Notre siècle s’est laissé persuader que la croissance économique était immuable : comme une fatalité inhérente à notre condition et en dehors de laquelle rien d’autre n’était possible. Pourtant, ce modèle est loin de fonctionner. Il est même plutôt en passe de tout broyer autour de lui, sans préavis, à l’exception de quelques privilégiés. Animaux, écosystèmes, ressources naturelles, paysages, justice, santé, lien social, bonheur… et l’ensemble des populations ; les plus vulnérables en première ligne. Alors pourquoi n’en sort-on pas ? C’est que les préjugés ont la dent dure et la désinformation n’arrange rien. Pour y remédier, la collection « Fake or Not » des éditions Tana s’est donc chargée de réunir et décrypter de manière complète et ultra-documentée les infos clefs de notre temps. Retour sur ces nouvelles encyclopédies du savoir engagé.
« Relever les défis environnementaux est l’enjeu majeur de nos sociétés », mais « comment y voir plus clair dans le magma d’informations, d’assertions et de rumeurs qui nous submerge ?« . Pour mieux agir, la collection « Fake or not » pense qu’il faut mieux savoir. Comment ? En réunissant enfin au même endroit les infos clefs de notre temps, de manière lisible et accessible.
Aussi, la collection parue en septembre propose-t-elle une série de livres illustrés qui décryptent et exposent les enjeux actuels avec pédagogie, à partir d’infographies claires et d’études vulgarisées. Un livre pour chaque grand thème de notre siècle, chacun dirigé par un auteur-chercheur expert de la question.
Parmi les tomes de la collection, vient d’être publié Décroissance, dirigé par Vincent Liegey. L’ouvrage, instructif, déconstruit point par point les arguments pernicieux de notre modèle insatiable et intenable, sans oublier de proposer un chapitre final de solutions et horizons accessibles. De quoi servir de référence sérieuse pour des échanges de fond. Démonstration :
« Le mode d’activité normal des humains, c’est la croissance non ? » : – pas vraiment.
« Fake or Not » relève qu’une des idées reçues à propos de la croissance qui permet sa survie est qu’elle serait propre à notre nature. Les enfants croissent, un arbre croît, suggérant que la voie est immuable pour le reste de nos activités. Pour déconstruire cette croyance, la collection commence par exemple, tout simplement, par rappeler que le concept de croissance du PIB est en fait très récent dans l’histoire humaine. Il est devenu « synonyme de succès dans nos économies depuis quelques décennies » seulement.
Si la croissance occupe depuis toujours le vivant, celle que s’est appliquée à pratiquer l’économie moderne renvoie plutôt à une envolée exponentielle, rétablit Décroissance, et ce, loin de tout mimétisme biologique. En effet, difficile de se représenter une telle courbe, mais elle est en tout point différente à celle d’une évolution organique : à l’inverse du cycle du vivant, qui grandit modérément pour s’auto-réguler une fois ses ressources naturelles épuisées, la croissance de l’activité économique mondiale ne se donne aucune limite, même pas celles de la planète qui la fournit. Face à l’ampleur du problème, la collection table sur des histoires éloquentes et des repères importants :
« Il faut être fou ou économiste pour croire que la croissance exponentielle peut être infinie dans un monde fini »
– Kenneth Boulding (1973)
Fou à ce point qu’en 2019, nos sociétés ont dépassé la barre des « 100 millions de barils de pétrole consommés par jour », une ressource en crise à l’échelle planétaire. En effet, dans son volet Décroissance, le chercheur Vincent Liegey tient à rappeler qu’« à chaque fois que nous faisons du PIB, nous le faisons au prix d’une destruction irréversible d’un stock fini de matières […] tout en générant des déchets, de la pollution et la déstabilisation des cycles naturels », mesurant à l’occasion le retard béant qu’ont les économistes, les écoles et les plateaux tv dans l’admission de « cette simple réalité physique ».
Ainsi, à l’extrême inverse d’une évolution frugale des sociétés, l’économie capitaliste a pour seul intérêt l’accumulation de toujours plus de biens, aux mains d’une minorité. Une telle concentration de l’argent que « les 1% des plus riches du monde s’avèrent polluer deux fois plus que les 50% les plus pauvres » relaye la collection.
Et ce sont sans surprise les mêmes, rappelle-t-elle, qui œuvrent pour conserver la liberté de polluer, notamment via une immense campagne d’écoblanchiment de l’économie.
« Les déchets, ça se recycle ! » : – l’illusion de l’économie verte
A la question « Comment sortir de cette spirale délétère ? », le capitalisme productiviste répond depuis quelques années par une énième tentative de survie : l’économie ou croissance « verte ». Sur cette vaste illusion du 21ème siècle, « Fake or not » s’applique à mettre les données au clair, une fois pour toute.
Selon ce précepte 2.0, inutile d’abandonner les aspirations que le progrès nous a vendus : nous saurions aisément conserver un rythme exponentiel de manière vertueuse. La « croissance durable » est pourtant une contradiction impossible à résoudre. Son seul atout ? Laisser du temps à la machine.
« Fake or Not » renvoie à ce titre au concept éclairant de « découplage », ce pari – au cœur du capitalisme vert – que « le progrès technique va sauver la croissance tout en sauvant la planète ». En dissociant la prospérité économique de ses conséquences sur l’environnement, le découplage nie en réalité le lien de causalité indépassable entre productions et consommation de ressources et d’énergies.
A l’image de ce décalage entre progrès et besoins imminents du vivant, le cas du recyclage est emblématique, indique la collection. Vendu par les industriels comme une solution pérenne aux effets du productivisme, il est en réalité un mirage. Le recyclage s’avère trop coûteux en énergie et en argent, ce qui le rend inefficace en plus d’être peu sollicité. Le problème des mirages est qu’ils nous détournent de nos véritables objectifs. Pendant que nos sociétés s’appuient sur l’idée rassurante que tout est réutilisable, les déchets s’accumulent et polluent les océans, les sols et le vivant dont nous faisons partie, à des points de non retour.
Plus loin, « Fake or Not » permet de prouver, chiffres et déconstructions rhétoriques à l’appui, que toute solution écologique qui promet la conservation du consumérisme sans autre deuil est un leurre. Le véritable problème de l’équation reste indéfiniment la croissance économique illimitée elle-même, ne servant que ses intérêts, peu importe la manière dont on la nourrit. Mais alors, pourquoi continue-t-on malgré tout cette course toxique ?.
« La croissance nous rend heureux » : – l’urgence de redéfinir le bonheur.
Le rêve futuriste d’un univers technophile, fondé sur un progrès altruiste et une croissance vertueuse, a été vendu comme un eldorado à de nombreuses générations post révolution industrielle. Pourtant, alors que le monde est au bord du précipice, cette vision peine à se manifester. Peut-être pour la simple raison qu’il s’agit d’un mythe.
Et quel mythe ? Tout un monde de possibilités, certes, – et voilà sur quoi tient l’illusion -, mais au service prioritaire, selon les observations sociales, d’une infime partie de la population. Pour rappel, Amazon augmentait pendant la crise sanitaire de 40% son chiffre d’affaire, laissant derrière son business-modèle des séquelles irréparables sur l’emploi et l’environnement.
Grands perdants de cette course, pourquoi continue-t-on de rêver de croissance infinie ? Garantirait-elle tout de même notre bonheur ? « Fake or Not » déconstruit à nouveau cet argument trompeur que nous ne faisions que sentir : non, la croissance ne nous épanouit pas. Elle répond simplement à d’autres besoins qui s’y apparentent comme le plaisir ou le désir.
« Posséder, renouveler, consommer… est-ce vraiment le moteur de notre bonheur ? »
Comme pour tout le reste, la collection tient à fonder ses propos avec des études fiables : « En 1974, Richard Easterlin a mis en évidence qu’à partir d’un certain seuil de PIB, variable selon les endroits, la croissance de ce dernier ne se traduit plus mécaniquement par une hausse du bien-être humain. Cette analyse a été confirmée en 2020 par une équipe de chercheurs. » Autrement dit, une fois nos besoins vitaux et un confort minimal assurés, notre sentiment de bien-être cesse d’augmenter relativement à notre croissance financière.
Vrai, mais insuffisant à nous faire changer d’avis semble-t-il. Pour faire le deuil d’un imaginaire, encore faut-il pouvoir se saisir d’un autre avenir désirable et enchanteur. « Fake or Not » l’a bien compris.
« La décroissance, c’est la frustration assurée » : – ou tout le contraire !
On redoute toujours ce qu’on ne connaît pas. D’autant que durant plusieurs décennies, le capitalisme a modelé nos désirs en faveur de son modèle-religion, transformant ses idéaux en dogmes indéboulonnables et faisant craindre aux marginaux l’échec du leur.
Beaucoup craignent par exemple que décroissance rime avec chômage. Pourtant, nous y sommes déjà : malgré l’économie de croissance, une société du chômage avec 5 871 200 de français officiellement sans travail. Quant aux travailleurs en poste, ils sont de plus en plus précaires, en raison d’une fragilisation des droits du travail, d’une ubérisation du marché, de l’avènement des bullshit-job et des coupes salariales ou licenciements abusifs perpétuels. « Est-ce que cette organisation du « marché du travail » nous convient ? » demande la collection. « La décroissance nous amène justement à interroger les notions d’emploi et de chômage dans leur essence » ouvre-t-elle.
En outre, la décroissance est loin d’être utopiste ou irréaliste. Et ces nouveaux ouvrages de savoir écologique comptent bien démontrer en quoi.
La décroissance repose au contraire sur des valeurs concrètes et pratico-pratiques de collaboration, d’entraide, de partage et de gestion intelligente du vivre ensemble… Décroître, c’est réorganiser notre manière de faire société. Réduire l’économie aux besoins essentiels, nous recentrer sur les communautés locales, repenser notre manière de produire pour y substituer des savoir-faire ingénieux comme la permaculture, l’artisanat, la réparation des matériaux. Mais aussi questionner le sens de nos vies, de ce qu’on veut léguer à nos enfants, et imaginer des quotidiens soutenables.
Comment ? « Fake or Not » n’omet pas de donner des pistes concrètes : « faire pousser une partie de sa nourriture, […] améliorer l’isolation de son logement, installer des récupérateurs d’eau de pluie, bricoler, à plusieurs, […] repriser des vêtements ou les échanger, […] partager avec ses voisins, mutualiser les ressources et les savoir-faire,… ». Chaque chapitre final de la collection est dédié à des propositions utiles pour guider les volontés dans chaque grand champ de notre vie.
Le processus de décroissance est lent mais profond et comme le mentionne « Fake or Not » :
« Tout seul, on va plus vite ; mais ensemble, on va plus loin »
En somme, la collection « Fake or Not » met à jour notre savoir sur des questions essentielles, vitale, de manière agréable et enthousiasmante. Ainsi, elle permet de fonder nos luttes, débats et imaginaires citoyens pour minimiser les risques de se tromper de route dans cette quête commune de lendemains sereins et respirables. En réunissant les infos clefs dans des livres fluides, ludiques et pédagogiques profondément engagés, la collection désacralise clairement les tabous de notre transition impérative et apaise les craintes nées d’a priori et d’aliénation, les nôtres ou celles de nos proches.
Des livres références à se procurer ou à offrir via une librairie indépendante, dont Manger Demain, sur notre manière de produire, manger et jeter notre nourriture.
– S.H.
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Pour aller plus loin :
- Relire notre article : « La décroissance volontaire sinon rien »
- Consulter l’article de Reporterre : « La coopération fait plus pour l’évolution que la compétition ».