« Imaginez une salle de test où vous seriez exposé à une très forte concentration de particules fines. Vous vivez dans cette salle, vous êtes malgré vous le cobaye de cette expérience. » C’est ainsi que la journaliste Chai Jing introduit à son auditoire la gravité de la pollution en Chine. Personnellement touchée par les smogs, ces nuages pollués hautement cancérigènes, elle est l’auteure du reportage Sous le Dôme censuré.
Auparavant animatrice et reporter d’investigation reconnue au sein de la Television Centrale de Chine, Chai Jing a démissionné de son poste prestigieux lorsqu’elle a appris que l’enfant qu’elle portait devait être opéré d’une tumeur dès sa naissance. Consciente de la responsabilité de la pollution de l’air chinois dans la maladie de sa fille, la journaliste a décidé de consacrer toute son énergie à la réalisation d’un documentaire auto-produit sur les problèmes environnementaux qui sévissent dans son pays. Au terme d’un an d’enquête, et après avoir investi près de 167 000 dollars, « Sous le Dôme » fut diffusé sur Internet le 28 février 2015…
Le reportage a provoqué un véritable séisme. L’accueil que lui réservèrent les internautes fut exceptionnel. 3 jours après sa sortie le film long de 1h43min a été visionné plus de 200 millions de fois. Alerté, et inquiété par le succès de l’œuvre de Jing, le gouvernement chinois s’est empressé de censurer la vidéo. Ainsi, ce documentaire dévoile deux enjeux fondamentaux : l’ampleur de la pollution chinoise face à l’immobilisme des hautes instances, et la politique autoritaire mise en place par le gouvernement « communiste » chinois.
Chirurgie d’un système
Le reportage est présenté sous la forme d’une conférence gesticulée. Les éléments que Chai Jing avance sont sans appel : tous les Chinois seraient en danger. À chaque nouveau smog, les admissions aux urgences augmentent de manière significative, alors que les médecins refusent d’admettre que la pollution est à l’origine de cette recrudescence de pneumonie et de maladies respiratoires. En effet, aucune étude épidémiologique n’a été réalisée. L’ex-ministre de la Santé en Chine estime cependant que près de 500 000 (chiffre aujourd’hui revue à la hausse) personnes décèdent prématurément à cause de l’air souillé par les particules fines. Ces corps microscopiques déversés par les zones industrielles sont pointés du doigt, ces mêmes particules (dont l’origine diffère) qui frappent Paris et d’autres grandes villes du monde.
Bien trop petits pour être arrêtés par nos défenses immunitaires, ils affectent l’organisme au plus profond de ses chairs. Ils engendrent sur leur passage de multiples inflammations au niveau des voies respiratoires, obstruent les vaisseaux sanguins, et endommagent les poumons et le cœur. Chai Jing présente leurs dégâts de manière didactique, en illustrant le problème tel un jeu vidéo. Le jeu consiste en la bataille entre notre système de défense et les innombrables particules qui l’assaillent. Les petits « monstres » tels qu’ils sont symbolisés accablent 25 000 fois par jour notre corps, puisque leur assaut se renouvèle à chaque respiration.
Ces éléments sont particulièrement nombreux en Chine où l’énergie est principalement tirée du charbon. Lors des périodes de crise, leur concentration dépasse jusqu’à 20 fois la limite maximale autorisée en Chine, déjà supérieure à celle des autres nations. Par ailleurs, les smogs représentent un problème vieux de plus de 30 ans dans ce grand pays, et pourtant, les médias nationaux qualifiaient jusqu’à récemment ces masses mortelles de simples brouillards. Le professeur He Xingzhou a pourtant consacré sa vie aux risques liés à la pollution, publiant ainsi une étude sur les liens entre la pollution atmosphérique et les causes de mortalité dans 26 villes chinoises entre 1976 et 1981. À l’époque, la combustion du charbon constituait déjà un important vecteur de cancer du poumon. Et pourtant, avant 2006, les autorités n’ont jamais officiellement évoqué les risques sanitaires de ces fumées irritantes, seule la croissance économique étant importante.
Un immobilisme généralisé
En effet, alors que des normes imposent d’installer des purificateurs de fumée au dessus des cheminées des usines, quasiment aucune n’en possède à ce jour. De même, alors que les stations services sont censées contenir des filtres à vapeur d’essence, des volutes s’en échappent à chaque plein. Ces équipements de base sont, dans les pays occidentaux, indispensables à l’ouverture d’une enseigne. En Chine, à ce jour, il semble toujours possible de contourner les règles afin de ne jamais ralentir la machine économique qui s’essouffle cependant d’elle même. Ainsi, « Sous le Dôme » expose avec brio, et par un militantisme intérieur, les aspects de la pollution chinoise, dévoilant une face obscure de l’Empire du Milieu tachée d’ingérences politiques, de censures, et de scandales écologiques et sanitaires. Le succès mondial du reportage de Chai Xing laisse cependant place à l’espoir d’une prise de conscience des pouvoirs.
Version intégrale FR du reportage interdit en Chine
Source : courrierinternational.com / Informations et chiffres tirés du reportage « Sous le Dôme«