Vous pensiez qu’on en avait fini avec les grands projets inutiles et polluants en France ? Sur la Côte d’Opale, un projet de serre tropicale géante pourrait voir le jour d’ici 2021. D’abord salué de manière quasi unanime par les médias locaux au nom des opportunités économiques, des voix citoyennes s’élèvent désormais contre un projet que d’aucuns seraient tentés de décrire comme démesuré et à contre-courant du bon sens commun, alors que la crise environnementale et la chute de biodiversité imposent de protéger la nature là où elle se trouve plutôt que d’en faire une attraction touristique en bétonnant des espaces naturels. Le début du chantier est prévu pour 2019 !

Tropicalia est un nouveau projet de construction d’une serre tropicale géante de 20 000 m2 abritant une faune et une flore « exotiques » sur la Côte d’Opale, dans le nord de la France. Sur le territoire de La Communauté d’Agglomération des Deux Baies en Montreuillois, les visiteurs pourront se promener parmi les orchidées, les papillons exotiques, les caïmans, les colibris, les tortues, traverser des cascades géantes, sous une température constante de 26°à 28° C maintenue toute l’année en plein nord de la France. L’objectif affiché, outre l’aspect touristique, est de susciter l’émerveillement et de « sensibiliser » les citoyens au fonctionnement des écosystèmes ainsi qu’à la faune et à la flore.

Projet commercial pharaonique

Ce projet de serre, c’est aussi 50 millions d’euros d’investissements prévus (investissements privés), 500 000 visiteurs estimés par an, 100 emplois envisagés à l’année. Si la serre occupera effectivement 2 hectares, elle s’intègre dans le contexte d’une zone d’aménagement concertée de plusieurs dizaines d’hectares.

Tropicalia imaginé par Coldefy Associates
Tropicalia imaginé par Coldefy Associates

Les promoteurs du projet, dont Cédric Guérin, un ancien vétérinaire, avancent qu’il s’agirait de « la plus grande serre tropicale au monde » et ne manquent pas de vanter le « dôme », à l’image de la vidéo de présentation ci-dessous. Ils promettent une plongée « dans une atmosphère tropicale », « une bulle de nature » et un « parfum sucré et végétal », mais aussi des « papillons aux couleurs étonnantes valsant de fleur en fleur » et des « colibris virevoltants ». Bref, un spectacle « sensuel, exaltant et idyllique » (leurs mots), pour une « expérience immersive hors du commun ». Le vocabulaire déployé pour vanter la future serre prêterait à sourire s’il ne témoignait pas d’un profond décalage entre la réalité environnementale et la volonté de profiter économiquement d’espèces exotiques, sans compter le coût énergétique des constructions envisagées.

Ce projet colossal promet une « consonance environnementale très forte avec une ambition zéro carbone », notamment grâce à des systèmes qui rendront « la serre autonome jusqu’à -5° » via « une technologie de récupération solaire thermique », assure Nicolas Fourcroy, l’un des membres de l’équipe, qui estime également que l’installation répond au « besoin d’attractivité du territoire » grâce à « un projet touristique de grande dimension pour booster l’économie locale ». Si l’approche écologique reste vague et difficile à justifier, l’intérêt économique est manifeste : booster le tourisme et la croissance. Et c’est précisément tout le problème de l’écologie de façade aujourd’hui, ne jamais prendre la problématique de la croissance économique dans son ensemble.

En d’autres termes, il faudrait construire toujours plus dans une nécessité effrénée de croissance. En réalité, bien que séduisante sur le papier, la serre géante est loin d’être d’une très grande originalité et s’inscrit surtout dans une fuite en avant économique selon laquelle les méga-projets répondraient à « l’obligation » de rendre les territoires plus compétitifs. Comme ailleurs, que ce soit par l’intermédiaire d’hyper-centres commerciaux, de parcs d’attraction etc, on tente de créer des pôles d’attractivité artificiels en mettant en avant des promesses technologiques mirobolantes. Se faisant, répond-t-on vraiment aux besoins réels des populations du territoire ? N’est il pas temps, au contraire, de mettre en place une économie vraiment locale, qui profite aux habitants et aux habitantes et qui valorise l’espace naturel tel qu’il est ? À-t-on vraiment besoin de crocodiles et de colibris en plein nord de la France ? Des voix se lèvent aujourd’hui pour réclamer des réponses à ces questions.

La publicité Tropicalia prépare les esprits au projet

L’opportunité du projet mis en cause

En prenant connaissance en mars 2018, via les médias classiques, du projet Tropicalia, certains ont sursauté. « Au lieu de mettre en avant la biodiversité menacée de la Côte d’Opale, on implante une serre tropicale avec des animaux issus de forêts en pleine déforestation » fustige Antoine, l’une des premières personnes mobilisées publiquement contre le projet et à l’origine d’une pétition en ligne qui a recueilli plus de 10 000 signatures. Selon le co-fondateur du site Monsieur Renard, page consacrée à l’environnement et à la biodiversité, il est paradoxal de vouloir « sensibiliser à la cause environnementale en enfermant des animaux et des plantes dans une serre, dans une région au climat à l’opposé de ce à quoi ils sont habitués ». L’habitant craint également la construction de nouveaux complexes à proximité, dont des hôtels, pour attirer les touristes tout autour de la serre ainsi que les conséquences des constructions à venir sur la baie d’Authie, connue pour la présence de phoques et qui se trouve à quelques kilomètres de là.

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D’aucuns se questionnent. Le projet est-il vraiment pertinent, alors que la région possède déjà une nature qui se distingue par sa singularité ? Faut-il vraiment exposer des espèces importées depuis l’autre bout du monde pour s’émerveiller ? N’est-ce pas un pur caprice d’une société ayant perdu le sens des repères ? Ne devrait-on pas déjà apprendre à s’émerveiller de l’environnement local, fort de ses propres richesses ? La question est légitime : la Côte d’Opale, depuis la frontière belge jusqu’à la Picardie, possède une biodiversité exceptionnelle. On pense à la Dune Dewulf, au nord de Dunkerque, qui héberge une faune et une flore remarquables. Plus à l’Ouest, les Cap Gris-Nez et Blancs-Nez attirent plus de deux millions de visiteurs annuels. Du haut des roches du jurassique qui constituent ces falaises, la vue sur la mer – et parfois même l’Angleterre – est imprenable. Mais la biodiversité locale y est menacée. Dans le Nord-Pas de Calais, près d’une espèce d’oiseaux nicheurs sur deux pourrait disparaître selon le Groupe Ornithologique et naturaliste du Nord. Au niveau de la flore, des espèces comme la nielle des blés ou l’arroche de Babington sont également en sursis.

Tropicalia imaginé par Coldefy Associates

« À l’heure où la biodiversité est en chute libre partout dans le monde, y compris en France, ce type de projet est illogique« , précise encore Antoine. En affichant son opposition au projet, il entend lancer un débat au niveau de la population qui n’a pas eu lieu selon lui jusqu’à présent afin que tout un chacun puisse s’exprimer. N’est-il pas possible d’imaginer autre chose qu’un projet pharaonique sur cet espace ? Contacté, Romain Roger de La Communauté d’Agglomération des Deux Baies en Montreuillois botte en touche, nous renvoyant vers les promoteurs du projet, précisant néanmoins que la collectivité est officiellement favorable à Tropicalia. Interrogé à propos des craintes des auteurs de la pétition, il écarte les critiques d’un revers de la main : la baie d’Authie ? « Elle se trouve à 6 kilomètres », insinuant qu’elle est suffisamment éloignée et qu’il n’y a pas de risques. » Des gens qui font une pétition et qui ne connaissent pas le territoire, on en a vu d’autres » ajoute-t-il encore non sans un certain mépris. Il n’est pas certain que l’argument convainque les opposants qui ne veulent pas considérer la nature comme un pur produit commercial.


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