets dans la rue ou dans la bonne poubelle.
La responsabilisation du consommateur seule est donc vouée à l’échec dans la lutte contre la pollution plastique car le consommateur est à la fois à l’aval et l’amont d’une longue chaîne de valeur qu’il ne maîtrise pas du tout. Il est à l’aval en ce qui concerne la production exponentielle de plastique, l’usage d’emballages jusqu’à l’absurde, la mondialisation des échanges, etc. Son seul pouvoir est alors d’acheter ou non ces produits. Mais il est à l’amont en ce qui concerne le tri des déchets, leur retraitement et leur commerce sur lesquels il n’a absolument aucun pouvoir car il ne peut pas décider du destin de ses déchets collectés.
Enfin, si le PE est représentatif des autres matières plastiques, alors les résultats de cette étude peuvent être multipliés par 3, le PE correspondant à environ 30% du marché Européen (PlasticsEurope, 2018).
Épilogue
Compte tenu de la modélisation mise en avant par les auteurs, les résultats sont fortement influencés par le niveau de développement économique des pays destinataires des flux de PE à recycler. Une des voies de la réglementation à suivre serait donc d’interdire tout export de PE et par extension de tout déchet, vers des pays dont les capacités qualitatives de traitement sont inférieures au pays source. Mais pour que les pays hôtes soient en capacité de gérer les quantités énormes de déchets qu’ils génèrent, il faut nécessairement diminuer leur production et donc la consommation.
La crise de la Covid-19 a mis en exergue la nécessité de casser les dynamiques exponentielles. Les différents pays ont bien compris qu’il fallait casser la dynamique exponentielle de la propagation du virus pour éviter de saturer les hôpitaux et d’être amenés à choisir qui soigner ou pas. Dans ce contexte, les gouvernements ont, avec plus ou moins de succès, essayé d’enrayer cette dynamique en s’attaquant à l’amont du problème. Ils se sont en effet attaqués à la propagation du virus, en réduisant les interactions sociales (e.g. confinements, fermetures des bars et restaurants, couvre-feu, etc.), plutôt que d’augmenter les capacités du système de santé pour gérer, à l’aval, l’afflux de malades.
Dans le cas du système plastique, c’est l’inverse. Rien n’est fait en amont pour endiguer sa production et sa consommation qui suivent également une exponentielle avec une croissance de près de 8%/an (voir figure 2). Au contraire, le business as usual est conforté avec des restrictions de marché à la marge (cotons tiges, pailles, couverts en plastiques, etc.) et un calendrier de sortie du plastique à usage unique repoussé aux calendes grecques : 2040, soit une éternité au regard de la crise écosystémique que l’on vit actuellement. Ici, les « solutions » mises en avant se concentrent sur l’aval du système plastique au sein d’un capitalisme vert et d’une économie circulaire réduite au seul « recyclage ».
Romain Tramoy, Post-Doctorant – LEESU
Photo d’en-tête : décharge à ciel ouvert au Vietnam
Références
Bishop, G., Styles, D., Lens, P.N.L., 2020. Recycling of European plastic is a pathway for plastic debris in the ocean. Environ. Int. 142, 105893. https://doi.org/10.1016/j.envint.2020.105893
Jambeck, J.R., Geyer, R., Wilcox, C., Siegler, T.R., Perryman, M., Andrady, A., Narayan, R., Law, K.L., 2015. Plastic waste inputs from land into the ocean. Science 347, 768–771. https://doi.org/10.1126/science.1260352
PlasticsEurope, 2018. Plastics – the Facts 2018, an analysis of European plastics production, demand and waste data. Association of Plastics Manufacturer, Brussels.
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