Le 13 décembre 2023, le squat d’accueil et d’habitation du Pado, à Briancon, a été évacué après notification d’un arrêté de mise en péril demandé par le maire, Arnaud Murgia. Une trêve hivernale avait pourtant été obtenue en octobre, laissant normalement jusqu’au 31 mars aux habitant·es pour quitter les lieux. Depuis l’expulsion, les médias et rumeurs se déchainent envers les ancien·nes habitant·es qui souhaitent ici réaffirmer leurs positionnements politiques et leur expérience commune. Tribune. 

Les habitant·es du squat Pado contestent le « zèle que les médias mettent à montrer le Pado comme un lieu sale et violent ». Si « la vie n’y a pas toujours été aisée », ils veulent surtout offrir à penser le Pado avec plus de « nuances ».

Ils proposent alors dans cette tribune une contextualisation de l’ouverture du Pado, une analyse des raisons invoquées dans l’arrêté de mise en péril pour expulser le Pado, une remise en cause de « nombreux non sens et propos irréels énoncés dans les médias » et le point de vue des premier·es concerné·es, à savoir les habitant·es. Voici leur tribune.

@Le Pado

Pourquoi le Pado ? Situation dans le Brianconais

Le premier point qui doit être éclairci, c’est le contexte à Briançon. Il s’agit d’une frontière avec l’Italie qui est empruntée par des personnes en exil. Chaque année, il y a de plus en plus de personnes qui se retrouvent forcées de quitter leur pays d’origine pour fuir la guerre, l’oppression politique, religieuse, le dérèglement climatique, pour se donner la possibilité d’une vie plus digne…

Cet été, il y a eu une situation d’urgence sans précédent : le nombre de personnes traversant la frontière ayant considérablement augmenté, le refuge des Terrasses Solidaires (association proposant un hébergement d’urgence), s’est retrouvée débordée.
En effet, au début de l’été, jusqu’à plus de 300 personnes avaient besoin d’un endroit où passer la nuit après leur longue traversée des montagnes du col de Montgenèvre.

Malgré une politique interne fixant un maximum légal de 81 places d’hébergement et à la limitation à trois nuits maximum, la situation est rapidement devenue ingérable. De partout, des personnes dormaient dans chaque mètre carré disponible, dans les couloirs, en extérieur à même le sol, des dizaines de lits de camp dans le réfectoire, des tentes sur la terrasse… De nombreux·ses salarié·es et bénévoles se sont retrouvé·es dans une détresse mentale et émotionnelle intense, voir en burn out.

Comme le rappelle l’association Tous Migrants dans son dernier communiqué, les interpellations de la Préfecture pour la mise en place d’un centre d’hébergement d’urgence compémentaires sont restées vaines. La seule réponse apportée par le préfet : « Dans le contexte d’augmentation des flux migratoires que connait actuellement le département des Hautes-Alpes, il ne fait aucun doute que la réduction du nombre de passages illégaux à la frontière est le seul moyen d’agir efficacement sur la situation que connaît le Briançonnais. L’Etat fait ainsi sa part, s’assurant du bon respect des lois et règlements en vigueur en matière d’entrée sur le territoire national. »

C’est donc dans ce contexte que l’ouverture du Pado a été pensée.

Le droit à des conditions dignes

Alors que le bâtiment venait d’être ouvert, à l’intérieur, c’était la bataille pour tenter de trouver des solutions pour rétablir l’eau et l’électricité afin de proposer un accueil le plus digne possible aux personnes de passage. Les Terrasses Solidaires étaient fermées sous la pression qui y était subie depuis des semaines ; ce qui a plongé le Pado dans le vortex de l’urgence sans y être préparé.

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Pour la plupart, les habitant·es n’arrivaient pas par choix. Le Pado c’était avant tout une réponse simple face a un manque de solutions d’hébergement d’urgence et un abandon des acteurs institutionnels de la région…

Un·e habitant·e témoigne : « Le Pado était comme une mini-société organisée autour des personnes traversant la frontière et qui avaient besoin de solutions pour continuer leur route. Les personnes s’engageant à leurs cotés avaient pour but de les soutenir dans différentes démarches. Du point de vue d’une personne sans papier ayant vécu ici, le Pado était comme une famille alors qu’il ne connaissait personne en Europe. S’il n’avait pas trouvé ce squat, il aurait dormi dehors ou dans une station essence, il n’aurait pas pu récupérer son passeport rapidement. Quand il a traversé la frontière, il n’avait pas d’argent pour le bus, seulement les habits qu’il portait sur lui. Il a pu trouver des endroits où prendre une douche, et commencer à comprendre comment fonctionnait l’Europe. Quand il a été malade, il aurait été plus compliqué pour lui d’accéder à des soins sans l’accompagnement qui lui a été proposé. Le Pado etait sa maison, et ses habitant·es sa famille. »

Remise en cause des clauses de l’arrêté de péril.

Les arguments avancés par Arnaud Murgia, maire de la ville de Briancon, pour faire évacuer le Pado étaient « les nuisances croissantes laissant à craindre des accidents de type incendie, propagation de maladies épidémiques ou contagieuses, explosion de gaz ». Il nous semble crucial de rappeler que ces périls, bien que réels, sont à remettre dans le contexte des évènements et des conditions de vies au Pado.

Rappelons que notre arrivée d’eau avait été cimentée avec la vanne fermée et les réseau d’électricités tout autour du bâtiment coupés eux aussi, le tout de manière illégale.
En effet, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 affirme que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable » et l’ordonnance n°2022-1611 du 22/12/2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine stipule que « le droit à l’accès à l’eau pour tous est réaffirmé ».

En effet, sans eau, il est impossible de faire fonctionner les sanitaires, ce qui nous a obligé à fonctionner avec des toilettes sèches, chose qui a été largement reprochée. Lorsque vivaient plus de 300 personnes dans le bâtiment, en septembre et en octobre, deux toilettes sèches ne suffisaient évidement pas à répondre aux besoins de tous·tes ; et il n’est pas aisé lorsqu’il n’y a pas assez de personnes pour accueillir et expliquer le fonctionnement des lieux, parfois sans langue commune, de situer ces installations et leur fonctionnement. Pour la même raison, il est aussi extrêmement difficile de maintenir un espace de 1200 mètres carrés dans de bonnes conditions d’hygiène.

La problématique que soulève ce constat, c’est que l’insalubrité, c’est la mairie qui en a favorisé les conditions.

Heureusement, lorsqu’une personne malade arrivait, nous avons pu compter sur les associations qui ont porté assistance au Pado pour trouver une chambre ailleurs afin de mettre la personne en quarantaine. Ceci nous a permis d’éviter les épidémies.

Il serait cependant mensonger de dire que l’organisation était irréprochable : il y a eu une période de chaos où il était extrêmement difficile d’organiser quoi que ce soit tant le nombre de persones en besoin d’un toit était important et les personnes s’engageant pour les accueillir faible. Les choses les plus élementaires comme trouver des place pour dormir, servir le repas, accéder à des habits de rechange et organiser les départs prenaient déjà plus d’énergie qu’il n’y en avait de disponible.. La situation était intense, difficile à vivre pour tous·tes et a été gérée comme il se pouvait : dans l’urgence.

L’utilisation de carburants et de gaz – et les dangers supplémentaires que cela implique- auraient également été évités si la mairie n’avait pas coupé l’électricité, nous contraignant à chauffer quelques pièces avec des poêles à pétrole et gaz et à cuisiner au gaz également.

Il y a quelques semaines, Arnaud Murgia était intervenu à l’école primaire au sujet de l’insalubrité et des risques qui, selon lui, mettaient en danger les élèves. Pourtant une majorité des parents a soulevé l’incohérence des propos tenus lors de cette réunion. D’après elleux, les difficultés rencontrées par les habitant·es du Pado sont dûes à la coupure d’eau et d’électricité, orchestrée par ce même maire qui brandit l’argument d’insalubrité. Les parents d’élèves appelaient plutôt à une prise de responsabilités politiques de la part de la municipalité.

Arnaud Murgia ne se prive pas non plus d’instrumentaliser la sécurité des élèves pour appuyer ses arguments, alors qu’à aucun moment les enfants n’ont été mis en danger par les habitant·es du Pado, comme l’atteste le représentant de l’éducation nationale des Hautes Alpes lorsqu’il déclare qu’aucun incident n’a été déploré.

@Le Pado

Articles mensongers

Un article du Dauphiné Libéré prétend qu’il n’y avait aucune personne sans papiers européens dans le bâtiment lors de l’expulsion, et selon un voisin, cette situation durerait depuis plus d’un mois Ceci est complètement irréel.

Il n’y avait effectivement aucun·e cohabitant·e en situation irrégulière lors de l’évacuation à cause des risques d’arrestations. On sait que les Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) et Interdictions de Retourner sur le territoire Français (IRTF) ont tendance à pleuvoir sur nos ami·es exilé·es. C’est comme un chantage moral pour faire taire toute opposition : regardez, militant·es, à cause de vous et de vos actions, ce sont les personnes en « situation irrégulière » qui ont des problèmes. Nos ami·es sans pap’ ont donc été accueilli·es dans les maisons de différents amis dans le Briançonnais, et aussi au refuge des Terrasses Solidaires. Certain·es ont continué leur route. Tout cela pour ne pas être exposé·es à la répression qui est bien plus dure et injuste pour elles et eux.

Pour ce qui est du témoignage du voisin affirmant qu’il n’y avait plus aucune personne sans papier dans le bâtiment depuis plus d’un mois, et bien c’est juste faux… Certes le nombre de personnes traversant la frontière a diminué avec l’arrivée de la neige, et la réouverture des Terrasses Solidaires faisait que les personnes passaient d’abord là-bas. Cependant, vivaient en ce lieu de nombreuses personnes, avec et sans papiers européens, ayant la volonté de rester sur du moyen-long terme à Briançon, ayant commencé à construire leur vie ici.

Un autre argument qui a été utilisé dans tous les articles est que tout serait détruit. Il est dit que « Les Jeunes Pousses à Briançon sont en lambeaux ». Lors de cette période chaotique, 350 personnes vivaient dans ce bâtiment sans eau potable, sans électricité et avec des ressources alimentaires plus qu’insuffisantes. Gérer les besoins de ces ressources a pris un temps fou et le manque de l’une ou l’autre n’ont fait qu’exacerber les tensions, voir déclencher des conflits qui semblent démesurés quand on ne connait pas le manque. Nous reconnaissons que des dégradations en ont résulté.

Il y a eu des bagarres, des fenêtres ont été brisées, mais ces rixes étaient dues en grande partie au fait qu’il manquait d’espace et de moyens matériels et humains pour se sentir bien. Pour remettre les évènements dans leur contexte, le Pado était le seul lieu d’hébergement d’urgence à ce moment là (rappelons qu’il n’y a que 15 places d’hébergement proposées par l’État à Briançon). Comme la Ville ne pouvait se permettre que tout ce monde se retrouve dans les rues, au vu et au su de ses chers touristes, rien n’a été fait pour évacuer le bâtiment à ce moment là, alors que le péril était présent, et aucune aide de la Ville ou de l’État pour rendre la situation moins dangereuse, au contraire.

Cependant, il nous semble important de faire savoir qu’au moment de l’expulsion, la maison s’organisait de mieux en mieux, un bon système D avait été trouvé pour faire la vaisselle, nos toilettes sèches étaient fonctionnelles et nettoyées quotidiennement, les espaces de vie dans les chambres étaient douillets et à l’image de chacun·e de leurs occupant·es. Le nombre d’habitant·es, une quarantaine de personnes, permettait de vivre dans un lieu où chacun·e avait un peu d’espace vital.

@Le Pado

Le Pado c’était aussi une famille, des batailles de boules de neige, des unos interminables, de la musique, des cours de langues improvisés, des grands repas et des parties de foot endiablés… mais les journaux se contenterons de parler de nos poubelles et excréments.

Les photos publiées sont peu représentatives de ce à quoi ressemblait la maison durant cette dernière période. Lors de l’évacuation, les gendarmes ont fracassé toutes les portes (parfois des portes qui n’étaient même pas verrouillées ), retourné les lits dans des élans virilistes assez ridicules.

Il faut également saisir que 36 heures pour déménager un bâtiment de 1 200 mètres carrés où vivent quarante personnes, c’est un peu court. On a pas eu le temps de faire notre vaisselle, déso. Tout le matériel donné n’a pas pu être récupéré, même si les meilleurs vêtements chauds, bonnets, gants et chaussettes, chaussures de montagne, ainsi que la nourriture ont été réparties entre différentes structures solidaires.
Le départ précipité n’a permis de gérer que les choses les plus urgentes.

Quid des propriétaires

Un autre témoignage mérite d’être analysé. Celui des propriétaires, Fadel et Alia Faraj. Leur témoignage est très dur à entendre. Il donne le sentiment d’une grande injustice alors qu’iels « ont toujours agi pour l’accueil des migrants » . Nous avons fait plusieurs tentative de médiations qui n’ont pas abouti avec les propriétaires, et avons fait des référé liberté ( recours juridiques ) pour tenter de restaurer l’arrivée d’eau et améliorer la gestion sanitaire du lieu. Tout a été refusé.

Les plateaux télés et les réseaux sociaux traitent de manière très dure madame Faraj. Débatant de si elle a eu tort ou non d’accorder sa confiance à des non francais·es et des gauchos. Ces commentaires sont déplacés et n’ont pas lieu d’être : nous tenons à rappeler que le Pado était un squat, nous avons agi de manière autonome, la dissolution de notre « asso » n’étant donc pas au programme (propos tenu dans Cnews).

À aucun moment la propriétaire du lieu ne nous a, d’une quelconque manière, accordé sa confiance ou fait rentrer dans le bâtiment. La réquisition de ce lieu s’est fait à son insu. Les propriétaires des Jeunes Pousses ont effectivement fait des dons au Refuge Solidaire, une association implantée depuis longtemps dans le Briançonnais qui aide les personnes exilés. Mais le Refuge n’est nullement impliqué dans l’ouverture de ce squat. L’association du Refuge Solidaire, qui a des méthodes d’actions très institutionnelles, a par la suite aidé la vie au Pado sous forme d’apports de nourriture mais n’a jamais cautionné les ouvertures de squat à Briancon.

Par ailleurs les habitant·es du Pado n’ont pas de grief contre monsieur et madame Faraj. La seule motivation de cette réquisition a été la nécéssité d’ouvrir un nouvel espace d’hébergement au vu de la situation à la frontière : nous considérons la satisfaction des besoins primaires d’êtres humains comme plus importants que le respect de la propriété privée (surtout quand il s’agit d’un batiment inutilisé).

Face a l’inaction des structures institutionelles, nous avons agi en fonction du besoin existant. Dans la plupart des médias, les militant·es a la frontière sont nommé·es par les termes anarchistes, anarcho-libertaires ou encore zadistes… Les personnes ayant vécu sur ce lieu sont d’horizons divers, ne constituent pas un groupe organisé et ont pour principal point commun un besoin de solidarité et d’entraide dans un monde qui laisse peu de place à ces liens.

@Le Pado

Gentrification et tourisme

Au lendemain de l’expulsion, les marchés de Noël fleurissent dans la ville. Ces derniers jours, on parle anglais et italien dans la vielle ville. Aucune de ces personnes posées au bar ou regardant les remparts n’a risqué sa vie en montagne pour arriver ici. Alors qu’aucun des touristes n’est en quelconque détresse, ils sont plus que bien accueillis à Briançon.

Quand on a vécu au Pado le contraste est trop choquant ! Le secret des touristes : ils sont blancs et ont un portefeuille bien rempli. Une manière de rappeler qu’au-delà d’une histoire de passeport, c’est le racisme et la haine des pauvres qui gouverne les élus.
Si cette ville est capable d’accueillir sans broncher des vagues de touristes, elle le peut aussi pour les personnes en exil. Une fois de plus, il n’y a pas de crise migratoire, que des crises de solidarité !

Cette volonté de « nettoyer » les villes n’est pas présente qu’ici, à Briançon. Les dernières actualités en Île-de-France montrent un même désir de cacher la pauvreté, d’éloigner toujours plus les populations précaires et marginales pour que les touristes et les plus riches puissent pleinement profiter du centre ville, sans « s’infliger la vue de la misère ».

En parallèle des vagues d’arrivées à Briançon, le préfet de police de Paris a pris un arrêté le 10 octobre 2023 interdisant les distributions alimentaires dans plusieurs quartiers de la capitale, où sont principalement regroupés les camps de personnes réfugiées. En menaçant de condamner à une amende de 135 euros toute personne qui apporte de la nourriture aux individus que les pouvoirs publics laissent à la rue, l’État tente à la fois de criminaliser encore une fois la solidarité, tout en incitant les personnes en exils à quitter la capitale.

De la même façon, l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris en 2024 a accéléré l’expulsion de nombreux squats, jugés trop proches des sites olympiques. C’est notamment le cas du squat Unibéton expulsé en avril 2023, qui abritait près de 400 personnes sans papiers sur l’Île-Saint-Denis, et à proximité direct du futur village olympique.

« Le but, à l’approche des JO, est de faire disparaître tout le monde des rues de Paris. Aucune solution pérenne ne leur est proposée », témoigne Paul Alauzy, le responsable de MdM, au média Info Migrants.

La frontière n’est pas présente qu’ici, à Briançon. Le territoire entier est marqué par la volonté toujours plus présente de séparer les individus, en fonction de leur couleur de peau, de leur origine, de leur nationalité. Les politiques racistes et discriminatoires s’expriment partout, tentant de briser la solidarité et attisant une haine de l’autre créer de toute pièce.

Militarisation de la frontière, instrumentalisation de la situation par les politiques et élargissement loi immigration.

Pour terminer ce texte, il nous semble important d’élargir le contexte local Briançonais vers la politique étatique pour dénoncer une banalisation du racisme et des lois fascisantes, normalisant la violence un peu partout sur le territoire national.

Pour ce qui est de la militarisation à la frontière, la lettre ouverte de Médecins du Monde du 18 décembre propose une lecture très claire de la situation à Briançon :

« Depuis plusieurs mois, le maire de Briançon, M. Arnaud Murgia demandait un renforcement des forces en présence à la frontière : ainsi dès le 15 mai 2023, il demande au gouvernement « d’expérimenter l’unité spéciale Border Force » dans le Briançonnais pour surveiller davantage les flux migratoires. Le 21 septembre, l’arrivée de 84 effectifs de gendarmeries est annoncée, en renfort des deux escadrons de gendarmerie (140 gendarmes) en place depuis octobre 2021. Ce n’est pas faute de répéter depuis des années que les politiques migratoires répressives sont dangereuses, inefficaces et coûteuses. Les personnes exilées finiront toutes par passer même s’il faut tenter plusieurs fois le passage en empruntant des trajets de plus en plus dangereux après plusieurs refoulements à la frontière vers l’Italie. Ces refoulements augmentent les prises de risques et les dangers de façon exponentielle pour échapper aux contrôles. Conséquences : les personnes arrivent épuisées, exténuées après de longues heures de marche, avec des entorses ou des fractures, avec des plaies surinfectées et aggravées. Sans oublier l’impact psychologique que peut provoquer cette traversée dans un milieu hostile, souvent de nuit, en se sachant poursuivies par ceux et celles qui devraient, selon la loi, veiller au respect de leurs droits et de leur intégrité. Cette situation, qui soumet leur psychisme à une violence externe supplémentaire, favorise la décompensation des troubles post traumatiques, anxieux et dépressifs que nous observons à leur arrivée. Et puis, il y a les décès, 3 entre le 7 août et le 29 octobre. Difficile de ne pas faire le lien entre renforcement de la frontière, évitement des contrôles et mises en danger des personnes. »

Ce constat est tragique et malheureusement, ne détonne pas par rapport aux prises de position de l’État. Le climat politique national et international de plus en plus proche des idées de l’extrême-droite explique l’instrumentalisation de la situation à Briancon et le message relayé par des médias comme le Dauphiné Libéré, BFM d’ici et Cnews.

Leur point de vue est complètement effarant. Ils dénoncent l’insalubrité là ou existe de la précarité imposée par les politiques locales. Ils parlent de violences là où nous avons vécu des crises dans les besoins élémentaires et la décompensation de troubles post-traumatiques. Ils parlent d’anarchistes professionnels du désordre quand il s’agit d’un réseau de solidarité. Ils parlent de danger pour les enfans alors qu’à aucun moments le responsable des services de l’éducation nationale des Hautes-Alpes n’a relevé « d’incidents à déplorer ».

La situation est complètement retournée, le sens profond de nos prises de positions par rapport à ce qui se passe ici n’est absolument pas représenté, le contexte politico-social est passé sous silence.

Le message qui ressort des différents articles et reportages sur le sujet, c’est que les étrangers seraient dangereux et que les personnes s’opposant aux politiques nationales racistes sont responsables du chaos et de la ruine des honnêtes habitant·es. Ils veulent criminaliser la solidarité pour justifier le racisme, faire passer les biens matériels avant la vie d’êtres humains. Comme en témoigne l’association Tous Migrants, « ces politiques qui tentent de déshumaniser les personnes exilées alimentent et légitiment la xénophobie et le racisme, et constituent, comme l’histoire l’a trop souvent montré, un préalable aux pires exactions »

Une semaine après l’expulsion, la loi immigration promulguée par Darmanin a été votée. Une loi qui affirme encore plus la volonté du gouvernement français à criminaliser l’immigration, quelles qu’en soit les raisons. Désormais, les conditions pour être soigné·e, scolarisé·e, logé·e, travailler, percevoir les allocations sociales, obtenir un regroupement familliale (…) seront durcies.

La délivrance, le maintient et le renouvellement des titres de séjours seront conditionnés par le respect des « principes de la République ». Une appréciation qui contribue au renforcement du contrôle de la population, de l’intrusion dans la vie privée au nom de ces principes qui excluent de fait une partie de la population pour leur appartenance religieuse… Notamment les femmes musulmanes, trop souvent dans l’angle mort. Force est de constater que la République s’enfonce toujours plus dans une idéologie islamophobe, raciste et xénophobe.

L’applications de toutes ces nouvelles mesures va promouvoir les décisions arbitraires de la part des institutions, leur conférant plus de pouvoir. Pareil du côté de la police où encore plus de moyens seront donnés pour contrôler et réprimer ; ne faisant qu’exacerber dans le même temps les violences aux frontières.

Mais en dénonçant cette loi, il faut aussi se rendre compte d’une continuité avec une politique déjà présente. Cette loi n’est pas sortie de nulle part. Elle a pu voir le jour à cause d’un contexte déjà profondément raciste et colonial. Extraction et exploitation ailleurs, discrimination et répression ici. Avec la loi immigration, ce n’est pas une nouvelle ère qui s’ouvre mais l’affirmation publique de l’idéologie déjà présente. Le fascisme comme la défense d’une pureté territoriale s’imposent dans les esprits.

Les exactions commises ne peuvent pas rentrer dans la banalité. Il devient vital de dénoncer ce climat qui dressent des individu·es, et ce dès le plus jeune âge, contre les personnes issues de l’immigration. Séparer les gens en fonction de leur couleur de peau, rendre la vie encore plus compliquée à celles et ceux qui quittent ou qui ont quitté leurs pays, leur famille et amis pour essayer d’accéder à une vie digne ici, en Europe. Les frontières s’érigent pendant que le capitalisme dirige. Constat ra(va)geant

Conclusion

Les acteur·ices qui s’impliquent à la frontière le savent : dans ces montagnes, ceux qui commettent le plus d’entorses à la loi ne sont autre que ses représentants armés. Les poursuites dans les montagnes – illégales -, destructions d’effets personnels, vols des personnes traversant la frontière par la police aux frontière ont été documentées plusieurs fois. Il nous semble crucial de rappeler que désobéir à un ordre illégal ou/et mettant en danger des êtres humains est un droit. C’est le parti qu’ont pris les habitant·es du Pado.

Face à la répression et l’oppression systémique que subissent les potes sans pap’, nous devons rester solidaires et multiplier les structures, formelles ou non, de soutient inconditionnel. Si l’État et ses représentants sont racistes, nous continuerons d’agir en opposition. Nous devons ouvrir d’avantages d’espaces ou l’on rit, ou l’on apprend, ou simplement l’on vit…

Les lieux de vie et de passage ou l’on partage ensemble dans ce chaos parfois joyeux, parfois pas toujours, mais tout le temps riches d’expérimentation sont et demeurent essentiels. Plus que toujours, apprendre à vivre ensemble, dépasser nos peurs et nos angles morts, laisser la possibilité à nos préjugés d’être renversés nous permet d’etre plus fort·es, ensemble, basant nos rapports sur l’échange et la réciprocité plutôt que sur la violence, la domination et l’oppression. Prenons soin les un·es des autres et tissons d’avantage de réseaux de soutien. Car lutter et résister tant bien que mal à ce système raciste et colonial est vital.

Nous le disons et le re-diront encore : Feu aux frontières !!!

– Les habitant·es du Pado


Photo de couverture : @Le Pado

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