À ne pas confondre avec le « boubourse », qui signifie vraisemblablement « con » en chtimi, le « Boubour », pour « Bourgeois bourrin » serait la nouvelle figure à qui l’on devrait la montée d’une droite décomplexée. Ennemi juré de ses compagnons de classe, les « Bobos », le Boubour pourrait être décrit comme un réac’ sans retenue. Retour sur ce nouveau terme que l’on doit à l’essayiste Nicolas Chemla.

Il a fait sa grande percée sur la toile les jours derniers, à la suite des multiples déceptions politiques vécues par une partie de la gauche. Victoire de Fillon aux primaires de la droite, triomphe de Donald Trump aux élections américaines, montées des extrêmes réactionnaires à travers l’Europe, les coups durs semblent s’accumuler pour une gauche jugée « bienpensante » (celle désignée à l’époque comme la bête noire d’un Sarkozy qui croyait encore à la victoire) et l’intelligentsia qui la défend. Le « boubour » serait-il à l’origine des percées politiques de personnalités réactionnaires ou ouvertement scandaleuses, figures d’une pensée de droite débarrassée de ses complexes ? Oui, si l’on en croit le livre de Nicolas Chemla qui lui a été consacré : « Anthropologie du Boubour ».

Mais qui est donc ce boubour, ou « bourgeois bourrin » ?

« [Dans] le débat politique (de plus en plus rance), au cinéma, dans la mode, la musique, partout, de plus en plus, le boubour est là qui s’agite, attendant d’être baptisé, » peut-on lire dans l’introduction de l’essai « d’anthropoLOLgie » de Nicolas Chemla. Mais si le boubour est aujourd’hui partout, qui est-il, et comment le reconnaître ? Si l’on en croit l’essayiste, dont le travail a été cité notamment par Libération, la population des boubours est largement masculine, jouit de revenus confortables sans être faramineux (son seul point commun avec son jumeau maléfique, le bobo), et qui, surtout, a décidé d’envoyer paître le « politiquement correct » pour mieux exprimer ses idées borderlines. Le boubours serait donc cet individu « x » à qui pourrait s’adresser le chanteur Bénabar dans sa musique : « Politiquement correct » …

Derrière ce rejet de valeurs jugées jusqu’ici fondamentales dans nos démocraties, comme les Droits de l’Homme, la tolérance ou l’humanisme, on trouve, outre un ultra-nationalisme décomplexé, le retour d’une vision du monde basée sur « la loi du plus fort » (Darwinisme Social) et validerait le fait que l’humanité se sépare entre ceux qui se font marcher dessus et ceux qui réussissent. Bref, une dichotomie entre perdants et vainqueurs qui fait écho à l’économie triomphante et la concurrence acharnée qu’elle génère. Nicolas Chemla évoque alors une « morale bonobo », qui ne trouve en réalité aucune validation dans quelque travail scientifique que ce soit, observant le monde à travers le prisme de ses présupposés et croyances. Pour le boubour, il apparaît naturel que les riches dominent les pauvres, que les hommes se placent au dessus des femmes, et que l’hétérosexualité prime sur l’homosexualité. La « Nature » voudrait les choses ainsi. Une position qui ne laisse aucune place au débat ni au progrès.

Boubour : un résidu de fausse couche du capitalisme ?

Vous l’aurez compris, notre « bourgeois bourrin » se reflète dans celui qui pense avoir tout mérité, fermant les yeux sur les propres chances dont il a profité au sein d’une classe donnée autant que les connaissances sociologiques en matière d’égalité des chances. Le boubour, c’est par exemple un Fillon qui dit qu’« il serait temps qu’on accepte qu’il y ait des emplois précaires ». Le boubour, c’est cet individu qui se complaît dans ses privilèges, jetant un œil dédaigneux sur la fange à laquelle lui a échappé. C’est potentiellement ce baby-boomer né au bon moment qui pense que son ascension professionnelle et la sécurité de l’emploi dont il a joui toute son existence n’ont pas de rapport avec la conjoncture économique exceptionnelle des 30 glorieuses. Et qui, depuis son fauteuil confortable, traite la jeune génération sacrifiée sur l’autel du marché d’incapable et de paresseuse.

boubour

De cette incapacité à faire preuve d’empathie en regardant l’autre en face naît une certaine complaisance auto-entretenue dont découle un entre-soi confortable. On ne sera donc pas étonnés de voir que la percée du boubour s’accompagne du succès de politiques de renfermement sur soi, de frustrations identitaires, d’une apologie du statu quo politique et social, et d’un ultra-libéralisme une nouvelle fois encensé à droite historiquement, mais aussi à la gauche au pouvoir. Il serait donc la conséquence d’un système qui a trop longtemps duré. D’ailleurs, l’auteur le dit lui-même : « Le boubour n’est pas un dérèglement du capitalisme, mais bien son produit le plus direct. »

De la pertinence d’enfermer les gens dans des cases

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À la lecture des nombreux articles qui évoquent cette nouvelle figure sociologique, majoritairement publiés par des médias jugés de gauche ou engagés, on pourrait s’interroger sur la pertinence du terme, et se demander s’il est toujours judicieux d’enfermer les individus dans des cases, de leur coller des étiquettes. Si l’idée du boubour est séduisante, il faudra cependant sûrement prendre garde à ne pas participer au clivage de façon trop importante tout comme le font ceux qui abusent du terme « bobo » pour caricaturer un fantôme imaginaire, reflet de frustrations communes.

« Quand on est riche, on comprend mieux les choses »

Si le « bobo » a été largement ridiculisé ces dernières années, victime, peut-être, d’une montée des cynismes en tous genre, éventuellement pouvions-nous espérer qu’il s’en porte bien et n’y prête pas trop d’importance. Le boubour, de par sa décomplexion, mais aussi son rejet de la complexité et d’une certaine pensée intellectuelle, pourrait se révéler dangereux dans sa revendication « bourrine » à travers les partis réactionnaires. La victoire de Donald Trump aux États-Unis, et la déconnexion évidente des élites — notamment dans les médias — par rapport à une Amérique qui a élu le « self-made man » démagogue à sa tête, en témoigne. Plus que jamais, peut-être, le citoyen ecolo-gaucho-bobo doit-il tendre l’oreille à cet antagoniste plutôt que de le railler, afin de rétablir une communication qui nous sauverait tous de cette démagogie politique qui semble emporter le monde.


Sources : Libération.fr / Lemieux-éditeur.fr

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