Ces dernières années, les personnes ayant fait du vélo leur outil de travail se sont multipliées. Pour beaucoup, il s’agit de montrer que même dans le monde de l’entreprise, il est possible de se passer de la voiture et donc de rendre la société plus soutenable. Cependant, en particulier en ce qui concerne le secteur de la livraison, l’ubérisation avance à marche forcée. Certains résistent.
Au début de cette enquête, nous voulions simplement rencontrer et présenter des personnes de terrain qui ont fait du vélo leur outil central dans l’organisation de leur travail. Après deux entretiens, nous avons compris que le secteur de la livraison à vélo était le centre d’un nouveau combat : en effet, les débats autour de l’ubérisation opposent des visions totalement différentes de l’avenir du travail. Le Pois Chiche en Selle, un service de livraison de repas à domicile à Paris et Les Courses Asteur, une entreprise de coursiers à Dunkerque ont chacun su résister à la précarisation, défendant leurs valeurs, tout en créant de l’emploi. Nous les avons rencontrés.
Le Pois Chiche en Selle : résister à Deliveroo et cie
En 2014, alors âgée de 25 ans, Aline Chiche créait sa propre entreprise de restauration et de livraison locale de plats, Le Pois Chiche en selle. Son parcours universitaire ne la prédestinait pourtant pas réellement à ce type d’activité. À la fin de ses études en Marketing, la jeune femme est partie pour un roadtrip « à travers les Amériques ». C’est à son retour, forte de son expérience, que lui est venu le déclic : soudain, nous raconte-elle, elle a été envahie d’« une envie de changement professionnel » en phase avec ses nouvelles valeurs. Amoureuse de la cuisine depuis son enfance, c’est finalement vers cette voie qu’elle s’est dirigée.
« Avant de me lancer j’ai pu voir se développer différents types de métiers à bicyclette (paysagiste, coiffeur et même déménageur). Ainsi, l’idée m’est venue : entreprendre dans la restauration mais à vélo « . Pourquoi le vélo ? En ville, ce moyen de locomotion est plus rapide que la voiture. En outre, souligne Aline, les déplacements en vélo sont moins stressants et offrent un sentiment de liberté. Dans sa cuisine, elle choisit « consciencieusement tous les produits ». C’est également elle « qui élabore les recettes adaptées à chaque saison ».
Aline, qui travaille entièrement seule, a su faire de sa spécificité un avantage, sur un marché où des startups à gros budget telles que Deliveroo, Foodora et Uber se livrent une féroce concurrence, inondent l’espace public de leur publicité dans une stratégie de marketing agressive et suscitent de vives polémiques concernant les conditions de travail des « auto-entrepreneurs associés ». « Je suis arrivée sur ce marché en même temps que ces entreprises » nous explique Aline. « Ma force est clairement dans le « tout fait maison », aussi bien pour la cuisine que la livraison. Mes clients me connaissent et je m’adapte à leurs envies. Le lien de proximité avec mes clients est primordial », conclue-t-elle. Deux visions du monde se confrontent indéniablement.
Les Courses Asteur protègent les salariés et l’environnement
Laurent Lebecque, le gérant des Courses Asteur, accompagné de ses deux associés, Franck Adriaen et Yannick Claeyman, voulait « faire autre chose » et promouvoir la pratique du vélo. Auparavant, le premier était chef de projet en informatique, le second travailleur social et le troisième technicien de laboratoire. Tous les trois partagent une « passion pour le vélo », mais aussi « la volonté de travailler autrement », de manière plus autonome et en accord avec leurs valeurs, notamment la protection de l’environnement. Après avoir envisagé d’autres projets liés au vélo et au tourisme qui n’ont pas vu le jour, faute de financements, Laurent s’est tourné vers les livraisons en vélo. Les trois collègues, dont les locaux se trouvent en plein centre ville de Dunkerque, transportent tous les jours des colis, des plis, des lettres, mais également d’autres objets, plus inattendus, tel que des sapins de Noël, des paniers de légumes bio ou des fleurs. De manière régulière, ils livrent des flyers et des affiches pour les administrations, des organisations culturelles ou des entreprises privées. À l’heure du souper et du déjeuner, ils collaborent avec deux restaurants.
Pour lancer la coopérative, deux emprunts ont été fait au nom des Courses Asteur et une aide des Cigales a été obtenue. Les trois collègues ont également pioché dans leurs fonds propres. Une des particularités non négligeable de l’entreprise, c’est d’être organisée sous forme de SCOP, ce qui privilégie la protection des salariés par rapport aux nombreuses autres « boîtes de coursiers » qui ont recours au statut « d’auto-entrepreneur ». Contrairement à un système type Uber, les travailleurs ne sont pas réduits en esclaves faussement indépendants au bénéfice d’un grosse entreprise. Malgré des débuts contrastés du point de vue économique, les trois collègues gardent un esprit positif : « la livraison en vélo, c’est le futur », nous confie Laurent, persuadé qu’il faut « changer la mentalité des gens ».
Il faut le dire, Laurent, Franck et Yannick sont quelque peu précurseurs. Inspirés d’une entreprise similaire à Caen, ils sont dans les premiers dans le Nord de la France – un service de coursiers existe aussi à Lille – à tenter l’aventure. Dans de très nombreuses capitales, les coursiers à vélo sillonnent les rues par centaines. Mais en dehors de ces grandes villes, ce type de démarche ne s’est pas encore beaucoup exporté.
Le vélo fait-il partie de l’avenir des entreprises ? À l’heure où l’on interroge la place de la voiture en ville, la question de pose sans aucun doute. Pourtant, pour le moment, le secteur est soumis à une forte ubérisation qui profite à une minorité et met en danger les droits des travailleurs sur le terrain. Le Pois Chiche en Selle et Les Courses Asteur montrent qu’un autre modèle, plus engagé socialement, est possible.
Sources : coursesasteurs.fr / lepoischicheenselle.fr / Propos recueillis par Mr Mondialisation