En France, 80% de la population vit dans les différentes villes du territoire. Celles-ci sont responsables de 67% des émissions nationales de gaz à effet de serre. Il devient dès lors de plus en plus évident que la nécessaire transition écologique devra notamment s’articuler à l’échelon local. Si plusieurs métropoles, conscientes de leur impact, se sentent investies d’une responsabilité particulière, trop peu d’attention demeure consacrée aux villes moyennes, qui concentrent pourtant près d’un quart de la population française. Souhaitant combler cette lacune, un groupe d’étudiants pluridisciplinaire s’est intéressé à la question, et publie un rapport qui synthétise les connaissances actuelles sur la question et propose des pistes d’action. Voici leurs éléments de réflexion sur des bases scientifiques.
Dans un contexte de dérèglement climatique et de raréfaction des ressources, des bouleversements majeurs finiront de toute façon par s’imposer. Pour les anticiper au lieu de les subir, des changements profonds affectant aussi bien l’organisation de l’économie que les modes de vie quotidiens doivent advenir pour décarboner les villes. Intermédiaires entre les grandes métropoles régionales et les espaces ruraux, les 200 villes moyennes de France, définies ici comme des entités territoriales de plus de 20 000 habitants n’appartenant pas à l’aire urbaine de l’une des 22 métropoles régionales, abritent un quart de la population nationale. Elles peuvent, et doivent être des acteurs-clés dans la décarbonation des sociétés humaines et la lutte contre le dérèglement climatique ainsi que d’autres problématiques environnementales. C’est également l’avis d’un groupe d’étudiant issus de plusieurs disciplines, réunies dans le cadre du projet Goéland.
Le rôle souvent sous-estimé des villes moyennes
« Constatant que peu d’études sont consacrées à cet échelon territorial, nous avons souhaité synthétiser les connaissances disponibles sur le sujet dans un rapport, afin d’en faciliter l’accès aux élus et aux citoyens » expliquent Akim, Lucas, Matthieu et Valentina, à l’origine du projet. Dans le cadre de cette démarche, ils ont pu compter sur l’aide d’un comité scientifique composé de divers chercheurs et spécialistes, comme des géographes ou des experts en politiques publiques. Le travail est ainsi fondé sur de multiples sources d’informations citoyennes, scientifiques, associatives et professionnelles, ainsi que sur de brèves études de cas.
« Nous avons choisi un ensemble de villes moyennes réparties sur le territoire, puis nous sommes entrés en contact avec les administrations locales pour les interroger sur leur vision de la décarbonation et sur les succès et les difficultés des politiques menées en la matière » précisent les étudiants dans le rapport publié en ce début d’année. D’après eux, cette catégorie particulière de territoire a un rôle à jouer essentiel mais souvent sous-estimé. Au plus près des citoyens et conscientes des spécificités de chaque territoire, ces collectivités territoriales disposent de leviers divers en matière de transports, d’énergie, d’accompagnement et de législation pour atteindre l’objectif de décarbonation.
Relocaliser les approvisionnements !
À l’heure actuelle, les villes moyennes, souvent délaissées par les politiques nationales au profit des grandes métropoles, connaissent en général de grandes difficultés économiques. D’après le rapport, elles pourraient pourtant combiner qualité de vie, richesse culturelle, diversité de formation et d’emploi, tout en réduisant les besoins d’énergie et de déplacements de leurs habitants. De par leurs particularités, elles sont en mesure de regrouper les activités pour limiter l’étalement urbain sans pour autant concentrer une densité de population trop importante. Leur proximité avec les territoires ruraux leur permettrait également de relocaliser une partie de leur approvisionnement en nourriture, en énergie et en biens manufacturés (ce qui est plus compliqué pour les grandes villes à forte densité).
Partant de ce constat, le rapport dresse une liste de neuf propositions politiques et techniques pour réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre (GES). « Notre objectif est de montrer l’étendue des leviers à la disposition des élus locaux pour atteindre ce but, tout en classant autant que possible les chantiers par ordre d’urgence et en privilégiant l’efficacité des outils » déclarent les auteurs du rapport. Car si elles ont des atouts indéniables, la décarbonation de ces territoires demeure un défi complexe, au vu notamment de leur large dépendance aux énergies fossiles. Leurs principaux pôles d’émission de gaz à effet de serre sont liés à l’usage des bâtiments résidentiels et tertiaires, à la construction et à la rénovation de ces bâtiments, au transport routier de personnes et de marchandises au sein du territoire et enfin au traitement des déchets.
Sobriété énergétique et mobilité alternative
Pour agir sur ces différents pôles, les mesures proposées par le rapport s’articulent autour de quatre axes. D’abord, dans le domaine du transport, les difficultés sont nombreuses tant la voiture individuelle est ancrée dans les habitudes et favorisée par l’aménagement urbain mis en place ces dernières décennies, si bien qu’il est difficile de s’en passer pour beaucoup. Le rapport préconise ainsi de repenser l’urbanisme pour ouvrir la voie à un nouveau système de mobilité, de développer une offre de mobilités alternatives adaptées aux villes moyennes et d’accompagner les changements de comportements. Il est essentiel d’agir sur ces trois leviers de manière simultanée et cohérente pour réduire les émissions de ce secteur.
Deuxième chantier envisagé, les évolutions dans le domaine du bâtiment consistent en des mesures concrètes et bien connues, comme la rénovation thermique de l’ensemble du parc public et privé pour l’amener au niveau de performance Basse Consommation à l’horizon 2040. Parallèlement à l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, la sobriété énergétique est une priorité phare pour la décarbonation. Elle implique une évolution des pratiques et un accompagnement des habitants dans une démarche de réduction de leur consommation pour diminuer les besoins en énergie et donc les émissions nationales.
Encourager les partenariats entre ville et territoire ruraux
L’énergie est un secteur-clé de la transition des villes, et fait également l’objet de plusieurs propositions dans le rapport. Celles-ci suggèrent la création de nouveaux réseaux de chaleur et de froid ainsi que l’extension et la modernisation des réseaux existants. Il est également nécessaire de développer les énergies renouvelables disponibles localement sans négliger les énergies moins développées comme la géothermie et le solaire thermique. Le rapport insiste à ce sujet sur le développement des projets d’énergies renouvelables à gouvernance locale, qui se multiplient à travers le pays.
Autre domaine d’importance, les émissions de GES liées à la consommation de bien et de services doivent également drastiquement baisser. Concrètement, cela passe selon les auteurs du rapport par l’information et la sensibilisation auprès des citoyens mais aussi et surtout par un soutien aux projets locaux d’économie circulaire, notamment ceux qui développent la récupération, la réparation et le recyclage des produits. Il est également indispensable d’organiser un approvisionnement alimentaire de proximité et respectueux de l’environnement, en favorisant le développement d’une agriculture décarbonée et locale grâce à des partenariats entre ville et territoires ruraux.
De l’importance d’impliquer les citoyens
Si le rapport n’approfondit pas la question de l’implication citoyenne dans ces mesures, ses auteurs insistent toutefois sur l’importance de mettre à profit l’expertise des habitants des villes moyennes et du tissu associatif local pour développer des projets ancrés dans la réalité, grâce à la consultation et à la concertation. Les citoyens doivent ainsi être partie prenante du développement de la ville. Les questions économiques et d’emploi ont également été peu abordées, mais les auteurs tiennent à rappeler les opportunités économiques qu’impliquent la décarbonation, tout en gardant en tête les conséquences sociales qui peuvent advenir en fonction de la gestion des évolutions nécessaires. On pense notamment au développement du télétravail dans les secteurs où c’est possible.
Grâce à leur rôle pivot entre les territoires ruraux et les métropoles, il apparaît donc que les villes moyennes ont un potentiel important et largement sous-estimé en matière de transition écologique. C’est ce que démontre ce rapport, en identifiant les chantiers prioritaires sur lesquels devraient se concentrer les efforts des politiques publiques pour décarboner les villes. Si cette synthèse offre des pistes d’action concrètes illustrées par des exemples de réalisations réussies dans les villes moyennes, elle n’a pas vocation à être exhaustive. Il convient ainsi de rappeler que ces évolutions locales ne seront réellement efficaces que si elles sont intégrées à une véritable rupture par rapport à un modèle d’organisation économique basé sur la croissance infinie et le productivisme.
Raphaël D.
Source : Rapport