Dans une intervention soigneusement mise en scène lors d’un conseil des ministres, Emmanuel Macron a lancé une énième provocation en évoquant la « fin de l’abondance ». S’il faut y voir essentiellement un coup de communication, le chef de l’État prépare surtout les Français à une nouvelle cure d’austérité. Décryptage.
« Quoi qu’il en coûte » fin de partie
Le président français a d’abord évoqué la fin des « liquidités sans coût » dont il faudra « tirer les conséquence en terme de finances publiques ». Comme prévu, le gouvernement reprend donc son agenda austéritaire. Une nouvelle fois, « la crise » fera office de parfaite excuse pour mettre en place une politique néolibérale.
Pour essayer de montrer qu’il n’est pas un idéologue, le président rappelle son plan de solidarité lors de la crise du Covid-19, le fameux « quoi qu’il en coûte ». Toute honte bue, ce plan a largement été instrumentalisé pour tenter de démontrer l’existence d’une fibre sociale dans ce gouvernement. Le ministre de l’économie, Bruno Lemaire, n’a d’ailleurs de cesse de répéter que la France a été la plus généreuse d’Europe lors de cette crise.
Au-delà du fait que cette affirmation est fausse du départ – le Royaume-Uni, par exemple, dépensé bien plus que la France – , il est indécent de se repeindre en socialiste pour le simple fait d’avoir mis en place une politique de sauvegarde de l’économie dont l’intérêt premier était l’économie elle-même en tant que pierre angulaire du capitalisme et de ses ultra-privilégiés. En effet, sans intervention, l’économie française se serait sans doute complètement effondrée, et les intérêts des plus riches avec elle. Plusieurs analystes ont d’ailleurs souligné que les « aides covid » avaient surtout bénéficié aux grandes entreprises qui n’en avaient pas forcément besoin.
On n’omettra pas non plus de rappeler que les multinationales, à l’image d’Amazon et son pic à +40% de chiffre d’affaires pendant les confinements, ont pu multiplier leurs bénéfices durant la crise justement parce que le modèle en vigueur dans les pays les plus riches est celui du libre marché et absolument pas de la solidarité et des redistributions sociales.
La pauvreté ne date pas d’hier
Le président prend donc ici des airs graves comme s’il venait de découvrir que l’économie et les finances triomphantes fondés sur une croissance infinie dans un monde fini étaient à l’aube de leurs effondrements.
Il n’en est d’ailleurs pas à sa première surprise a priori. Puisque la scène rappelle à s’y méprendre celles qui ont suivi la crise des Gilets Jaunes, puis la crise du Covid-19. En réalité, le monde est secoué par diverses crises depuis des dizaines d’années et ce en grande partie à cause du modèle de société prôné par les mêmes idéologues néolibéraux que le président français.
Depuis près de vingt ans, le capitalisme enchaîne les crises et le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter. Récemment, la barre des dix millions de pauvres a même été franchie en France.
Ces « crises » ne sont pas des phénomènes extérieurs au système ; elles sont au contraire inhérentes à ce modèle de société.
Ce système est en réalité fait pour conforter les privilèges des plus aisés ; et quand il déraille, c’est aux classes populaires de payer les pots cassés. Il est plutôt facile d’utiliser les crises comme prétexte pour effrayer les plus pauvres et leur faire accepter des efforts supplémentaires. Tandis que pour les plus riches, les plus grands pollueurs, les usagers les plus conséquents, l’abondance continue.
Pour les riches, l’abondance continue
Depuis des années, les inégalités ne cessent en effet de s’accroître et les crises profitent même très souvent aux plus aisés. Durant le pic du Covid-19, la fortune des milliardaires dans le monde a davantage augmenté en 19 mois que durant les 10 dernières années.
Les records de dividendes ne cessent d’ailleurs d’exploser ; en France ils ont dépassé les 44,3 milliards d’euros rien que pour le deuxième trimestre de 2022. Rappelons de plus que les cinq Français les plus riches possèdent autant que les 27 millions les plus pauvres. Dans ce contexte, une pétition a d’ailleurs émergé pour demander la taxation de ces super profits, ce que le gouvernement a pour l’instant fermement refusé.
Abondance, quelle abondance ?
Du côté des plus modestes, on doit en tout cas rire bien jaune en écoutant les propos du président. Et pour cause, pour des millions de Français, l’abondance n’a jamais été au rendez vous. Pour ces 10 millions de citoyennes et citoyens sous le seuil de pauvreté, dont 8 millions ayant besoin de l’aide alimentaire pour survivre, il doit être très compliqué d’entendre un président leur demander de faire encore des sacrifices.
Ce constat s’applique surtout au secteur de l’énergie où sont demandés des efforts particuliers pour faire face à d’éventuelles pénuries. Une situation ubuesque pour les 12 millions de Français donc qui souffrent de précarité énergétique. Déjà en 2019, 7 français sur 10 admettaient préférer avoir froid qu’allumer le chauffage. L’effort réclamé paraît d’autant plus indécent que l’action du gouvernement pour rénover les logements est très insuffisante, comme tentait d’en alerter l’activiste Alizée de Dernière Rénovation lors d’un match de Roland-Garros, et qu’absolument rien n’est fait à échelle industrielle et commerciale pour interdire le gaspillage énergétique.
À Roland-Garros, une activiste pour le climat interrompt la demi-finale entre Marin Cilic et Casper Ruud pic.twitter.com/rJ308aksBi
— Le HuffPost (@LeHuffPost) June 4, 2022
Multiplication des pénuries ?
Dans la même déclaration, le président a également évoqué la « fin de l’abondance de produits, de technologies qui nous semblaient perpétuellement disponibles ». Par là, il a fait référence aux nombreuses pénuries qui ont frappé le pays depuis le début de la crise du Covid 19 couplée à celle de la guerre en Ukraine.
Et pourtant, on ne peut expliquer ces diverses pénuries que par le modèle économique choisi par ce gouvernement et prédécesseurs. Les néolibéraux ont en effet choisi de renoncer à l’indépendance de la France en cédant aux sirènes de la mondialisation économique et en délocalisant massivement la production, le tout pour maximiser leurs profits.
Nos dirigeants et industriels ne sont pas dupes et savent depuis des dizaines d’années au travers de nombreux rapports prévisionnels internes, comme ce fut le cas chez Total depuis 50 ans, que l’extraction et le commerce de ressources dans une frénésie de rentabilité n’étaient pas éternels, mais les tentations de la spéculation et de ses retombées financières immédiates l’ont emporté sur tout sens collectif du bien commun et sur toute prévision au long-terme. Pour eux, peu importe, les plus fortunés devaient s’en nourrir jusqu’au dernier sous, sachant qu’ils seraient également les derniers à être touchés par les pénuries.
Le spectre de la crise écologique
En évoquant la crise environnementale, le président a aussi annoncé la « fin de l’abondance de terre ou de matières et celle de l’eau également » ainsi que « la fin d’une forme d’insouciance ». Des propos qui ressemblent une nouvelle fois à des provocations éhontées de la part d’un président qui n’a strictement rien fait en matière écologique depuis 5 ans et encore moins en termes d’abus consuméristes par les plus riches, pourtant également les plus pollueurs. D’autant plus que le fondateur de Renaissance prône une politique capitaliste ultra consumériste fondée sur une absurde croissance infinie.
Une ombre sur la démocratie
Par ailleurs, le chef de l’État a cherché à effrayer les Français en évoquant ses inquiétudes pour la « démocratie et les droits de l’Homme ». Curieuse réflexion pour une figure qui a sauvagement fait réprimer les Gilets Jaunes, qui s’est fermement opposé à la démocratie directe et a plusieurs fois été épinglé par les médias internationaux pour ses dérives autoritaires.
Pour conclure cette mise en scène, le président a terminé par une phrase sans équivoque : « Face à cela nous avons quelques devoirs ». Sans aucun doute, il prépare les français à accepter une pluie de réformes scélérates par un discours effrayant et moralisateur. Peut-être devrait-il se méfier tout de même de la fin de l’abondance de patience de son propre peuple…
-Simon Verdière
NB : critiquer une austérité à deux vitesses parce qu’elle est proprement inégalitaire et, surtout, factuellement incohérente vis-à-vis des besoins écologiques réels (à savoir une régulation efficace des privilèges des grands pollueurs, milliardaires et multinationales industrielles, ainsi qu’une déconstruction du capitalisme à la source), ne signifie pas pour autant que nous ne devons pas nous préparer à décroître. C’est une évidence depuis longtemps pour celles et ceux qui s’inquiètent déjà de la situation environnementale : la sobriété, la décroissance volontaire et la solidarité sont primordiales à notre survie et plus globalement à toute Vie digne sur Terre. Mais ces modèles ne sauront être justes et respirables que s’ils naissent de la mort du modèle mortifère qui nous a mené jusqu’à cette impasse.
Image de couverture @slip_/Flickr