One Voice publie un rapport d’expertise et révèle des images inédites des cétacés de « l’autre MarineLand », situé en Ontario à deux pas des chutes du Niagara, où végètent dans des bassins beaucoup trop petits pour leurs besoins primaires des bélugas, des dauphins et une orque. Cette orque c’est Kiska, tristement déjà connue auprès du public pour être « l’orque la plus triste au monde ». Et pour cause : isolement depuis dix ans, forcée de faire des tours pour amuser la galerie, bassin insalubre et problèmes de santé à répétition, plusieurs pétitions et dénonciations circulent pour libérer cette orque dont le mal-être ne trompe plus personne. Retour sur un scandale de plus dans l’industrie de la captivité. 

L’association One Voice a écrit à l’ambassade du Canada en France, au Solliciteur général de l’Ontario et aux services de protection des animaux de cette Province (PAWS). Ces institutions ont ainsi reçu un long rapport d’expertise, fruit d’une décennie de constatations et d’évaluations du non-respect des besoins primordiaux des animaux détenus dans ce MarineLand. Les faits sont édifiants et les images et informations collectées ont été envoyées à la Dre Ingrid Visser, biologiste marine spécialiste des orques, pour établir un rapport sur l’état de Kiska. Pour la chercheuse qui a visité en personne MarineLand en 2015, 2017 et 2018 et reçu notamment les images de 2021 de l’association, les conditions de détention, le comportement ainsi que l’état physique des animaux sont si préoccupants, que le rapport couvre bien plus que la seule orque isolée et négligée, comme l’avait initialement prévu One Voice.

Le bélugas entassés dans un minuscule enclos du parc MarineLand en Ontario. L’un d’entre eux présente une blessure. Photo : One Voice

C’est une catastrophe générale. La qualité de l’eau (page 56), la taille des bassins (page 44) et l’entretien du parc en général sont inappropriés et l’état mental et physique des animaux sont tout simplement délétères depuis des années.

Alors si ça fait années, pourquoi relancer une alerte maintenant ? Parce que c’est le moment de la fermeture annuelle du parc, pendant l’hiver, qui va durer plusieurs mois. Des mois durant lesquels Kiska et les cétacés, qui sont par nature des animaux qui vivent en groupe, vont de nouveau être en isolement forcé. Des années que l’orque tourne en rond dans un bassin minuscule par rapport à sa taille et à sa capacité de nage. Comment se passera leur quotidien à tous, loin des regards, pendant tout l’hiver canadien ?

« Les cétacés sont tous exposés à des problèmes extrêmes de bien-être. Tous présentent des comportements stéréotypés (c’est-à-dire des comportements anormaux et/ou répétitifs).
Un grand nombre d’animaux présentent des blessures, dont beaucoup sont probablement le résultat de comportements d’automutilation et/ou d’agressions et/ou de dommages causés par les bassins. »

Ingrid Visser, biologiste marine

Solitude de Kiska, surpopulation pour les bélugas

Non, un animal, quel qu’il soit, qui tourne en rond dans un bassin, un parc ou une cage, se cogne la tête contre les murs ou adopte des comportements agressifs et répétitifs n’est pas un animal qui s’adapte à sa condition. Dans ce parc marin, les bélugas sont les uns sur les autres et, inévitablement dans de telles conditions, soumis à des agressions. Ils tournent en rond, tant et si bien que, comme Kiska, leur corps traduit à travers leurs problèmes physiques, des atteintes mentales et psychiques profondes. Certains ont les dents usées jusqu’aux gencives et le corps déformé.

Dans les bassins de l’amphithéâtre des spectacles, on peut trouver deux otaries, cinq dauphins et deux bélugas. Ces animaux ne devraient pas partager le même système de bassins, puisque les températures requises pour chaque espèce sont radicalement différentes (tempérée pour les unes, polaire pour les autres). De plus ces derniers devaient encore, l’année dernière, porter des humains sur leur tête (page 29) ! Les dauphins, eux, ont la peau parsemée de traces de morsures, spécifiques à l’enfermement, et sont maintenus dans un bassin minuscule.

« Non, ce ne sont pas des sardines en boîte. Ce sont des bélugas à l’étroit dans un petit réservoir en béton à MarineLand Canada. En 2019, on pense qu’il y avait 58 bélugas ou plus, mais aujourd’hui, il n’en reste que 40. Cela fait 15 à 18 baleines disparues et présumées mortes en quelques mois. Cette cruauté doit cesser. » Phil Demers.

Kiska, de son côté, passe sa journée au ralenti, à raser les murs du bassin toujours dans le même sens. Tant et si bien que sa nageoire dorsale s’affaisse, ce qui est typique d’un problème de santé et d’un manque d’exercice (page 5). Rappelons que l’orque est un animal pouvant mesurer entre 6 et 7 mètres (pour les femelles), qui vit dans des régions arctique et antarctique et extrêmement sociables : certaines populations sont composées de plusieurs familles matrilinéaires qui sont parmi les plus stables de toutes les espèces animales. Les techniques de chasse sophistiquées et les comportements vocaux, qui sont souvent spécifiques à un groupe particulier et transmis à travers les générations, ont même été décrits par les scientifiques comme des manifestations culturelles.

Le quotidien de Kiska n’a rien de tout ça. Selon les témoignages des enquêteurs de One Voice, elle longe les murs, roule sur elle-même, et parfois, souffle dans l’eau pour faire des sortes de bouillons. Il lui arrive aussi de générer des vagues si fortes, près de la « plage » du bassin, qu’on croirait qu’elle se frappe la tête contre la vitre (page 15). Tout cela pour s’occuper. Des trois jours où l’enquêteur de One Voice était sur place, à aucun moment le parc n’a mis d’enrichissement à la disposition de Kiska pour rompre son ennui.

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Seuls les repas cassent la monotonie des jours. One Voice a pu filmer le lavage de ses dents, par ailleurs en piteux état et quasiment comparables à celles d’Inouk en France… Nombreuses sont celles qui sont rongées jusqu’à la pulpe (page 7), ce qui est aussi douloureux pour les orques que pour les humains. Le résultat d’années de captivité passées à ronger le bord des bassins, à souffrir de nombreuses régurgitations à cause du stress, et à ne pas même utiliser ces dents pour manger (tout lui est versé directement dans la gorge) (page 9). De plus, même les soins lui sont appliqués de manière discutable : un liquide de type Bétadine, est envoyé sous pression sur les dents et coule le long de ses lèvres (page 8)… Alors que ce produit « ne doit pas être ingéré » ! Le rapport d’Ingrid Visser révèle par ailleurs qu’une blessure ouverte qu’elle avait à la queue il y a neuf ans n’a toujours pas cicatrisé (page 14). Voici ce qu’est la vie dans un delphinarium, tout comme, par ailleurs, la vie dans un cirque.

Kiska en train de recevoir sa « Bétadine » pour ses dents. Ce produit, qu’elle n’est pas censée avaler, est directement projeté dans sa gueule, et coule dans sa gorge et le long sur sa bouche. Photo d’enquête de One Voice au MarineLand de Ontario en octobre 2021

Pour Muriel Arnal, présidente de One Voice :

« La fermeture annuelle du delphinarium est un moment critique, car aucun observateur extérieur ne peut plus révéler les problèmes. Nous sommes très inquiets de ce qui peut arriver à Kiska et à l’ensemble des animaux enfermés au MarineLand du Canada derrière les barrières closes. Nous n’oublions pas le destin tragique de Femke et l’envoi des autres dauphins du Parc Astérix (en France) dans d’autres delphinariums européens l’année dernière, pour continuer à se faire exploiter »

Un delphinarium vétuste en quête de reconversion ? Quid des animaux ?

Tout tend à montrer que le delphinarium est en déliquescence et qu’aucun investissement n’est fait depuis des années. Autour des bassins et près de l’enclos des ours, une multitude de mouettes cherche à grappiller la nourriture des bélugas lors des « démonstrations pédagogiques » ou celle des ours bruns, distribuée par les visiteurs à longueur de journée. De la fiente s’étale partout, pas nettoyée d’un jour sur l’autre : sur les bords des bassins, sur le sol, etc. (page 38) Au risque de transmettre de nombreuses maladies aux visiteurs, notamment aux enfants. Les ours se morfondent dans leur enclos, la plupart restent au loin et tournent même le dos aux visiteurs, dans une vaine tentative d’oublier où ils se trouvent. Deux ou trois gourmands se baignent aux pieds des clients du parc qui leur jettent de la nourriture achetée au kiosque juste avant.

Les morses, dont Smooshi, auparavant l’une des attractions du parc, ont disparu. Nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus.

Cette vidéo de Phil Demers dévoile la façon dont Kiska se frappe la tête répétitivement contre le mur. Un type d’automutilation qui a déjà été cause de décès d’animaux en captivité.

Plus grave encore, des cas de suicide d’animaux en captivité ont déjà été observés, comme celui de Kathy, la dauphin femelle cinquième et plus longue interprète de Flipper. Selon le témoignage de son entraîneur, Richard O’Barry, l’animal, qui présentait des symptômes de dépression, se serait volontairement donné la mort au Seaquarium de Miami en choisissant délibérément de fermer son évent, dont la respiration est une action consciente chez les dauphins et non inconsciente comme chez les humains, pour se laisser couler et ne jamais remonter. Cet acte a profondément marqué son entraîneur, qui est depuis devenu une figure engagée dans la lutte anti-captivité.

Sous les bassins, de grandes vitres sales permettent de voir les cétacés. Il y a des fuites partout, de la vase et des algues poussent aux jointures. Des panneaux indiquent que les fuites ne constituent aucun danger et qu’elles devraient se résorber d’elles-mêmes… Les mêmes panneaux photographiés des années auparavant montrent bien l’inverse (page 36) ! De qui se moque-t-on ?

« Les fuites que vous pouvez voir ne sont pas un problème de sécurité car elles finiront par se sceller d’elles-mêmes » Photo de One Voice au MarineLand en Ontario, octobre 2021
Il n’y a pas que des animaux marins au MarineLand en Ontario. Les ours fuient les spectateurs. Photo : One Voice, octobre 2021

L’un des signes qui, avec une fréquentation en berne (le peu de manèges ouverts sont quasiment vides, les allées aussi), montre que les actuels propriétaires pourraient être en train de chercher à vendre le parc, animaux compris. Quel serait alors leur destin ?

Selon une source locale, parmi les clients potentiels pourrait figurer l’un des groupes les plus mondialement connus du secteur du divertissement. Si on en croit les affirmations de l’océanologue français Christophe Guinet, qui estime que ces animaux vivent normalement environ 40 ans pour les mâles et 60-80 ans pour les femelles, on ne peut que craindre encore de longues et malheureuses années d’exploitation et de souffrance pour Kiska. Pour information, Kiska a été capturée en 1979, il y a déjà quarante ans. Quatre décennies durant lesquelles elle a survécu à tous ses compagnons, et les cinq veaux (: nom des petits d’une orque) qu’elle a pu avoir sont également morts avant elle. Elle est complètement seule depuis dix ans, 2011. 

A ce propos la doctoresse Ingrid Visser déclare même :

« Le nombre et la portée des violations du règlement 444/19 de l’Ontario (NB : page 59) sur le bien-être des animaux sont considérables. […] Il est recommandé que ces cétacés soient déplacés dès que possible dans un véritable sanctuaire en bord de mer. »

Actuellement, une nouvelle pétition pour libérer Kiska est en ligne. Les mentalités et les prises de conscience se répandent de plus en plus. Aujourd’hui, payer pour assister au « spectacle » d’animaux sauvages en captivité forcé de tourner en rond, de monter sur des tabourets ou d’applaudir avec des plumes roses sur la tête n’attire plus grand monde, en témoignent le marché en baisse de cette industrie. D’ailleurs, dans ces périodes pré-électorales, vous pouvez aussi vous pencher sur les intérêts ou non des politiques sur la condition animale dans leurs programmes.

Moro

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