L’excision peine toujours à reculer dans les pays qui la pratique. Mais pourquoi ? Si la question de l’excision a été largement couverte, jamais encore nous n’avions été confronté à la vision de ces femmes qui défendent l’excision. Capucine Girard, vidéaste, nous offre la possibilité de comprendre à quel point le problème de l’excision est complexe, ancré profondément dans les esprits et que, pour en venir à bout, il nous faut d’abord comprendre les mécanismes sociaux qui perpétuent la pratique. La réalisatrice est allée au Mali, là où 85% des femmes sont excisées, et nous offre un nouvel angle de vue avec « Musow, dialogue de femmes » , un documentaire qui donne la parole, sans les juger, à ces femmes qui réclament leur propre mutilation génitale pour se conformer à la norme et aux croyances locales.
Écouter pour comprendre
Selon l’OMS, Organisation Mondiale de la Santé, « l’excision recouvre toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, pratiquées pour des raisons non médicales » . Il s’agit le plus souvent d’une ablation du capuchon clitoridien voire du clitoris externe en entier. Aujourd’hui, l’excision est interdite et punie par la loi dans la plupart des pays du monde. En France, par exemple, les exciseurs encourent jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle et 150 000 euros d’amende pour toute mutilation sur une mineure, quelque soit leur nationalité. Pourtant, « l’épreuve du fer » , aussi violente soit-elle, reste largement pratiquée, ce qui laisse à penser que la résolution du problème de l’excision ne dépend pas seulement de son interdiction.
Dès les premiers instants du film, le ton est lancé et on se heurte à des phrases qui choquent et n’entrent pas dans notre cadre de référence occidental : « L’excision, ça fait partie de la vie, c’est bon » , « Les gens de l’Europe qui veulent lutter contre l’excision ont tort. Ils ont tort de lutter contre l’excision, parce que… avant de lutter contre l’excision, il faut qu’ils viennent ici nous demander notre avis, à nous les filles qui sommes excisées » . Un peu déroutés, d’abord en colère, on se laisse emporter au fil des rencontres de Capucine Girard, et on comprend vite que la loi ne viendra jamais à bout de cette pratique tant il s’agit là d’un problème très complexe où se mêlent traditions, croyances anciennes et d’importantes pressions sociales. Comment imaginer pouvoir le solutionner sans essayer de comprendre ce qui pousse ces femmes à perpétuer une mutilation de leur corps et surtout de celui de leur(s) enfant(s) ?
Rapidement, on découvre que le problème de l’excision va bien au delà du seul rite de passage et nous ramène à d’autres phénomènes beaucoup plus ancrés. Contrairement aux idées reçues, l’excision n’est pas prônée par l’Islam et n’est pas mentionnée dans le Coran, elle n’est donc pas une pratique, à l’origine, religieuse. Il s’agit bien d’un rite culturel qui est perçu dans l’imaginaire de ces individus comme nécessaire dans une vie communautaire et dans le développement de la femme. Dès lors, on se heurte à un mur sociologique déterministe. Les femmes elles mêmes en viennent à défendre corps et âme une pratique qui brime leur sexualité et défigure leur corps. « Je suis fière d’être excisée parce que ça me donne la force d’être tranquille, d’être moi-même et de pouvoir me maîtriser. Une fille non excisée, elle ne peut pas se maîtriser, quand elle voit un homme, c’est plus fort qu’elle » explique l’une d’elle. Des témoignages déroutants qui nous font prendre conscience que, alors que des militants occidentaux se battent (avec raison) pour éradiquer cette pratique bien souvent meurtrière, les principales intéressées se sentent d’abord attaquées dans ce qu’elles estiment être un choix normal et assumé, conforme à une norme perçue en une région déterminée du monde. Dès lors, par effet d’opposition réactionnaire, la pratique peut même se renforcer.
Le Sûtra
Pour les hommes et les femmes qu’a rencontré Capucine, l’excision est donc perçue comme quelque chose de positif car elle permet à la femme d’être elle-même et de se maitriser. L’argument principal étant que, selon leurs termes, si une femme réprime son désir sexuel, elle pourra être « tranquille » et avoir des limites avec les hommes. À l’inverse, il existe la croyance qu’une fille non-excisée ne serait pas capable de se maitriser et irait jusqu’à quitter sa famille pour courir après les hommes. Derrière ces préceptes se dessine discrètement le contrôle des hommes sur le corps des femmes. Il est ainsi sous-entendu qu’une femme est biologiquement incapable de se maitriser, justifiant la mutilation (et donc le contrôle) de son corps. L’idée même d’infériorité de la femme par rapport à l’homme est intériorisé par les femmes elles-mêmes, créant une boucle de perpétuation culturelle qui s’alimente de génération en génération.
Ainsi, dans ce cadre culturel, tout laisse à penser qu’une femme maitrisée et sous contrôle devrait être excisée. Par opposition, celles qui ne le sont pas sont perçues comme trop libres, instables et même occidentalisées. Pourtant, sous les questions pertinentes de Capucine, ces femmes se retrouvent vite à court d’arguments, laissant penser que quelque chose se cache derrière ce discours lissé, transmis de mère en fille, elle-même remise en question à demi-mots lorsque certaines femmes avouent que l’excision ne supprime pas totalement l’envie.
« Être tranquille » prend alors une toute autre dimension lorsque l’on comprend que l’excision est plutôt affaire de pression sociale et de peur du jugement en lien direct avec le « Sûtra » , la pudeur et l’humilité de soi. Dans une société communautaire où la considération des autres envers soi est très importante, l’idée de « gâcher son nom » est l’une des pires choses qui puisse arriver. Le tabou de la sexualité fait écho à cette peur de voir sa réputation mise à mal par un homme, de faire honte à son nom et sa famille. On comprend mieux pourquoi des jeunes filles, des adolescentes, racontent à Capucine comment elles ont elles-mêmes demandé à être excisées. La peur du jugement, d’être anormale dans le groupe, car en dehors de la coutume. Préjugés et croyances viennent renforcer cette posture.
Le reportage
Une histoire de conceptions
Le documentaire « Musow, un dialogue de femmes » a le grand mérite d’enrichir notre réflexion dans toutes ses nuances de gris et de nous questionner dans nos certitudes. Il apparaît dangereux de se contenter de rendre la pratique illégale, au risque d’exposer les femmes à encore plus de risques sanitaires, sans tenter de comprendre de quoi elle est le nom. Car la question de l’excision ramène à celle de la place des femmes dans la société et sa liberté. Mais si nous pouvons, bien sûr, incriminer ces violences envers les femmes dont on peine encore, partout, à se défaire, il semble clair qu’une approche sociologique holistique manque cruellement. Au delà de cette évidence, le combat à mener contre toutes les conceptions culturelles que nous assimilons et qui font perdurer les violences envers les femmes est avant tout un combat éducatif et culturel.
Car les violences physiques et morales faites envers les femmes, où qu’elles soient, sont liées à un imaginaire complexe qu’il nous appartient, à échelle mondiale, de déconstruire. Et notre société occidentale n’est pas exempt de ce combat. Avec nos inégalités salariales, nos viols encore trop largement impunis, notre soumission aux diktats de la mode et de la beauté, sans oublier l’objectification à des fins marchandes, sommes-nous, occidentaux, si sûrs d’avoir compris toutes les nuances de l’émancipation des femmes ?
Si les lois ne semblent pouvoir empêcher que des milliers de petites filles et adolescentes soient mutilées chaque année, l’éducation, le dialogue, et l’apprentissage le pourront certainement à long terme. La liberté individuelle de pouvoir jouir librement de son corps, sans qu’une tierce personne, une croyance ou une pression sociale n’impose un quelconque rapport de soumission, ne semble s’acquérir que dans un cadre où la pensée est tout aussi libérée.
Un petit point sur cet organe qu’on leur coupe