Pourquoi le trafic d’espèces protégées bat tous les records

Saisie de tortues à Sepang, en Malaisie, le 15 mai 2017. PHOTO / MANAN VATSYAYANA / AFP / Source : Flickr

Les arrivages de tortues léopard, de tortues à éperons et de pythons royaux, ont pratiquement décuplé en dix ans en dépit des contrôles et d’un jugement international pratiquement unanime. Selon l’ONG Traffic, le commerce illégal d’animaux en voie d’extinction et le braconnage n’ont jamais autant été importants que depuis les 10 dernières années. Si les lions, rhinocéros, éléphants sont toujours particulièrement menacés, les oiseaux, reptiles et poissons restent les grandes victimes de ce trafic mondialisé.


Un nouveau record atteint pour le trafic animal et la contrebande

Selon une étude publiée au début du mois par l’ONG Traffic, les importations asiatiques d’espèces africaines protégées, dont des tortues, des pythons et des perroquets, ont explosé depuis 2006 à cause de la demande d’animaux de compagnie exotiques, de viande et d’autres produits dérivés aux prétendues vertus diverses.

D’après elle, les arrivages de tortues léopard, de tortues à éperons et de pythons royaux ont quasiment décuplé en dix ans, ainsi que les ventes de peaux, qui sont aussi en augmentation. Ces importations sont pour une bonne partie légales, officiellement sous couvert d’élevages ou de “fermes”. Pourtant, toutes les espèces concernées par l’étude sont protégées par la CITES, ou Convention sur le Commerce des Espèces Sauvages Menacées d’Extinction. “Le commerce légal d’animaux sauvages entre l’Afrique et l’Asie a jusqu’à présent été ignoré dans une large mesure” nous rappelle Willow Outhwaite, coauteur de l’étude de Traffic, dont le but est de “combler certaines de nos lacunes concernant ces échanges vastes et complexes” (entre l’Afrique et l’Asie, n.d.l.r).

D’après les données répertoriées par l’organisation sur les exportations et importations entre l’Asie et l’Afrique depuis 2006, plus de 1,3 million d’animaux vivants et plantes, 1,5 million de peaux et 2 000 tonnes de viande ont été exportées d’Afrique vers l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est. Également, les importations de pythons royaux et de tortues sont passées de 8 488 en 2006 à 78 295 en 2015. Pratiquement dix fois plus !

Mais l’Afrique n’est pas le seul pays “fournisseur” pour la Chine. Pas plus tard qu’au début de cette année, des contrebandiers ont été interpellés dans l’Extrême-Orient Russe avant qu’ils ne passent en Chine. Ils transportaient avec eux une tonne de pattes d’ours, des restes de tigres, des organes génitaux de grenouilles et de cerfs. Selon l’ONG « Centre du tigre de l’Amour », une association qui lutte pour la protection du tigre de Sibérie et qui était sur place, les contrebandiers s’apprêtaient à faire passer leur butin en Chine en traversant le lac Khanka pendant qu’il était gelé, à la frontière russo-chinoise, dans le but de contourner les points de douane. Sergeï Aramilev, dirigeant de l’association, a expliqué à la presse lors d’un communiqué : « Ces parties de corps d’animaux sont souvent transportées à l’approche du nouvel an chinois, qui tombait le 16 février cette année. En 2008, des trafiquants avaient déjà été arrêtés sur les rives du lac Khanka. Ils prévoyaient également de traverser le lac, mais en été, pour transporter entre autres 480 pattes d’ours. Les responsables, 6 hommes d’origine russe et chinoise, ont écopé de lourdes peines de prison.”

Ainsi malgré une certaine progression des lois, le braconnage et le commerce illégal d’animaux sauvages s’étendent toujours à une vitesse phénoménale. Même si les espèces se raréfient, l’appât du gain est plus fort que des logiques élémentaires de préservation.

Un commerce qui rapporte beaucoup

Si on se met à chercher les raisons pour lesquelles le commerce et le massacre d’animaux sauvages – la plupart en voie critique d’extinction – a toujours autant la côte, la réponse est tristement simple : le profit. En effet, le commerce animal rapporte beaucoup. Il est estimé à 15 milliards de dollars en 2013 selon le WWF, en faisant ainsi un des commerces les plus lucratifs au monde. Seconds facteurs qui viennent s’ajouter à ce commerce macabre, côté offre : les « traditions » culturelles pour les uns et un « amour » étrange pour les espèces exotiques pour les autres.

Ainsi d’après Traffic, près de 100 000 perroquets gris du Gabon ont été importés en Asie dernièrement, alors qu’en 2016, cette espèce a été classée comme étant en danger, ce qui rend son commerce illégal. Le commerce de peaux de mammifères, comme les otaries à fourrure chassées en Namibie, à destination majoritairement de la Chine et de Hongkong, est passé de 1 972 unités en 2007 à un pic de 20 651 en 2012. Là aussi, un rapport x10 en quelques années. Les pythons royaux et les tortues sont appréciés en Asie comme animaux de compagnie à cause de leur nature docile et du fait qu’ils s’accommodent de petits espaces, ce qui est important dans des métropoles surpeuplées comme Hongkong. La majorité des peaux importées en Asie sont cependant des peaux de crocodiles, qui servent notamment au Japon et à Singapour dans la maroquinerie de luxe.

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Sudan s’est éteint le 20 mars dernier. Il était le dernier représentant mâle des Rhinocéros Blanc du Nord. Son espèce a été anéantie par le braconnage, le trafic illégal et la guerre en Afrique.

Le commerce illégal d’animaux sauvages est ainsi devenu la 4ème activité illicite la plus lucrative au monde, juste derrière le trafic de drogue, les contrefaçons et la traite d’êtres humains. La WWF et IFAW, dans son rapport “La Nature du crime” publié en septembre 2013, expliquent les “avantages” du trafic animal, qui compte le braconnage, la capture, la collecte ou le commerce d’espèces : des risques faibles, des profits élevés et des sanctions légères. Avec cette formule alléchante pour les braconniers et les criminels, 8 pays sont particulièrement pointés comme des rouages majeurs de ce commerce : le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, les Philippines, la Malaisie, la Thaïlande, le Vietnam et la Chine.

De cette façon, WWF nous assure par exemple que le prix de la corne de rhinocéros avait atteint la barre des 70 000 dollars/kilo en 2011 sur le marché noir, et qu’une corne entière pouvait rapporter entre 25 000 et 200 000 euros selon sa taille, soit presque 3 fois plus que la valeur de l’or, du diamant ou de la cocaïne.

L’attrait des safaris et de la “Chasse en boîte”

Qu’on se rassure, les asiatiques ne sont pas les seuls à massacrer des animaux sauvages pour leur bonheur personnel. Parlons un instant de La Chasse en boîte. Si vous n’avez jamais entendu parler de cette pratique courante en Afrique et en Afrique du Sud, vous risquez d’être déçu. Le principe est très simple : on garde enfermé dans un enclos un animal, très généralement un grand félin comme les lions, qui est déjà habitué à l’Homme. Et un touriste l’abat pratiquement à bout portant. “Bravo, vous avez gagné un trophée à accrocher au dessus de votre télé.”

Ainsi, chaque année, de riches touristes occidentaux, venus d’Europe ou des États-Unis, sont prêts à payer plusieurs milliers d’euros pour avoir la garantie de tuer un lion et de ramener chez eux une partie de sa dépouille. L’association 30 millions d’amis avait d’ailleurs fait initier une campagne de dénonciation pour faire cesser cette “tuerie de luxe”. Les sociétés qui organisent ces tueries touristiques vont jusqu’à prétexter la protection des espèces pour justifier leur business. En effet, tuer un animal en cage permettrait théoriquement de ne pas en tuer un en liberté. En réalité, il s’agit de créer un nouveau marché économique dont l’horreur s’additionne à celui du braconnage.

La chasse aux trophées et les safaris sont ainsi des activités également très prisées et lucratives en Afrique. Souvenons nous de Cécil, ce magnifique lion à crinière noire, abattu lâchement par Walter Palmer en 2015 lors d’un safari, alors que lui et son équipe avaient attiré consciemment l’animal hors de sa réserve pour le tuer. L’animal, avec son fils Xanda – lui aussi abattu pour une chasse au trophée à l’âge de 6 ans – était un des rares derniers représentants des lions du Cap, reconnaissables à leur impressionnante crinière noire. Tandis que l’animal avait agonisé pendant dix heures d’après les médecins et scientifiques, le dentiste américain a pu reprendre tranquillement le cours de sa vie et son travail quelques mois après le scandale.

Cécil a été abattu par Walter Palmer après avoir été attiré hors de sa réserve. Sa mort a provoqué un véritable deuil international. Source : Commons Public Domain

Des lois pour la protection des animaux ?

En plus de l’argent engendré par le commerce illégal d’animaux et produits animaux, la WWF et Traffic nous apprennent que le braconnage sert aussi à financer… des milices militaires, voire des guerres. “Le crime portant sur les espèces sauvages n’est pas celui de fermiers pauvres avec des fusils rouillés tirant sur des éléphants et des rhinocéros. Il est le fait de bandes très organisées, lourdement armées, bénéficiant de systèmes GPS et de bons moyens de transport. Les braconniers sont généralement mieux équipés que les organismes de contrôle et ont des liens commerciaux s’élargissant aux organisations criminelles à travers le monde”, Sabri Zain, Directeur Politique de Traffic.

Ainsi, en 2013, le Secrétaire général Ban Ki-Moon, des Nations Unies pour l’Afrique centrale a déclaré dans un rapport “il est probable que le trafic de l’ivoire constitue une source importante de financement pour les groupes armés, et que le braconnage, parfois lié à d’autres activités criminelles, voire terroristes, représente alors une grave menace pour la paix et la sécurité en Afrique Centrale.” en demandant dès lors “d’élever la question du braconnage au rang de problème majeur de sécurité nationale et sous-régionale, nécessitant des actions concertées et coordonnées.”

Et à propos des lois, il existe quelques lois en France contre le braconnage comme celle pour la protection de la biodiversité votée en 2013. Malheureusement, seules quelques grandes espèces d’animaux focalisent toute l’attention, mais le commerce illégal concerne chaque année des millions de spécimens de la faune comme de la flore dont le commun ne connait même pas le nom, dont 500 à 600 millions de poissons tropicaux, 15 millions d’animaux à fourrures, 5 millions d’oiseaux, 2 millions de reptiles, 30 000 primates… À ce propos, le très talentueux Tim Flach nous a récemment présenté une série de portraits poignants sur ces espèces mourantes oubliées.

« Photo de Famille » by Tim Flach. Les Orang-outan sont en danger critique d’extinction.

Dernièrement, le monde a pu se réjouir d’une très bonne nouvelle. La Chine a fait interdire tout commerce de l’ivoire sur son territoire. Un grand pas en avant pour la protection des animaux, la Chine étant la destination numéro 1 des trafiquants. Également signataire de la CITES, on espère que cette nouvelle législation aura un réel impact dans la lutte contre l’extinction des éléphants, alors que le commerce illégal de l’ivoire semble perdurer toujours plus au Vietnam et en Thaïlande.

La sixième grande extinction des espèces est déjà en cours

On nous l’avait prédit et c’est actuellement entrain de se dérouler sous nos yeux : la 6ème extinction de masse des vertébrés. Et celle-ci est, pour la première fois dans l’histoire de la terre, entièrement due à l’Homme et ses activités destructrices sur l’environnement.

D’après l’étude “Proceedings of the National Academy of Sciences” des scientifiques Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich et Rodolfo Dirzo, les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis le début du XX° siècle, nous ramenant au rythme équivalent à la fin du mésozoïque et la disparition des dinosaures, il y a 66 millions d’années.

Ainsi, on constate aujourd’hui le déclin de 32% des populations animales sur la planète. D’un point de vue purement quantitatif, cela représente 8 851 espèces animales soit en voie critique d’extinction, soit déjà éteintes et disparues. C’est simple : les chercheurs ont établi qu’entre 1970 et 2017, 50% des animaux de la Terre ont tout simplement disparu.

Les hommes et les insectes comme seuls survivants ? Pour les humains, rien n’est sur, bien qu’ils soient de plus en plus nombreux. Pourtant, c’est bien lui qui est l’origine de cette extinction massive qui lui reviendra tôt ou tard en pleine face : anéantissement de l’habitat naturel des animaux à cause de la surexploitation agricole, l’exploitation minière incontrôlée, l’urbanisation rapide ou l’exploitation forestière – pollution, la pêche, chasse et braconnages intensifs, l’introduction d’espèces invasives et bien sur, le réchauffement climatique, qui est en train de bouleverser de façon radicale tous les fragiles équilibres de nos écosystèmes. Cependant, on oublie souvent de compter dans la balance un élément qui, pourtant, peut être un des facteurs critiques de la disparition de toutes nos espèces animales : “il s’agit de la surpopulation humaine, liée à une croissance effrénée de la population conjuguée à une surconsommation.”

Portraits de Tigres (Blanc Royal – Doré – Blanc) par Tim Flach dans son projet « Plus qu’humain ».

Comment lutter à son échelle ?

On ne va pas se mentir, il est très difficile au niveau individuel de lutter contre ces problématiques. Aujourd’hui, vous pouvez soutenir un des organismes internationaux qui luttent pour la protection des animaux cibles de braconnage et de la chasse, comme IFAW, lIS Foundation ou encore Sea Sheperd. De toute évidence, évitons de participer au commerce des espèces animales menacées ou exotiques en s’offrant des produits de luxe de provenance d’Asie, mais aussi se méfier fortement de la provenance de tous les reptiles, oiseaux, poissons ou amphibiens que vous trouverez en animalerie. Enfin, sensibiliser son entourage pour faire entendre la voix de ceux qui n’en ont pas. Car cette saine pression citoyenne peut faire bouger les lignes au niveau des législateurs, comme ce fut le cas en Chine.

Moro


Sources : Le Monde / Le Figaro / IFAW / WWF / Mr Mondialisation

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