Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle française, vient de mettre en ligne sur son site 12 pages consacrées à la question environnementale. Une surprise pour un homme politique « ni de gauche ni de droite » dont le programme est inscrit aux abonnés absents. Entre fausses propositions et attentisme, les différents points qu’il aborde sont marqués d’équivoques. De quoi interpeller ceux qui aspirent à une véritable transition écologique de fond. Lecture.
Emmanuel Macron, ex-ministre de l’économie, a construit son image sur des ambiguïtés ainsi que des non-dits. Lorsque le candidat à l’élection présidentielle a lancé sa campagne, il a d’abord tenté de se forger une image « anti-système » dans l’opinion à travers le verbe. Cette posture qui prêterait à rire n’a que peu été déconstruite, alors que le représentant politique d’ « En Marche » a fait une brillante carrière dans la finance, avant d’être conseiller économique de François Hollande puis ministre de l’économie de Manuel Valls. Il a quitté le gouvernement en faisant un cadeau de 900 millions d’euros aux pontes du CAC40.
Si ses idées n’ont rien d’innovant sur l’échiquier politique, entre une droite réactionnaire et une gauche institutionnelle essoufflée, Macron s’est peu à peu transformé en un messie d’une neutralité revendiquée, choyé par les médias. L’homme va ainsi trouver un électorat charmé par l’idée, séduisante mais fausse, qu’il n’existerait plus de nuance entre une vision sociale de la société et celle dominée par la dictature du marché et de l’économie libérée. Pourtant, c’est précisément dans cette dernière, celle du marché global et de l’économie triomphante, que la vision de Macron s’inscrit.
En dépit d’un positionnement déclaré ni de gauche, ni de droite, le discours d’Emmanuel Macron symbolise un libéralisme économique qui peine à cacher son nom et dont les prémisses ne sont pas neuves. Ce qui est nouveau dans le débat politique récent – et non « moderne », comme on peut trop souvent l’entendre – c’est d’appliquer comme il le fait à l’État un vocabulaire jusqu’ici réservé à l’entreprise (on retrouve une pensée similaire chez Margaret Thatcher). Ainsi, défend le YouTubeur Usul dans une vidéo consacrée au sujet, avec Macron, on assiste à « une colonisation du politique par l’idéologie managériale ». On peut aller plus loin : derrière la vision de Macron se cache également une certaine méfiance vis à vis de l’État. Dans une tradition libérale, il considère que les interventions de l’autorité publique doivent être réduites et propose privatisations, dérégulation et liberté de négociation des entreprises avec leurs salariés. Les économistes Thomas Porcher et Fréderic Farah, cités par Médiapart, mettent en garde : « Derrière une modernité apparente [du candidat] se trouve en réalité une vision régressive de l’économie », analysent-ils dans leur livre intitulé Introduction inquiète à la Macron-économie. C’est ainsi que Macron se risque à affirmer que le programme politique « n’est pas au cœur d’une campagne« , préférant les slogans vagues et le terme de vision pour générer de l’adhésion à son discours.
Environnement : le numéro d’équilibriste d’Emmanuel Macron
À l’heure ou l’environnement se pose en problème crucial, Emmanuel Macron ne pouvait pas, tout comme l’ensemble des candidats, ne pas aborder le sujet. C’est ainsi que depuis le 9 février on peut consulter sur son site un dossier consacré à la question environnementale. Malgré les apparences flatteuses pour l’environnement de sa synthèse, dont les principaux points sont articulés autour de 4 axes populaires chez les écolos (la sortie des énergies fossiles, l’écologie au quotidien, le mix énergétique et la transition écologique), le texte est fondé sur des propositions très générales, laconiques, qui donnent l’impression d’être sorties des tiroirs et picorées à droite à gauche sans background pour les consolider. Certains éléments sont nouveaux, tel l’introduction du biologique dans les cantines scolaires (là où un Mélenchon réclame du 100% bio depuis plusieurs années), mais, dans la majorité des cas, Macron ne fait que confirmer des objectifs qui ont déjà été fixés par les institutions nationales et européennes et qui sont donc autant d’obligations légales pour la France (réductions des émissions de gaz à effet de serre, développement des énergies renouvelables, etc..).
De fait, derrière les slogans séduisants, on retrouve cette même transition molle déjà initiée par les pouvoirs actuels. Certaines positions, dont celles sur le nucléaire, sont même strictement similaires à celle de François Hollande. Ainsi, on peut rapidement douter de la sincérité d’Emmanuel Macron en matière de préoccupations pour l’environnement. Les formulations auxquelles il a recours sont sensationnalistes mais dévoilent un manque d’engagement dans la recherche d’un consensualisme mou qui ne heurte ni le travailleur, ni l’industrie, ni l’entreprise. Par exemple, dans la rubrique consacrée à la décarbonisation de l’économie, on peut lire la prise de position suivante : « Le prix du carbone doit intégrer les dommages causés à l’environnement. Il faut de la certitude dans la transition écologique pour l’ensemble des acteurs : particuliers et entreprises ». Peut-on vraiment, en tant que candidat à la présidence, se cacher derrière des formulations aussi floues sans axe d’action précis ? Si Macron est loin d’être le seul à avoir recours à cette dialectique, proche de la publicité d’entreprise cherchant à vendre son produit, ces formules creuses nous questionnent autant qu’elles ont tendance à se répéter.
L’art du clair-obscur
Entretenir l’incertitude semble faire entièrement partie de la stratégie d’Emmanuel Macron. De cette manière, l’homme ne prend pas fermement position sur des questions qui divisent et continue ainsi à attirer les déçus de la gauche et de la droite perdus dans le brouillard des idées. Le programme environnemental d’Emmanuel Macron ne fait pas exception : il est fondé sur l’ambiguïté. Ceci s’observe en particulier sur les questions les plus clivantes où il s’abstient de prendre une position définitive. Ainsi, en ce qui concerne le dossier emblématique qu’est celui de l’aéroport de Notre-Dames Des Landes, il indique qu’une décision sera prise six mois après la présidentielle. Il faut lui faire confiance, qu’on soit pour ou contre. Pour ce qui est de l’avenir du nucléaire dans le mix-énergétique national, Macron renvoie les décisions à prendre à 2018, faisant peser la responsabilité de la ligne à suivre sur l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire). Une approche au clair-obscur qui contentera tout le monde sans convaincre personne.
Emmanuel Macron biaise donc le débat sur une question d’importance capitale. En maître de la communication il procède à un tour de passe-passe réussi : grâce à l’ambiguïté de ses propositions, il peut faire croire au verdissement de son programme, tout en évitant de se mettre les principaux acteurs économiques à dos et remettre en question le dit système. Pourtant, la question environnementale mérite d’être traitée de manière bien plus approfondie et sans langue de bois. Contrairement à ce que suggère la vision du candidat, l’écologie ne se résume pas à des questions techniques ou administratives déjà tranchées. La crise environnementale met en question de manière transversale l’organisation de la société. Elle interroge les rapports sociaux et notre manière de travailler. Elle met en cause l’économie productiviste et l’exploitation des travailleurs. Elle nous rappelle, que, souvent, inégalités sociales et inégalités écologiques se cumulent. Chez Emmanuel Macron, ces questions sont pourtant parcellisées et laissées sur le banc de touche. On ne pourra cependant pas nier une certaine honnêteté : il déclare dans une récente interview du JDD que « la politique, c’est un style » et que le programme politique « n’est pas au cœur d’une campagne« .
Pour aller plus loin, l’analyse de Dany Caligula
Les techniques managériales appliquées aux meetings de Macron
Sources : en-marche.fr / libération.fr / mediapart.fr