Dénoncer l’exploitation et les inégalités systématiques dans l’industrie du chocolat : c’est le défi que s’est lancé Tony’s Chocolonely, une entreprise de confiserie néerlandaise dite « 100 % sans esclavage » à travers la réalisation d’un court-métrage saisissant.

La production de chocolat a un impact social et environnemental aussi gigantesque qu’invisible, résultant d’une industrie profondément agressive : l’industrie du cacao. Entre déforestation systémique, esclavage des enfants, ou encore insécurité alimentaire, il est clair que le chocolat produit par les six grands industriels du chocolat – le plus produit et consommé – est tout sauf éthique. Or, ces conséquences négatives demeurent un sujet tabou, trop peu abordé. En raison des intérêts économiques et commerciaux, mais aussi et surtout de la remise en question du confort que cela suppose pour nous, consommateurs occidentaux qui ne nous posons que bien peu de questions sur l’origine des choses.

Reis Ghana, van 23 tot 27 januari 2017

La marque Tony’s Chocolonely a décidé de briser ce silence et de faire trembler les industriels du cacao. Non seulement elle s’engage à produire du chocolat « 100 % sans esclavage » mais, aussi, elle dénonce publiquement les inégalités propres à l’industrie classique du cacao à la manière d’une ONG. Notamment par son dernier film-manifeste qui donne la parole aux travailleurs du secteur. Zoom sur une marque qui déclare la guerre à toute une industrie.

Une marque éthique « 100 % sans esclavage »

Tony’s Chocolonely, c’est le résultat d’un constat partagé par trois journalistes d’investigation néerlandais : l’industrie du chocolat tue. Les êtres humains, comme non humains. A l’époque, tous trois travaillent pour l’émission de télévision néerlandaise Keuringsdienst van Waarde ( « Service d’inspection de valeur » ), laquelle a pour but d’analyser la production de divers aliments de consommation tels que la banane, le soja, le vin ou encore … le chocolat. En 2003, ils consacrent deux épisodes au sujet de ce dernier et publient un rapport. Ils y dénoncent le fait que les plus grands fabricants de chocolat du monde achètent du cacao dans des plantations qui recourent au travail illégal des enfants, et notamment en Côte d’Ivoire. Surtout, les trois journalistes signalent le profond désintérêt des industriels du cacao pour agir contre cette forme d’esclavage moderne.

En 2005, faisant le constat que les industriels ne changeront rien tant qu’une alternative ne leur est pas imposée, ils décident de fonder Tony’s Chocolonely : une entreprise à impact social certifiée B Corp et Commerce équitable, qui va au-delà des certifications habituelles (peu contraignantes) pour faire du chocolat 100 % sans esclavage. Les cinq ingrédients de Tony’s pour un chocolat sans esclavage :

Crédits photo : Tony’s Chocolonely

Après plusieurs années de développement, la marque néerlandaise a tenu ses promesses : en établissant des relations directes à long terme avec les producteurs de cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire, en payant leurs fèves à un prix plus élevé et en travaillant ensemble pour résoudre les causes sous-jacentes de l’esclavage moderne, elle montre qu’il est possible de produire du chocolat de manière éthique et durable.

Surtout, la marque ne cesse de se remettre en question. C’est pourquoi elle a demandé à des chercheurs de s’assurer qu’il n’y ait pas de cas de travail forcé et d’exploitation dans leur chaîne de valeur. Ils n’ont pas trouvé de cas récent d’esclavage moderne dans les coopératives partenaires. C’est le signe que leur engagement paie sur le terrain puisque, auparavant, ils avaient trouvé 4 adultes victimes de travail forcé et des accords parfois un peu flous avec certains travailleurs. Tony’s a également contacté True Price, afin de calculer le vrai coût sociétal du chocolat en prenant en compte le travail des enfants mais aussi le coût environnemental, par exemple avec les émissions de CO2. La conclusion de True Price ? L’impact négatif d’une tablette Tony’s est 55% plus faible que la moyenne. Et l’impact négatif social a été amélioré de 51% en 5 ans (et environnemental de 18%).

Au-delà de produire du chocolat 100% sans esclavage, Tony’s Chocolonely réalise de nombreux efforts pour sensibiliser aux conséquences négatives de
l’industrie du chocolat de manière générale, alors qu’ils en font partie.

Une marque réellement engagée : « L’équitable contre l’inéquitable »

L’engagement de la marque se lit dès la page d’accueil de leur site :

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

« aujourd’hui, l’esclavage moderne est présent dans les plantations de cacao en Afrique de l’Ouest. c’est le résultat d’une répartition inégale des richesses dans la filière du cacao ».

Et, lorsque l’on va dans l’onglet « Notre histoire », on peut lire des informations plus denses quant à la problématique de l’industrie du cacao. En voici un extrait :

« La filière du cacao est divisée inégalement. Elle démarre avec des millions d’agriculteurs qui produisent le cacao et se termine avec des millions de consommateurs qui mangent et savourent le chocolat. Mais qu’en est-il au milieu de la filière du cacao? Cette partie est dominée par une poignée de géants du chocolat qui s’enrichissent en maintenant le prix d’achat du cacao le plus bas possible. Les agriculteurs sont ainsi contraints de vivre dans la pauvreté.. ce qui a pour conséquence directe le travail illégal des enfants et l’esclavage moderne. […] Le travail des enfants et l’esclavage moderne sont contraires à toutes lois et sont intolérables. Ces pratiques sont illégales et doivent cesser. »

Crédits photo : Tony’s Chocolonely

Mais Tony’s a voulu aller encore plus loin. La marque a lancé en septembre son premier court-métrage largement diffusé pour sensibiliser à sa lutte contre les inégalités systématiques et l’exploitation dans l’industrie du chocolat.

Ce clip très artistique explique la mission de Tony’s qui vise à mettre fin à l’exploitation des producteurs de cacao. Il met en parallèle l’équité que nous tenons pour acquise dans le monde occidental avec l’inégalité des chaînes d’approvisionnement du cacao en Afrique de l’Ouest, où il y a toujours plus de 30 000 cas d’esclavage moderne et plus de 2 millions d’enfants travaillant illégalement. Sans passer par quatre chemin, le marque demande de ne pas consommer chez les industriels du secteur. Idris Elba, son narrateur, explique :

« En tant qu’Anglais, fils d’une mère ghanéenne et d’un père sierra-léonais, je ne suis que trop conscient des inégalités choquantes entre l’Occident et l’Afrique. […] C’est un honneur pour moi de donner une voix au puissant manifeste de Tony’s contre l’exploitation. Cette collaboration est, pour moi, une première étape vers un travail plus important encore. »

Tout le chocolat consommé en occident doit être fait sans esclavage moderne ni travail illégal des enfants : c’est l’objectif et le combat mené par « Tony » comme par de nombreux ONG et militants. Plus largement, la marque souhaite montrer l’exemple afin de forcer tous les industriels de la filière du cacao à produire enfin du chocolat 100 % sans esclavage partout dans le monde. Restera toujours l’épineuse question : comment la marque éthique, jouant elle même le jeu du capitalisme et de la mondialisation, fera-t-elle pour résister à la fuite en avant productiviste ?

Reis Ghana, janvier 2017.

Camille Bouko-levy

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