Transformer son entreprise du tout au tout pour la rendre plus éthique est difficile. C’est certain. Remises en question, démarches administratives, investissements et coûts : la déconstruction-reconstruction d’un petit commerce peut s’avérer un long processus à risques. Mais est-ce impossible ? Pas vraiment. Bien qu’il soit plus évident de concevoir une structure éthique à partir de zéro, certaines marques bien implantées décident tout de même de relever le défi, troquant leur ancien modèle, même fructueux, contre une production plus juste. JUCH fait partie de ces consciences qui ont tout remis en jeu, en faveur de lendemains plus respirables. Présentation.

Juch n’est pas une nouvelle marque française de chaussures. Sur le marché depuis 2015, elle concevait et confectionnait déjà des sneakers qui revisitaient les classiques. Mais jusque-là, bien que qualitatives, les baskets étaient composées de matières premières souvent jugées polluantes, ainsi que de cuir animal. Des pratiques dont l’équipe a finalement choisi de se passer définitivement, au profit d’alternatives plus éthiques : « L’idée générale, aujourd’hui, c’est de tout changer ! Nous sommes une petite structure, mais on a décidé d’arrêter notre ancienne façon de travailler, une conversion sur laquelle nous sommes depuis maintenant plus de 3 ans » introduisent les co-fondateurs.

En effet, au bout de quelques années, Julia et Charles-Hugo, le binôme à l’origine du projet, décident de repenser leur manière de produire. Ils se lancent dans une refonte de leur ligne artisanale, et troquent les matériaux délétères contre un modèle globalement plus éthique : de la chaussure à la confection, en passant par la transparence vis-à-vis du client. Aujourd’hui, ils sont parvenus à modéliser une nouvelle paire de baskets à partir de textures naturelles, dont la chaîne de production est claire et juste. C’est « l’Élément 0 » .

Repenser la matière, du cuir au végétal : le déclic.

Ce qui a d’abord questionné le duo de créateurs, c’est le coût énergétique et moral du cuir. Et non sans raison. En 2019, l’ONU rappelait que 80 % du cuir était issu d’exploitations de travailleurs et travailleuses sous-payés et exposés à de graves dangers sanitaires. En effet, même « assemblé » en Europe, le cuir provient majoritairement de pays en voie de développement où les conditions précaires sont exacerbées par les rythmes imposés par le marché. Le tannage du cuir le plus rapide, au chrome, s’avère terriblement nocif, pour la santé et pour la planète. Le processus de transformation chimique pollue sols, courants et air, au détriment de la population locale et de son paysage. À ces altérations s’ajoute que la vente de cuir est intrinsèquement liée à celle de la viande bovine. Autrement dit, les deux filières cultivent, main dans la main, le désastre écologique qui consiste à raser des milliers d’hectares de forêts pour élever et nourrir des quantités astronomiques d’animaux. Le doute n’est plus autorisé aujourd’hui : il faut trouver des alternatives !

À ses débuts, la marque fabriquait essentiellement en peau animale, comme beaucoup. Mais les mentalités évoluent, y compris la leur, et il est rapidement devenu impératif aux yeux des deux créateurs de repenser cette matière principale problématique. Celle-ci, et finalement, pourquoi pas les autres aussi. D’autant que les confections de matériaux alternatifs sont de plus en plus démocratisées et accessibles. Les excuses se font rares. Faisant table rase des anciennes collections, les partenaires se sont attelés à la tâche : tout réfléchir à nouveau. Et pour marquer ce retour à la page blanche, rien de tel qu’un modèle baptisé « Élément Zéro ».

Nouveaux horizons, nouveaux matériaux.

Pendant 24 mois, l’équipe a imaginé un nouveau modèle : un basic confortable avec quelques touches d’originalité. L’idée ? Créer un classique dans lequel on puisse investir pour une utilisation quotidienne, sur le long terme. A l’opposé du tout jetable et de la fast-fashion. Dans cette perspective du « peu, mais bien », il a impérativement fallu miser sur une résistance de la chaussure qui soit à la hauteur du cuir animal. C’était un aspect non-négociable pour Julia et Charles-Hugo : ne pas perdre en qualité. Le binôme opte ainsi pour une semelle extérieure en liège recyclé flexible et du caoutchouc à base de latex naturel issu de plusieurs plantes. Les créateurs soulignent : « Par sa structure et ses propriétés, le caoutchouc naturel, qui encaisse chocs et rayures, se distingue du caoutchouc synthétique qui lui est produit à partir de dérivés du pétrole » . Quant aux empiècements, ils sont en liège naturel, « aussi résistant et durable que le cuir, mais 3 fois plus léger » .

Le reste des parties extérieures est en microfibre recyclée tannée à l’eau. Résultat ? Une matière facilement lavable et surtout imperméable. Le matériau est ensuite teint avec des colorants et des pigments à base d’eau pour les rendre non-toxiques. Les lacets, quant à eux, sont fabriqués en plastique 100% recyclé : « L’utilisation du polyester recyclé réduit notre dépendance au pétrole en tant que source de matières premières. Elle donne une seconde vie à un matériau qui n’est pas biodégradable et qui se retrouverait autrement dans les décharges ou dans l’océan » complète Julia.

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Enfin, la semelle intérieure est constituée de maïs, bois, latex naturel (hévéa) et laine. Des éléments à l’impact environnemental faible, que l’équipe aimerait d’origine entièrement végétale à terme. Car les associés le précisent : tout n’est pas encore parfait, mais ils sont au début d’une transition qu’ils espèrent chaque jour plus éthique. Toutes ces alternatives, JUCH a pris soin de les choisir en Europe, comme au Portugal ou en Italie : « Nous avons choisi des pays européens voisins avec la France afin de faciliter nos déplacements dans les ateliers et limiter notre empreinte carbone » rappelle Charles-Hugo. Un long travail de recherche et de choix de fournisseurs consciencieux afin de repartir sur des bases saines. Mais une fois les pièces en main, aussi a-t-il fallu travailler à une confection qui soit la plus respectueuse possible des travailleurs et travailleuses ainsi que des clients, notamment grâce à une totale transparence sur les étapes de fabrications.

 

Au-delà de l’écologie, des conditions justes pour une éthique globale.

Parce que l’éthique englobe tout une idéologie, la refonte de la marque a du également passer par une reconnexion avec les prestataires impliqués. Afin de s’assurer des conditions de travail auxquelles la chaussure sera affiliée, le duo s’est rendu dans un atelier européen où il a pu établir une relation de confiance avec son gérant : « Je m’y rends plusieurs fois par an, et je peux vous assurer qu’ils sont respectueux des conditions de leurs salariés. Tous les ouvriers et ouvrières ont par exemple un rythme de travail qui leur permet d’aller chercher leurs enfants à l’école. J’ai un rapport amical avec Adrian qui est le responsable de l’atelier de production, je connais ses enfants, sa femme et également plusieurs ouvriers. Si vous voulez que vos chaussures soient réalisées avec soin il faut créer du lien, c’est essentiel selon moi, le lien créé la confiance » .

Charles-Hugo et Julia, à l’origine de JUCH

Ce lien, Juch compte bien le créer également avec ses clients, auprès de qui la marque s’engage à une totale transparence. Suivant ce principe, l’équipe a investi beaucoup de temps et d’énergie à la mise en place d’une chaîne de contrôle par les utilisateurs : « Concernant les certifications et les différents labels nous les validons actuellement avec notre partenaire Crystal Chain afin d’être capable de tout tracer (c’est un gros investissement) et surtout d’être 100% transparent ! La blockchain apporte la preuve des provenances, à travers un échange d’informations qui, une fois enregistrées, ne sont plus modifiables et c’est ça qui est intéressant ! Cela veut dire que nos fournisseurs se doivent de nous valider et de nous fournir leurs certifications en nous envoyant la preuve par l’intermédiaire de documents visés. Si le fournisseur n’a pas certaines certifications nous ne travaillons pas avec » .

Côté pratique : la marque a créé un QR code qui permettra à chacun de connaître la provenance et les matières utilisées dans la fabrication de leur chaussure. Le QR code, sur cette première édition, sera sur la boîte de la chaussure. Une boîte en carton que Julia et Charles-Hugo ont également promis de ne pas suremballer. Une paire, la boîte, et un sachet en toile pour leur lavage en machine suffiront amplement.

Les deux fondateurs se confient : « Le prototypage et la recherche de tous les fournisseurs nous a pris plus de 3 ans, entre l’atelier qui assemble et le développement de la tige de la chaussure pour ne pas avoir une chaussure jetable, nous avons fait beaucoup d’allers-retours et de tests. Le coût global de toute cette recherche pour le moment ne nous permet pas d’être viable en tant qu’indépendants, surtout en gardant ce modèle de développement européen qui nous tient à cœur » . Actuellement, ils sont à une étape clef de ce virage à 360°. Avec les fonds récoltés via leur campagne participative, ils peuvent démarrer la production, mais elle ne serait pas pérenne : « Plus nous réalisons de précommandes, plus notre engagement pourra être fort. Plus de précommandes dit également plus de fonds récoltés pour l’association Océanium » . Car, en effet, une partie du prix de chaque paire est reversée à cette association franco-sénégalaise qui tend à améliorer les infrastructures du pays (accès à l’eau, à l’éducation, à la culture, à des alternatives durables et écologiques, etc). Le choix courageux des deux associés prouve, en somme, que même si le pari n’est pas assuré d’avance, il est possible de prendre les devants du type de modèle qu’on veut voir à l’œuvre dans les sociétés de demain : des sociétés de confiance, à l’écoute des enjeux environnementaux et du temps long. 

Sharon H.

Lien pour participer à la campagne Kickstarter de JUCH

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