Au cœur de l’affaire Société Générale qui a éclaté début 2008, Jérôme Kerviel a été reçu et interviewé par Jean-Luc Mélenchon, cofondateur du Parti de Gauche et candidat à l’élection présidentielle française de 2017. Dans « Pas vu à la télé », émission mensuelle lancée par M. Mélenchon et diffusée sur YouTube, les enjeux de ce grave scandale financier mettent en évidence une urgence politique : l’impunité organisée de l’économie financiarisée, dont la Société générale est un acteur majeur. Un système dont le témoignage de l’ancien trader aide à prendre la mesure, tandis que la mise en perspective de l’homme politique souligne que la rapacité des capitalistes est protégée à renfort de corruption, d’intimidation… et même de lois européennes. Une heure pour comprendre.

Dans la foulée de la crise des subprimes, éclate l’affaire Kerviel, du nom de l’employé qui serait, selon la banque, responsable d’une perte de 4,82 milliards d’Euros. De 2005 à 2008, Jérôme Kerviel travaille comme opérateur de marché (c’est-à-dire trader) à la Société générale ; ses montages financiers permettent à celle-ci de gagner jusqu’à 1,5 milliard d’Euros par an. Reçu par Jean-Luc Mélenchon dans son émission « Pas vu à la télé », il se souvient avoir « perdu le sens des valeurs qui m’avaient été inculquées par mes parents, d’avoir participé à ce système-là » et reconnaît avoir eu « des activités qui n’étaient pas morales (…). Je ne réfléchissais pas aux conséquences sur le terrain (…) ; pour moi, c’était très désincarné ; on est dans un monde très virtuel ».

Au terme d’un procès comptant de nombreuses failles et largement critiqué pour son manque d’objectivité (certains parlent d’un procès politique visant à couvrir la Société Générale), il est jugé responsable des pertes, au motif que ses supérieurs hiérarchiques n’auraient pas eu connaissance de ses activités. Mais pour Kerviel et ses soutiens, c’est tout le contraire. Ce type de pratique serait généralisé. Il est alors condamné notamment pour abus de confiance, faux et usage de faux et les dommages et intérêts s’élèvent à l’astronomique somme de 4,8 milliard d’Euros.

kerviel_verdictIllustration : www.ladepeche.fr

Bouc émissaire d’un système puissant

L’échange entre Jérôme Kerviel et Jean-Luc Mélenchon dans « Pas vu à la télé » (voir ci-dessous) entend mettre en évidence tout ce que l’affaire impliquant la Société générale – et dont celle-ci s’est jusqu’à présent particulièrement bien sortie – a de symptomatique. Si les propos de l’ancien trader ne sauraient à eux seuls faire foi, de récentes révélations mettent sérieusement en cause tout à la fois l’enquête juridique, le verdict et surtout la Société générale et sa direction. L’affaire des Panama Papers a par exemple mis à jour l’implication de la Société générale dans la création de centaines de sociétés offshore. Pis : cette activité aurait continué dans la même période où son président Frédéric Oudéa déclarait sous serment devant une commission d’enquête sénatoriale, en 2012, que la banque avait fermé toutes ses activités au Panama.

En outre, des éléments donnent à penser que la procédure judiciaire de l’affaire Kerviel aurait été « téléguidée par la Société générale pour faire porter à son jeune trader le chapeau de pertes colossales ». Il y a tout juste un an, Mediapart publiait le témoignage explosif de la commandante de police en charge de l’affaire à la brigade financière depuis 2008. Les révélations changent la face du dossier : « l’affaire Kerviel » devient le « scandale Société générale ». L’enquêtrice explique devant le juge d’instruction avoir complètement changé d’avis sur le dossier face aux nombreux dysfonctionnements rencontrés lors de ses enquêtes. « À l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », affirme-t-elle devant le juge.

Pire : on apprendra que le parquet – qui représente l’État – a conduit l’enquête contre Jérôme Kerviel « main dans la main » avec la Société Générale. Celle-ci faisant pression sur les témoins, imposant ses documents, refusant de répondre aux réquisitions qui la dérangent… quand au parquet : « L’enquêtrice parle aussi de l’étrange attitude du parquet. Malgré les doutes dont elle avait fait part, malgré les témoignages qu’elle avait recueillis, malgré les demandes d’expertise qu’elle avait formulées après avoir repris l’enquête en 2012, le parquet préfère enterrer le dossier et s’en tenir au récit largement développé par la banque, sans aller chercher plus loin. ». Suite à toutes ces révélations, Jérôme Kerviel et ses soutiens demandent un nouveau procès.

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Source : www.larepubliquedespyrenees.fr

La Société Général porte plante… pour diffamation !

La dénonciation des mensonges de la S.G. par MM. Kerviel et Mélenchon leur vaut une plainte pour diffamation de la part de M. Oudéa. Jérôme Kerviel y voit une des deux formes que la Société générale emploie pour faire taire : la menace. L’autre, c’est la corruption, estiment-ils, au renfort d’accords transactionnels : « certains de mes collègues et anciens supérieurs ont touché plusieurs centaines de milliers d’Euros, voire au-delà du million d’Euros, dans des transactions au terme de laquelle ils avaient interdiction de parler contre la Société générale ».

Si bien que Jérôme Kerviel apparaît comme le parfait bouc émissaire qui aurait permis à la Société générale à la fois de protéger – et poursuivre – ses activités spéculatives, sans être inquiétée, et pire : d’en tirer un bénéfice colossal. La banque a en effet bénéficié d’un arrangement plus que douteux durant la présidence de Nicolas Sarkozy (dont Frédéric Oudéa, alors directeur général de la Société générale, avait été conseiller lorsque celui-ci était Ministre du Budget). L’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, qui était en 2008 Ministre de l’Économie et des Finances avait alors avalisé une déduction fiscale, dont M. Kerviel dénonce l’invalidité : « ce 1,7 milliard de déduction fiscale n’était pas dû, puisqu’il y a une jurisprudence constante du Conseil d’État qui cadre très bien les conditions pour qu’une déduction fiscale de cet ordre puisse avoir lieu. Or, la situation et le dossier ne rentrent pas dans ces dispositions juridiques (…). Il y avait deux conditions pour que la déduction puisse avoir lieu : 1- que les supérieurs ne soient pas au courant de ce qui m’était reproché, 2- que la banque n’ait pas fait l’objet de défaut de contrôle. Or, la commission bancaire, la Banque de France, a condamné la Société générale pour défaut de contrôle. Donc les conditions n’étaient pas réunies pour que l’État français reverse ce crédit d’impôt à la banque (…). Cette déduction fiscale a eu lieu en 2008, alors que le dossier était encore en instruction. Ils n’ont même pas attendu la décision de justice pour faire ce chèque à la banque » explique l’homme.

L’interview de « Pas vu à la télé »

Acheter le silence

Cette opération pose un autre problème : recourant à un dispositif relevant de la fiscalité des sociétés, qui dispose qu’en cas de pertes exceptionnelles sur un exercice donné, celle-ci peut bénéficier d’une déduction d’impôt jusqu’à un tiers des sommes perdues. La somme d’1,7 milliard d’Euros a donc été calculée d’après les 4,7 milliards d’Euros de pertes déclarées par la Société générale, montant qui n’aurait jamais été vérifié de façon neutre et indépendante. M. Kerviel précise en effet que les commissaires aux comptes, qui ont validé cette somme… étaient payés par la banque elle-même : « L’État n’a pas été [sic] vérifier (…). Le seul organe de contrôle qui était la Commission bancaire, qui était venu faire un audit juste après l’éclatement de l’affaire, [écrit] en première page de son rapport : « Nos conclusions sont basées sur le rapport interne de la Société générale ». Ils ont tiré leurs conclusions [d’]un rapport interne fait par la Société générale (…). Il suffit qu’ils disent pour être crus ! »

Qui plus est, cette somme, une fois versée, « on se rend compte que cet argent-là, qui était donné à l’État, a servi à payer les actionnaires ». Les finances publiques ont donc été utilisées, d’après les propos de Jérôme Kerviel, pour enrichir des personnes privées détentrices d’actions dans une banque possédant des sociétés offshore, aidant – comme l’a montré l’affaire des Panama Papers – à frauder le fisc, et qui n’hésite pas à acheter le silence de ses employés ou à mentir devant le Sénat pour échapper à toute condamnation. Tout cela dans un contexte où le président Nicolas Sarkozy avait obtenu de l’État qu’il renfloue les banques à hauteur de 360 milliards d’Euros. Autrement dit : alors que leurs activités spéculatives étaient aux sources de la crise mondiale débutée en 2007 aux États-Unis, son choix était de réinjecter des fonds publics dans cette économie financiarisée, sans contreparties sérieuses, au lieu de nationaliser les établissements pour pouvoir réguler leur activité. Ceci n’étant qu’une des nombreuses choses que Nicolas Sarkozy n’a pas fait avec les banques. Quel plus bel encouragement à poursuivre leur travail de déprédation ?

Comme le résume ici Jean-Luc Mélenchon, la Société générale est « une des dix banques systémiques du monde : c’est-à-dire que si cette banque a un problème, c’est tout ce système [celui de la finance, ndr] qui aura un problème. Elle se sert de ce statut pour dire : « surtout pas d’histoire » ». C’est pour cette raison que l’eurodéputé a demandé la mise sous tutelle de la Société générale. Et de se réjouir de ce que les instances fiscales de l’État français soient, d’après Jérôme Kerviel, fiables et incorruptibles, et qu’elle ne contribue pas à faciliter l’évasion fiscale, ce qui signifie que la loi peut s’appliquer le moment venu pour poursuivre et sanctionner ces personnes.

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Une absence criante d’action politique contre la fraude fiscale

Alors que ceux qui discourent contre la fraude des immigrés ou des « assistés » sont souvent peu diserts sur les scandales financiers, il convient de rappeler ces chiffres : 60 à 80 milliards d’Euros échapperaient au fisc français chaque année (contre une estimation haute de 4 milliards d’Euros de fraude aux prestations sociales, d’après AlterÉcoPlus.fr). On peut donc sérieusement se questionner sur la réalité de la crise et de la volonté politique de prendre l’argent là où il se trouve alors que l’austérité se voit généralisée (plusieurs milliards vont encore être ponctionnés sur le budget de la Santé d’ici 2017) et que tout semble fait pour lisser vers le bas les droits sociaux, comme le démontre violemment la Loi Travail.

Mais une mise en ordre nécessitera une volonté politique forte, à la fois face à une finance dont les montages sont si opaques, explique Jérôme Kerviel, que même les supérieurs hiérarchiques d’un trader ne les comprend pas toujours, mais aussi face à l’Union européenne. Le traité de Lisbonne, que le Parlement français a validé en dépit du rejet de sa version antérieure par le peuple souverain au référendum de 2005, compte en effet un article permettant l’évasion fiscale. Il s’agit de l’article 63, qui dispose que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».

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Source : www.nawak-illustrations.fr

Alors que la Commission européenne est présidée par Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre et Ministre des Finances du Luxembourg, au cœur du scandale fiscal LuxLeaks impliquant 340 multinationales et que la nouvelle directive européenne sur le droit des affaires permettra de poursuivre en justice les lanceurs d’alerte (sauf exceptions sans définition précise), il s’agit de comprendre pourquoi les puissants entretiennent des actes ambigus. Si l’évasion fiscale est interdite et sanctionnée par la loi, le système qui le permet est parfaitement légal, depuis les cabinets pratiquant l’optimisation fiscale (Arnaud Claude, associé de Nicolas Sarkozy, est ainsi impliqué dans l’affaire des Panama Papers) jusqu’au système des sociétés-écran.

L’enjeu politique est capital pour l’avenir, alors que la classe politique dirigeante semble plus décidée à garantir l’opacité dont beaucoup d’élus ont bénéficié (cf. la liste de représentants politiques mentionnée dans les Panama Papers, qui inclut LR, PS et FN) qu’à faire appliquer l’égalité des riches et des pauvres devant le fisc. Tout en exigeant de peuples entiers, via les traités et mesures d’austérité, d’accepter de voir les services publics privatisés, les retraites amoindries et les protections sociales démantelées. Reste à ce qu’une majorité de citoyens comprenne pleinement les enjeux d’une affaire particulièrement complexe afin de traduire son mécontentement en actions politiques concrètes. Malheureusement, ce sont trop souvent les discours simplistes, notamment contre les étrangers, qui drainent le plus d’indignation vers des culs-de-sacs idéologiques.

Mise à jour au 7 juin 2016

Les Prud’hommes ont condamné la Société Générale, ce mardi 7 juin, à payer plus de 450.000 euros à Jérôme Kerviel ! Une grande victoire pour l’homme « bouc émissaire » d’un système à bout de souffle. La justice a donc estimé que l’ancien trader avait été licencié sans cause réelle et sérieuse par la fameuse banque. Après 8 ans de combat acharné avec la Société Générale, c’est une première victoire judiciaire remarquée pour Jérôme Kerviel. Le jugement souligne donc que la banque avait parfaitement connaissance des risques pris par l’employé lors de ses opérations sur les marchés bien avant de lui signifier son licenciement.


Sources : Wikipedia (1) / TempsRéel.NouvelObs.com (1) / LeFigaro.fr / Mediapart.fr (1)/ LeMonde.fr / Liberation.fr / Marianne.net (1) / AlterÉcoPlus.fr / LeGrandSoir.info / Politis.fr / LeSoir.be / Mediapart.fr (2)

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