À l’approche des fêtes de fin d’année, une arnaque en ligne fait des ravages : le dropshipping. Alors que l’on croit acheter un objet qualitatif et à prix correct en ligne, celui-ci est, en réalité, bas-de-gamme et vient de l’autre bout du monde. Pour éviter de tomber dans le piège, voici un décryptage de cette pratique malhonnête bien que légale.
Le dropshipping est une pratique commerciale qui ajoute un intermédiaire entre un marchand sur internet et son client. Le dropshipper, un commerçant sans scrupule, va virtuellement générer du profit en gonflant les prix de produits low-cost qui sont déjà en vente directe sur des sites chinois bien connus comme Aliexpress ou Wish. Celui qui réalise l’achat reçoit donc un produit commandé directement de Chine tout en ayant payé une commission importante à un entremetteur anonyme.
Dans de nombreux cas, cet entremetteur parasite ment sur la qualité et l’origine des produits afin de pouvoir gonfler artificiellement les prix pour générer des profits colossaux sans aucun effort depuis un simple ordinateur. Ils ne sont généralement pas assurés, souvent pas déclarés, n’assurent aucun suivi des produits et ne réalisent aucun test sanitaire, mettant parfois la santé de leurs clients en danger. Voici comment repérer et se prémunir de ce cancer du web qui se généralise sur les réseaux sociaux à grand renfort de campagnes marketing.
Une arnaque en ligne qui pullule
À mesure qu’il est dénoncé, le dropshipping voit fleurir pléthore de défenseurs. Sans doute est-ce parce qu’à la manière de l’évasion fiscale, ce phénomène trouve son soutien dans les espoirs d’ascension financière rapide encouragée par la start-up nation et son capitalisme 3.0. Au préjudice du consommateur et de l’environnement, mais pas seulement : c’est aussi un engluement supplémentaire dans le funeste modèle actuel.
Le dropshipping laisse tout simplement miroiter dans le regard de certains un exemple de gain par le mérite, celui d’avoir été malin en manipulant les autres, dans un monde nécrosé par les démarches commerciales permissives. Le but légitimé ? Atteindre, puis conserver, une réussite pécuniaire quasi instantanée. Les entreprises de « formation » au dropshipping ne s’en cachent d’ailleurs pas. Leur slogan : « Copiez, collez, profitez ! »
Le dropshipping à cet effet pervers sur nous qui distille le doute : on sent bien que quelque chose cloche dans le processus, qu’il n’est pas tout à fait honorable, or, conjointement, il nous rappelle tellement d’autres méthodes internet du même acabit, quant à elles bien intégrées par le capitalisme, que l’on peine à cerner le problème du premier coup d’œil.
Le dropshipping, de la théorie à la pratique
La plupart des sites définissent le dropshipping comme une pratique de longue date, qui s’est simplement davantage développée avec internet. Son principe ? Un vendeur s’immisce entre le marchand et le client, à la recherche d’un atout : ne pas posséder, ni gérer, de stock. En effet, le dropshipper commande automatiquement le produit uniquement après validation du panier d’achat de l’internaute. Le colis est envoyé depuis un autre site marchand jusqu’au client.
Cette définition pose toutefois problème. Elle est bien trop large pour coller au phénomène en vogue du dropshipping virtuel. En l’état, pourraient y correspondre, par exemple, de nombreux commerciaux, apporteurs d’affaires, tous les services clients qui font payer la plus-value tertiaire entre le produit manufacturé et le consommateur et, enfin, les marketplace eux-mêmes qui référencent et centralisent les commandes de plusieurs fournisseurs.
Or le dropshipping revêt une forme plus spécifique : la nature de son fournisseur. En effet, le dropshipper n’est jamais en relation directe avec des grossistes, des créateurs ou des lieux de production. Il choisit de revendre un produit déjà disponible à tous en ligne. Pire, la tendance veut également que le prix de ce produit soit multiplié par des dizaines avant d’être remis sur le marché : un simple doublon, un copié-collé, mais bien plus cher. Cette marge affolante que s’autorise le dropshipper, à quoi peut-elle bien correspondre ?
On aurait pu suggérer qu’elle rémunère un service après vente, ou de conseils, un test produit ou du contenu informatif ? Pas le moins du monde. Aucune valeur ajoutée : c’est l’un des véritables problèmes du dropshipping et ce qui lui vaut d’être qualifié d’arnaque.
Le principe est très simple : un produit vendu à quelques centimes sur Alibaba, Aliexpress ou autre gargantuesque marketplace est souvent présenté comme le seul et unique produit de la nouvelle petite entreprise, le temps de générer du profit sur la marge mirobolante de la revente. C’est d’ailleurs un des éléments centraux du dropshipping : la fausse entreprise ne sélectionne souvent qu’un seul produit nommé dans le milieu du marketing LE PRODUIT GAGNANT.
En deux heures de temps et sans investissement (moins de 200 euros), n’importe qui peut lancer une arnaque en dropshipping. Bien sûr, comme c’est de coutume : une fois les recettes encaissées, la plupart des micro-entreprises qui ont jailli de nulle part disparaissent aussitôt, laissant derrière elles un néant en termes de service client, après vente, remboursement, échange et gestion des défectuosités. Mais comment font-ils pour refiler une marchandise à un tarif plusieurs fois supérieur à son prix d’origine, en vente sur un site accessible ? C’est tout un art… Séduire et mentir.
De l’art de s’accrocher au vieux modèle…
Si vous faites défiler vos actualités sur les réseaux sociaux, vous tomberez peut-être sur l’alternative lessive écologique miracle de la nouvelle start-up Balineo : « mises au point avec la volonté d’un changement de nos habitudes et ainsi de limiter notre impact néfaste sur l’environnement […] une solution alternative à votre lessive traditionnelle et bien meilleurs sur plusieurs points que les industriels se sont bien passés de nous dire… » introduit-elle, non sans quelques fautes et imprécisions, et « scientifiquement prouvé » continue-t-elle d’avancer, sans preuves.
Quelques images de baleines nageant dans l’océan, des termes comme « bio céramique » ou comme « engagés » et le tour est joué ! La boule de lessive, présentée comme le produit phare de plusieurs autres petites start-up, comme les célèbres Gargouilles, est vendue tantôt 20 euros, parfois 35 euros. La boule en plastique est pourtant disponible à l’identique sur Aliexpress pour quelques centimes, en provenance de Chine.
Vous pourrez également vous laisser tenter par Le Moineau, une pseudo-marque de mangeoires en plastique, pour « sauver les oiseaux ». À coups de messages engagés repris, sans aucun scrupule, depuis les comptes d’associations comme la LPO (Ligue de protection des oiseaux), l’entreprise s’attribue ce qui est présenté comme une innovation écologique, pourtant aussi polluante qu’accessible sur Wish pour moins de 5 euros.
En d’autres termes, des publicités mensongères et dangereuses. Pour couronner le tout : on y place des promotions improbables à tout va, accompagnées de pop-up injonctifs : « MAINTENANT » qu’on vous dit la réduction ! Sans oublier l’ajout d’un petit logo « TM » (Trade Mark) pour faire croire qu’il s’agit d’un produit original. De l’arnaque exceptionnelle à la tendance systémique, inhérente à la pratique elle-même du dropshipping, il n’y a plus d’ambiguïté.
Une arnaque qui s’appuie sur l’envie de bien faire
Le dropshipping fait de plus en plus appel au greenwashing, à notre envie d’acheter plus responsable et éthique aussi simplement qu’on achetait nos produits industriels. Mais changer d’habitudes de consommation demande en réalité un temps de préparation en amont, consacré à se constituer un réseau de nouvelles connaissances. Acheter un produit qui vous promet vaguement de sauver la planète ou des koalas, ce n’est PAS de l’écologie.
Mais voilà que les dropshippers ont compris que les consommateurs voulaient basculer, petit à petit, du modèle obsolescent promu par ces insatiables mastodontes vers un modèle qui met en avant le made in France, la proximité et l’éthique. Trois valeurs de plus en plus portées par des identités soignées et ouvertement engagées. Or, s’il y a souvent de la bonne volonté de la part des consommateurs à vouloir changer de système, c’est rarement après avoir fait le deuil de la facilité. Les dropshippers le savent et vendent donc le mirage d’un monde de proximité, plus juste et sérieux, mais toujours à portée de publicité.
Ainsi, pendant que les usines productivistes continuent tranquillement de tourner, fabricant en nombre des gadgets en tout genre, dans des conditions catastrophiques afin de proposer des prix ridicules, le dropshipping vient juxtaposer, sur le base de ce modèle de moins en moins désirable, une vitrine alléchante et une expérience shopping qui donne meilleure conscience. Une consolidation rêvée pour notre paradigme asphyxiant.
Armés de marketing, les drop-shippers s’inventent pour cela une vie : des petits créateurs, un couple de jeunes entrepreneurs, des produits fabriqués en France, une qualité garantie, un prix qui semble suggérer une structure éthique à échelle humaine, des « ateliers », de l’artisanat, du luxe suggérant des ouvrières et ouvriers bien rémunérés, etc. Tout ce dont ne se parent pas les hangars virtuels que sont Aliexpress, Alibaba, Amazon ou Wish, les dropshippers les en ont affublés par les mots. En somme, la méthode revient à greffer un masque local, ecofriendly ou prestigieux, sur un business productiviste et défaillant, et à s’offrir une marge pour cela…
Mais c’est légal !
Que dit le dropshipping de notre monde ? Que l’argent y est roi, loin de toute empathie, loin de toute honnêteté. Serions-nous voués à ce sort dans lequel nous a jeté le modèle pyramidale : les uns contre les autres, coincés dans des rapports de forces financiers, comme « naturellement » enclins à nous soutirer les uns les autres pour survivre… ? Triste vision de notre condition qui, pourtant, connaît également les joies de l’esprit collaboratif et bienveillant. Il ne tient certes pas qu’à nous de remettre au centre du réel l’entraide et la sérénité des rapports, mais une partie du travail nous impute : à commencer par en finir avec les préceptes prédateurs.
Mais à ceux qui décideraient enfin de ne plus céder à la doctrine mortifère, certains finissent de répondre : c’est légal. Plus noble que la défense du dropshipping comme moyen d’ascension financière ordinairement malsain, l’idée de la légalité semble tant louable. Il renvoie pourtant à une philosophie biaisée, car ce ne serait pas prendre en compte que les lois sont évolutives et relatives. Et l’ère d’internet n’en a que plus conscience avec le temps qui passe et les technologies qui autorisent d’avantages d’espaces économiques parallèles, qui sont autant de vides juridiques.
Alors effectivement, on pourrait s’attendrir de ces tentatives de gagner de l’argent plus facilement dans un monde qui broie ses travailleurs et leur vend un mode de vie qui en dépend pourtant. Mais ce serait d’abord accepter que pour sortir du piège capitaliste, il faudrait marcher sur son voisin. Le piétiner vite, fort et sans se retourner… On s’y refuse ! La loi du marché de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, est un bel exemple de la spirale qui nous oblige à détruire nos concitoyens pour échapper à la précarité et un bel hommage à tous ceux qui décident de s’en extraire.
Ce serait ensuite oublier que, concernant le dropshipping, nous sommes rarement face à un public au chômage, mais plus généralement face à des influenceurs, des adeptes de la start-up nation, des cerveaux abreuvés de success story fulgurantes au sein desquelles toute faille est bonne à exploiter. Mais la brèche se referme petit à petit sur eux et certains se voient épinglés, preuve que le dropshipping reste « légal » tant qu’il n’est pas collectivement signalé…
Ce qui est moins légal par contre, c’est tout ce qui entoure le dropshipping : les fausses démarques, les faux noms, le manque de transparence, l’origine cachée des produits, le vol systématique des contenus promotionnels d’autres marques, etc… Tout ceci peut s’apparenter à de l’abus de confiance et tomber sous le coup de la répression contre les fraudes. On invitera donc les français qui en sont victimes de contacter la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Pratique vague, conséquences concrètes.
Nous savons tous combien la publicité augmente à grands pas. Si la noyade publicitaire précède les dropshippers, ceux-ci sont toutefois en train de massivement contaminer les encarts et de monopoliser la visibilité. Parmi les victimes de cette homogénéisation ? Certainement pas les GAFAM et autres invincibles qui ne jouent pas dans la même cour, mais bien les véritables commerçants.
D’une part, l’espace accordé aux producteurs et créateurs authentiques est proportionnellement affaibli par les vagues fulgurantes de marketing éphémère. D’autre part, ces véritables commerçants finissent par devenir indiscernables des plans communication façon greenwashing des dropshippers. Un cas d’engloutissement et de concurrence déloyale qui confirme la dimension délétère de cette pratique : le dropshipping est en train de s’imposer comme le troc ultime de notre désir d’un monde plus juste contre un greenwashing aussi moribond que le modèle qu’il tente de camoufler.
Tandis qu’Amazon perd en popularité – mais toujours pas en chiffre d’affaires – le modèle qu’il incarne s’offre une deuxième jeunesse grâce au dropshipping. Les mêmes usines à la chaîne, les mêmes exploités, les mêmes conditions de surproduction, les mêmes suremballages, les mêmes kilomètres parcourus pour une coque de smartphone, le même pétrole, la même pollution, les mêmes conteneurs, les mêmes paquebots, les mêmes déchets, les mêmes accumulations, le même capitalisme : mais une façade toute neuve.
Les victimes c’est nous : comment s’en prémunir ?
Matraquage publicitaire, manipulations marketing, utilisation des données. Nous connaissions ces approches insidieuses de vente aussi courantes que scandaleuses. Là où nous pouvons aisément parler d’arnaque concernant le dropshipping, c’est qu’à ces méthodes impitoyables se suppléait une communication mensongère, un faux récit d’entreprise, des prix multipliés par des dizaines – et pas au profit des producteurs ou des employés à la chaîne – et, enfin, l’inexistence de services réels.
Le consommateur peut bien jouer un rôle, mais qui ne doit pas faire oublier la responsabilité des entreprises à rester transparentes, honnêtes et conscientes dans leurs offres. Parce que ce n’est pas entre les minimum 35 heures de travail hebdomadaire, l’activité physique, bénévole, les relations familiales, sociales, les problèmes de santé et les aléas qu’on aurait le temps de signer un parcours sans faute. Si s’informer sur nos achats était déjà compliqué avant, le dropshipping est en passe de rendre notre tri d’autant plus éprouvant.
Nous en sommes les victimes, pas seulement en tant que clients, mais aussi comme citoyens. Nos mauvaises habitudes consuméristes en demande de guérison finissent par être rattrapées par les pièges de cette pratique, des astuces qui nous embourbent encore un peu plus dans un schéma aliénant. Pour ne pas mourir, le système finit par employer des détours de plus en plus éhontés, le dropshipping à son service.
En outre, les rouages de ce nouvel eldorado du business s’avèrent en réalité bien moins fructueux qu’il n’y paraît pour les entrepreneurs 2.0. C’est donc tout un monde d’alternatives et d’horizons plus conscients que le dropshipping met à mal pour bien peu. Les victimes ? Les deux pans d’une quête désespérée du confort que le capitalisme leur a promis et leur injecte dans l’esprit à longueur de… publicités. Et à l’arrivée, les seuls à remporter le pactole sont les réseaux sociaux et les logiciels commissionnés comme Shopify, l’un des plus connus en matière de création rapide de dropshipping.
En attendant que l’entrepreneuriat façon dropshipping se rachète une conscience, on vous propose, pour échapper à ce puits sans fond de vacuité, de manipulations et de consommation désinformée, quelques outils.
Guide pratique pour détecter un dropshipping
1. La recherche par image de votre moteur de recherche. Faites une capture d’écran de l’offre et lancez la recherche. Les résultats vous diront si le produit est présent sur d’autres plateformes dont les fameux AliExpress et compères.
2. Copier-coller la référence du produit dans votre barre de recherche ou le nom de l’entreprise sur ScamDoc : permet de respectivement comparer les revendeurs et les prix (une grande marge de différence doit alerter) ou de juger des indicateurs de confiance présents sur le site.
NB : ne vous fiez pas toujours aux avis positifs, un programme permet de rediriger les commentaires des sites d’origines pour donner l’impression qu’il y a déjà eu des acheteurs satisfaits du dropshipping.
3. Se méfier d’emblée des publicités sponsorisées très récurrentes sur les réseaux avec de fortes promotions ! Il peut s’agir de marques honnêtes, mais, souvent, les dropshippers lancent de larges, soudaines et intenses campagnes pour générer beaucoup de ventes d’un coup et disparaître aussitôt. Pratiquement toutes les publicités de Facebook aujourd’hui sont pour des produits revendus en dropshipping.
4. Se méfier plus généralement des prix anormalement bas ou élevés pour ce qui est vendu, des remises trop importantes, des phrases marketing comme « 500 personnes sont intéressées par ce produit et il n’en reste plus que 2 » ou des comptes à rebours avant fin de réduction qui poussent à la précipitation.
5. Prudence avec le symbole ™ ! Les vraies marques ne l’utilisent pas dans leur nom. Les dropshippers utilisent ce symbole pour faire baisser notre vigilance. Également, la qualité d’un site n’est plus un signe de sérieux. Les sites des dropshippers semblent très professionnels.
6. De plus en plus de dropshippers utilisent l’écologie comme incitation à l’achat. Ils promettent par exemple contre chaque achat de nettoyer les plages, de planter un arbre ou de faire un don à une association. Ces promesses sont généralement fausses et servent d’alibi pour générer une vente.
7. Finalement, favoriser les achats en commerces de proximité. Quand ce n’est pas possible dans votre région ou pour votre emploi du temps, prendre un jour pour se constituer une petite liste de sites fiables et éthiques dans divers secteurs. Et si un produit repéré en dropshipping semble indispensable, il existe sûrement dans une version plus éthique (conditions de fabrication et de travail responsables, matériaux plus respectueux de l’environnement et de votre santé, etc). La lessive, par exemple, existe en version réellement écologique ou peut-être faite maison, avec quelques ingrédients naturels.
Pour aller plus loin, relire : Dropshipping : comment des stars du web nous arnaquent en beauté. Et pour ceux qui douteraient encore de la perversité d’une telle pratique : notre petite FAQ.
– S.H.
Photo de couverture de Mikhail Nilov. Pexels
Sources complémentaires :
www.blog.thomasencarnacao.fr/social-media/le-dropshipping-arnaque-ou-pas/